L'Angleterre a dominé dimanche, au bout du suspense, l'Allemagne (2-1, a-p), en finale de l'Euro 2022.Passées par toutes les émotions dans un Wembley plein à craquer (87.000 spectateurs), les Lionesses s'offrent ainsi le premier trophée de leur histoire.Une performance d'autant plus remarquable que le football était interdit aux femmes dans le pays il y a encore 50 ans.
Jusqu'au bout de ses rêves ! L'Angleterre a remporté dimanche la finale de l'Euro en dominant, dans la douleur, l'Allemagne (2-1, a.p), octuple vainqueur de l'épreuve. Après un premier tour parfaitement géré - avec trois victoires en autant de matchs, 14 buts marqués et 0 encaissé - et un quart de finale difficile contre l'Espagne (2-1, a.p), les Lionesses ont déroulé contre la Suède (4-0) pour valider leur ticket pour Wembley. Dans un stade acquis à leur cause et devant une affluence record pour une finale de l'Euro - hommes et femmes confondus - (87.192 spectateurs), les joueuses de Sarina Wiegman ont gravi la dernière marche. Dixième nation au classement FIFA avant la compétition, la "Perfide Albion" a réussi son pari. À tous les niveaux.
🏆 OUR ENGLAND. OUR CHAMPIONS. 🏆 pic.twitter.com/gf4BHUd5fW — Lionesses (@Lionesses) July 31, 2022
Au-delà de l'aspect purement terrain, le tournoi a, en effet, été une totale réussite du fait de l'engouement qu'il a suscité. L'affluence totale de cet Euro s'établit à 574.875 spectateurs, pulvérisant la meilleure marque pour la compétition continentale féminine, qui avait été réalisée il y a cinq ans aux Pays-Bas (247.041). Il "bat tous les records du début à la fin et place la barre à un niveau jamais atteint auparavant dans tous les domaines, que ce soit sur le plan sportif ou de l'organisation", s'était félicitée Nadine Kessler, responsable du football féminin à l'UEFA, au terme du premier tour. Des propos qui trouvent un écho particulier après cette finale.
La performance des Anglaises prend encore plus de relief lorsque l'on sait que les femmes étaient toujours privées de toute pratique du football il y a de cela 50 ans. TF1info a interrogé Xavier Breui, chercheur à l'université de l’université de Bourgogne, spécialisé dans l'histoire du football féminin, à ce sujet.
Un essor brutalement freiné
Pour bien comprendre la problématique, il faut remonter un siècle plus tôt. Le football voit le jour au XIXe siècle en Angleterre. Les femmes s’emparent rapidement de ce sport et, dès la fin du XIXe siècle, les premiers matchs féminins sont disputés, outre-Manche. Le phénomène prend de l'ampleur pendant la Première Guerre mondiale. Durant cette période, le football féminin se "développe dans le cadre, notamment, des usines de munitions", explique Xavier Breuil. "On estime qu'il existait alors une cinquantaine d'équipes, qui disputaient des matchs entre elles pour des œuvres de bienfaisance".
Au cours des quelques mois qui suivent la signature de l'armistice, en 1918, "on tolère encore ce qu'il s'est passé pendant le conflit. Cela signifie que les femmes peuvent continuer à jouer au football. D'ailleurs, ce ne sont pas moins de 150 équipes qui existent en 1921", indique l'historien. En 1920, une rencontre entre les Dick, Kerr's Ladies - équipe la plus célèbre de l'époque - et les joueuses de St Helens attire... 53.000 spectateurs à Goodison Park (un record de fréquentation qui ne sera battu qu'en 2012).
En 1921, la Fédération estimait "inconvenante" la pratique du football par les femmes
Et puis patatras. Un jour de décembre 1921, la Fédération anglaise de football (FA) interdit aux femmes le droit de pratiquer le football. "La pratique du football est complètement inconvenante pour les femmes et ne doit pas être encouragée", décrète-t-elle. Pour faire passer la pilule aux yeux du grand public, "on prétexte certaines dérives financières, le fait qu'une partie des recettes collectées lors des matchs ne seraient pas reversées à des œuvres charitables comme annoncé", analyse Xavier Breuil.
Dans les faits, il est plutôt question de jalousies. "Le succès naissant des équipes féminines chatouille les dirigeants de la fédération anglaise de football", résume le scientifique. "Sans surprise, il était extrêmement difficile pour de nombreux hommes d’accepter l’idée que des dames jouent à ce qui avait toujours été considéré comme une chasse gardée masculine, leur sport", abonde David J. Williamson dans son livre Belles of the Ball.
Des sanctions pour les clubs soutenant le football féminin
Concrètement, la FA interdit à tous ses clubs, ses membres, ses équipes "d'aider de quelque manière que ce soit le football féminin. Les femmes sont privées de fonds mais aussi de tout accès à des infrastructures dignes de ce nom. Elles n'ont plus de terrain pour s'entraîner ou jouer", souligne Xavier Breuil. Les joueuses sont alors condamnées à jouer des parties improvisées dans les parcs. L'instance ne s'arrête pas là et vérifie qu'aucun club ne soutient le football féminin. "Elle sanctionne le cas échéant, notamment par le biais d'amendes", précise le chercheur.
Conséquence directe, le football féminin finit par péricliter. D'autant plus que ce bannissement s'installe dans la durée. Et le statu quo est de mise pendant plusieurs dizaines d'années : même au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le football entre femmes reste un sport assez confidentiel, malgré la mise en place de quelques tournois internationaux.
Un regain de vitalité...
Ce n'est que dans les années 1960 que les choses progressent avec la création de la Women football association (WFA). 44 clubs en sont initialement membres. Les femmes commencent à s'organiser pour leur sport. "À ce moment-là, un vrai mouvement de fond voit le jour en Europe", confirme l'universitaire. Dans la foulée, en 1969, la Fédération internationale et européenne de football féminin (FIEFF) voit le jour. Elle est chargée d’assurer l’organisation de grandes compétitions internationales. La première Coupe du monde de football féminin a ainsi lieu en Italie, en 1970.
...avant la consécration ?
"Dès lors, en Angleterre, comme partout en Europe, il devient nécessaire de reconnaître le football féminin. La pression est telle que les hommes sont obligés de céder", note Xavier Breuil. En conséquence, l'interdiction édictée 50 ans plus tôt est levée en 1971, même s'il faudra attendre 2008 pour que la fédération anglaise ne présente officiellement ses excuses. Insuffisant pour réparer le coup rude asséné par 50 ans de prohibition. Malgré tout, le chemin parcouru depuis cette date est considérable : le championnat national, officiellement créé en 2011, a été professionnalisé dès 2018. Il a connu un nouveau boom avec l'arrivée de la banque Barclays comme sponsor principal en 2019 et la signature d'un juteux nouveau contrat de diffusion en 2021.
La victoire finale des Lionesses cet été pourrait encore donner un nouveau souffle au football féminin local. "Je pense que nous avons été une source d’inspiration pour le pays", s'était félicité la sélectionneuse Sarina Wiegman avant le match contre l'Allemagne. "Vous savez, quand vous gagnez un tournoi majeur, cela fait vraiment une différence", a-t-elle ajouté. "La plupart du temps, vous ne vous rendez compte de l’impact que probablement 15 ans plus tard", conclut-elle. Rendez-vous dans 15 ans donc.
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