La Fifa peut-elle priver de Mondial les stars du foot qui participeraient à une "Super Ligue" ?

Publié le 19 avril 2021 à 11h18, mis à jour le 19 avril 2021 à 18h38
Les joueurs des grands clubs font aujourd'hui l'objet de menaces directes de la Fifa.
Les joueurs des grands clubs font aujourd'hui l'objet de menaces directes de la Fifa. - Source : JOSEP LAGO / AFP

BRAS DE FER - Opposée à la création d'une "Super Ligue" réunissant les grands clubs d'Europe, la Fifa veut dissuader les joueurs. Et menace de les interdire de participer à la Coupe du monde. Une position risquée.

[EDIT] Nous republions cet article, initialement mis en ligne le 26 janvier 2021, après l'annonce par douze clubs européens de la création d'une "Super Ligue" européenne, dimanche 18 avril.

Depuis plusieurs mois, les meilleurs clubs européens réfléchissaient à la possibilité de se rassembler au sein d'un prestigieux championnat fermé, une "Super Ligue" où s'affronteraient les stars du football et qui viendrait concurrencer l'actuelle Ligue des champions. Un projet ambitieux susceptible de garantir aux équipes concernées des revenus stables et considérables, générés par les droits télévisés d'une compétition qui attirerait à n'en pas douter de nombreux fans du ballon rond.

Jugé en approche à la fin de l'année à la fin de l'année, le projet a fini par voir le jour, après un communiqué publié dimanche 18 avril. Au grand dam de la Fifa (la fédération internationale de football) et des fédérations continentales, l'UEFA en tête. Composé de douze clubs dissidents, les géants espagnols comme le Real ou le Barça, la Juventus ou encore Liverpool et les deux clubs de Manchester (le Bayern et le PSG ont refusé d'en être), ce projet, craint l'instance européenne, pourrait inciter les clubs participants à bouder sa compétition phare : la Ligue des champions.

Inconcevable pour l'organisateur, qui entend désormais riposter et menace de sanctions les joueurs qui disputeraient la "Superligue". Un récent communiqué résume cette position : "La FIFA et les six confédérations (AFC, CAF, Concacaf, Conmebol, OFC et UEFA) souhaitent réitérer et souligner sans ambiguïté qu’une telle compétition ne serait reconnue ni par la Fifa ni par la confédération concernée", lisait-on déjà au début de l'année. "De ce fait, tout club ou joueur disputant une telle compétition se verrait refuser le droit de participer à une quelconque compétition organisée par la FIFA ou sa confédération." Une menace réitérée à la confirmation de la création de la "Super Ligue".

Une lutte juridique

En pratique, la FIfa et l'UEFA expliquent donc que si un joueur tient à disputer avec son club la potentielle future "Superligue", il se trouvera de fait interdit de participer à des compétitions internationales. La Coupe du monde est concernée, mais aussi le Championnat d'Europe des Nations ou la Copa America pour les Sud-américains. Une grosse quinzaine de clubs étant concernés par le projet de "Superligue", il serait possible de voir des stars telles que Cristiano Ronaldo, Lionel Messi, Paul Pogba ou encore Neymar interdits de mondial. Les sélections nationales seraient tenues de ne sélectionner que des joueurs disputant avec leurs clubs des compétitions "autorisées", se tenant sous la bénédiction de la Fifa ou de l'UEFA.

Si ces instances montrent aujourd'hui les dents et n'hésitent pas à brandir des menaces, l'application de telles règles demeure incertaine. En raison notamment des potentielles poursuites juridiques qu'elles pourraient entraîner. Spécialiste de droit européen du sport à l'institut Asser de La Haye, Antoine Duval confiait ainsi à l'AFP que cette menace d'exclusion "pourrait tomber sous le coup du droit européen de la concurrence". Et la rendre caduque.

Ce spécialiste fait un parallèle avec une affaire similaire, au sujet de laquelle "la Cour de justice de l'Union européenne a rendu mi-décembre 2020 un arrêt". Elle "concerne l'Union internationale de patinage (ISU) et pose des questions très comparables au dossier de la Superligue", estime-t-il. "L'ISU a voulu empêcher des patineurs de vitesse de participer à une compétition alternative [...] en les privant des Jeux olympiques. La fédération a affirmé vouloir protéger l'intégrité de son sport et garantir la sécurité des sportifs mais ses sanctions, même réduites après une première décision de la Commission européenne, ont été jugées disproportionnées." Aux yeux d'Antoine Duval, un tel dossier peut donc tout à fait se plaider, et les clubs européens seraient à même d'obtenir gain de cause devant la justice.

C'est également ce dont est persuadé Jean-Louis Dupont, avocat belge qui a publié un communiqué en ce sens et explique être sollicité par des équipes intéressées par la "Superligue". "Certains de nos clients nous ont mandaté afin d'examiner l'opportunité d'agir en justice contre cette décision illicite de la FIFA et de ses confédérations", assure-t-il. Pour lui, cette décision de sanctionner les joueurs "a pour objectif d'empêcher la création d'une compétition footballistique concurrente. 

"En d'autres termes, on interdit à un certain nombre de clubs (qui sont des entreprises) de créer un produit nouveau et de le mettre sur le marché", poursuit-il, ajoutant que "les victimes (par exemple les joueurs et les clubs) n'ont aucunement l'obligation de se soumettre à l'arbitrage du Tribunal Arbitral du Sport (malgré qu'il soit imposé par les statuts de la FIFA) et peuvent directement saisir un tribunal étatique d'un État membre de l'Union européenne".

Un coup de bluff ?

Sur le plan juridique, l'issue d'un tel conflit apparaît donc imprévisible, si bien qu'il est délicat d'affirmer que la Fifa et ses confédérations seraient véritablement en mesure de s'opposer à un tel projet via l'interdiction des joueurs lors des compétitions internationales, en dépit du soutien affiché des responsables politiques tels que Boris Johnson et Emmanuel Macron, ou encore l'Union européenne. Des incertitudes légales dont la Fifa est sans nul doute consciente, et qui peuvent aujourd'hui être analysées d'une manière différente.

La réforme annoncée de l'actuelle Ligue des champions, défendue par l'UEFA et soutenue par la Fifa, apparaît en toile de fond. Et ces derniers rebondissements pourraient contribuer à ce que les clubs ne balaient pas d'emblée la possibilité de poursuivre l'aventure dans le giron de l'UEFA, à condition de s'y trouver mieux représentés. Les enjeux sont notamment économiques, de nombreux clubs cherchant à l'heure actuelle à garantir des revenus pérennes afin de conserver leur statut et leur influence.

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Du côté de la Fifa, on peut aussi douter que la volonté d'aller au clash soit réelle. Si les menaces d'exclusion étaient réellement mises à exécution et que les stars du foot se retrouvaient interdites de Coupe du monde, la compétition perdrait en effet une bonne partie de son intérêt. Les sélections nationales ne pourraient alors se tourner que vers des joueurs évoluant au sein d'équipe absentes de la "Superligue", ce qui ferait baisser de manière notable le niveau des participants. Rien qu'en France, cela signifierait pour Didier Deschamps devoir évoluer sans Griezmann, Pogba, Kanté, Varane, Mbappé, Hernandez ou Coman pour ne citer qu'eux. 

En résumé, il est donc difficile d'imaginer que la Fifa aille au bout du bras de fer qui l'oppose aux partisans d'une "Superligue" européenne. S'il est certain qu'elle tentera au maximum de s'y opposer pour préserver ses intérêts, elle joue un jeu dangereux en menaçant les joueurs qui prendraient part à ce nouveau tournoi. La perspective de rencontrer des obstacles juridiques est majeure, sans même parler de la dévaluation des compétitions internationales qui ne manquerait pas de survenir en cas d'absence des grands noms du football au sein de leurs sélections.

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Bien sûr, il a été champion du Monde de Football en 1998. Il a porté 142 fois le maillot de l’équipe de France. Un record. Pourtant, très tôt, il a regardé au-delà du ballon rond et su que son statut lui permettrait d’être une voix forte de la lutte contre les discriminations. Aujourd’hui, c’est son combat quotidien. Lilian Thuram écrit, il s’engage et lorsqu’il prend le temps de se confier, c’est de l’émotion à fleur de peau, une belle matière à réflexion.


Thomas DESZPOT

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