Nadia Nadim, réfugiée afghane devenue star du football au PSG : "Mon histoire parle d'espoir"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 5 juillet 2021 à 19h59, mis à jour le 6 juillet 2021 à 21h27

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Contrainte à l'exil pour échapper à un Afghanistan en guerre, qui lui a enlevé son père, Nadia Nadim s'est réfugiée au Danemark. Dans son pays d'adoption, elle s'est construite, en tant que femme, grâce au football. Un parcours singulier, porteur d'espoirs, qu'elle a retracé au gré de ses souvenirs dans son autobiographie.

Entretien publié pour la première fois le 31 mai 2021.

Son histoire a tous les ingrédients qu'Hollywood affectionne. Nadia Nadim, elle, pourrait passer des heures à nous dérouler, dans les moindres détails, le script de sa vie. "La raison pour laquelle je prends à chaque fois mon temps, c'est parce que je veux transmettre ce brin d'espoir, cette petite étincelle, à la personne qui m'écoute ou me lit", nous confie l'attaquante du PSG, en guise d'introduction, dans un salon du Parc des Princes, où elle a convié LCI, à l'occasion de la sortie de la version française de son autobiographie "Mon histoire, de réfugiée afghane à superstar du foot", parue le 2 juin aux éditions Marabout.

À 33 ans, Nadia Nadim a surmonté tous les obstacles. Née à la fin des années 80 à Hérat, en Afghanistan, elle a fui le régime autoritaire des Talibans "pour survivre", après l'assassinat de son père, général de l'armée afghane. Au prix d'un long et dangereux périple, depuis sa terre natale jusqu'en Europe, elle a trouvé refuge dans un centre d'accueil au Danemark, avec sa mère et ses quatre sœurs. Là-bas, elle a découvert une nouvelle vie, "un pays sans guerre" où les femmes pouvaient jouer au football en public. Douée balle au pied, elle en a fait sa passion puis son métier. Pendant plus d'une demi-heure, mêlant anglais et français, la jeune femme, qui mène de front sa carrière et des études de médecine, a partagé son histoire.

Nous vivions dans la peur (...) c'était une vie très très triste
Nadia Nadim, internationale danoise et joueuse du PSG

Vous publiez, le 2 juin, votre livre "Mon histoire" en français. La vôtre, justement, est unique. C'est un récit mêlant le triomphe à la tragédie. Qu'est-ce qui vous a poussé à coucher votre vie sur le papier ?

Tout le monde parlait de mon histoire, je pensais qu'il fallait que je la raconte avec mes propres mots. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu écrire ce livre. Dans le monde dans lequel nous vivons, vous voyez peu d'histoires positives. Je voulais donner de l'espoir aux enfants, qui sont dans la situation dans laquelle j'étais ou qui rencontrent des difficultés. J'avais aussi envie d'éduquer les personnes, qui peuvent avoir des préjugés, en leur racontant ce que j'ai traversé, ce que j'ai enduré pour en arriver là. Ce livre est une manière de leur dire : "Si vous leur donnez une seconde chance, elles peuvent vous surprendre." J'en suis la preuve vivante : j'ai eu une autre chance, j'ai surpassé mes difficultés et, aujourd'hui, j'aide la société.

Depuis mon arrivée en France (en janvier 2019, ndlr), mon passé a suscité de l'intérêt. Le PSG, mon club, où je me sens comme à la maison, m'a dit : "Nous devons sortir ce livre en français, ton histoire est universelle." J'ai réfléchi et j'ai répondu : "Pourquoi pas, sortons-le en français." Le publier, maintenant, est pertinent, je pense, avec l'actualité. Cette histoire, mon histoire, parle d'espoir, même dans les moments les plus sombres, de la nécessité de croire en soi et de ne jamais baisser les bras. Plus elle sera racontée et diffusée, plus il y a de chances que quelqu'un, quelque part, en ressortira quelque chose de bon.

Vous êtes née en Afghanistan. Quand vous aviez 10 ans, les Talibans ont convoqué votre père, Rabani, qui était un général de l'armée. Il s'est rendu à ce rendez-vous, mais il n'est jamais rentré à la maison... 

Nous avons appris sa mort très longtemps après. Une personne l'a dit à quelqu'un d'autre, et ainsi de suite, jusqu'à ce que ça nous revienne. L'un des officiers, qui était là-bas quand ils l'ont assassiné, a raconté ce qu'il s'était passé à mes grands-parents, qui l'ont ensuite dit à ma mère. Ma mère, qui n'avait pas encore 35 ans, est devenue folle. Elle a essayé de le chercher pendant plusieurs mois. Je n'ai jamais vu de corps ou de tombe. L'endroit, où les Talibans avaient l'habitude d'exécuter les gens, était un désert sauvage. Les animaux mangeaient les restes. Pendant très longtemps, je n'y ai pas cru. Je pensais qu'il allait réapparaître un jour. Dans mes yeux, il était ce général, une sorte de James Bond, puissant et immortel. Je me disais que ce n'était pas possible, mais tout doucement j'ai commencé à réaliser que je ne le reverrai plus jamais. 

Nadia Nadim (à gauche) lors de son enfance en Afghanistan, avant la mort de son père.
Nadia Nadim (à gauche) lors de son enfance en Afghanistan, avant la mort de son père. - NADIA NADIM / INSTAGRAM

Votre mère, Hamida, a découvert qu'il avait été tué, six mois plus tard. Vous avez survécu, avec vos quatre sœurs et votre mère, sous l'un des pires régimes pour la condition des femmes, où aller à l'école ou travailler étaient strictement interdits. Comment viviez-vous à ce moment-là ?

Tout a changé après la disparition de mon père. Avant la guerre et qu'il soit tué, les souvenirs que je garde sont ceux d'une vie calme, des moments heureux. Nous étions très protégées, nous avions une bonne vie. Après, tout s'est écroulé. On ne savait plus à quoi allait ressembler le futur, ce qu'il allait advenir de nous. On se posait des milliers de questions : "Est-ce que notre maison est sûre ? Combien de temps allons-nous vivre ainsi ? Est-ce quelqu'un va dénoncer notre mère et l'emmener loin de nous ?" Enfant, toutes ces pensées m'ont traversée. C'était dangereux d'être dehors. À chaque fois qu'on voulait sortir, il fallait toujours être accompagnée d'un homme. Nous vivions dans la peur qu'il nous arrive quelque chose, d'être tuées. C'était une vie très très triste, mais je suis heureuse et fière d'avoir eu une femme comme ma mère à mes côtés. Si elle avait été plus faible, qu'elle avait baissé les bras et abandonné, je n'aurais pas eu cette vie. Elle était jeune, elle aurait pu choisir une voie plus facile. Elle a choisi le chemin le plus dangereux pour nous donner, à mes sœurs et à moi, une autre chance dans la vie. Je lui en suis reconnaissante.

Votre mère a organisé votre fuite avec les économies de votre famille. Elle a payé des passeurs pour rejoindre l'Europe, dans l'espoir d'atteindre Londres, où vous aviez des proches. Ce long périple pour votre survie ne s'est toutefois pas terminé comme prévu. Vous avez été "jetées" au Danemark... 

"Jetées", c'est le mot qui convient. Nous avons pris l'avion au Pakistan pour l'Italie, avec des faux passeports. Ensuite, nous sommes montées à l'arrière d'un camion, qui devait nous emmener en Angleterre. On devait rejoindre de la famille à Londres. Il nous a finalement arrêtées au Danemark. Cela ne s'est pas fini comme on le voulait, mais ce n'était pas trop grave. Le plus important, c'est que nous étions saines et sauves. Nous étions en vie et nous pouvions avoir une nouvelle chance. J'ai toujours cru que si une chose arrive, c'est qu'elle arrive pour une raison. Bien évidemment, cela a été très difficile de tout quitter, d'abandonner derrière nous tout ce qu'on possédait. Vous avez des amis, une famille, une identité et vous arrivez ailleurs, en repartant de zéro. C'est sans doute la chose la plus difficile à laquelle on peut être confronté. Il a fallu d'abord réapprendre l'alphabet puis les mots, pour enfin comprendre comment la société fonctionnait... J'étais en décalage avec les enfants du même âge. Les mathématiques étaient mon seul pont avec ma vie d'avant. Pour tout le reste, j'avais l'impression d'être sur une autre planète. Tout était différent, alors j'ai baissé la tête et je me suis mise à travailler pour m'intégrer au plus vite.

Ma mère a joué un rôle extraordinaire dans ma vie
Nadia Nadim, internationale danoise et joueuse du PSG

Au Danemark, vous avez rejoint un camp de réfugiés, près d'Aalborg. C'est là, à 12 ans, que vous avez vu des petites filles jouer au football pour la première fois. En Afghanistan, votre père vous avait appris à taper dans le ballon, à l'abri des regards. Le foot était-il un moyen d'entretenir sa mémoire ?

Mon père était un grand fan de sports. Il aimait le football. Quand il nous a appris à jouer, mes sœurs et moi, ce n'était pas pour qu'on devienne footballeuse. Ça n'existait pas en Afghanistan. Il a juste vu qu'on s'y prenait mal et il nous a dit : "Non, non, vous êtes censées taper dans le ballon avec le pied !" Lorsque je suis arrivée au Danemark, la connexion s'est faite en moi. C'était naturel. Peut-être que le fait de me sentir, à nouveau, proche de mon père est l'une des raisons pour lesquelles j'ai commencé à jouer au football. C'est possible, mais, au moment où j'ai vu ses petites filles, balle au pied, j'ai surtout pensé : "Pourquoi ça ne serait pas moi ?". Quand vous êtes enfant, que vous voyez un nouveau jouet, vous voulez jouer avec. C'est ce que j'ai ressenti. Ce qui est beau, c'est que le football est venu à moi. J'ai découvert le jeu, j'ai commencé à m'entraîner dans la rue, partout. Petit à petit, après quelques mois, j'ai pris confiance jusqu'au jour où j'ai demandé de pouvoir jouer avec elles. J'ai eu de la chance qu'elles m'acceptent.

Parlons maintenant de votre mère, Hamida. Elle a été l'épaule sur laquelle vous avez pu vous reposer après l'assassinat de votre père. À quel point sa présence a été déterminante ? 

Ma mère a joué un rôle extraordinaire dans ma vie. Elle a planifié notre fuite pour nous donner une autre chance dans la vie. Ce que j'aime le plus avec elle, c'est qu'elle est ouverte d'esprit. Même si elle n'a jamais vu des filles jouer au football lorsque nous vivions en Afghanistan, elle m'a laissée faire parce que j'étais heureuse. Quand j'avais 17 ou 18 ans, ses amies lui demandaient : "Pourquoi elle fait ça ?" Elle me répondait : "Ne t'inquiètes pas, mais fais en sorte qu'elles ne te voient pas." (rires) Ma mère ne comprenais pas le football, elle ne le comprend toujours pas aujourd'hui, mais elle m'a vue heureuse. Pour elle, c'était l'essentiel. Des fois, il y a des murs qu'on ne voit pas autour de nous. Certains ont plus que d'autres. Votre prison est probablement différente de la mienne. C'est toujours difficile de s'échapper de ces murs, cela demande beaucoup d'efforts. Encore, encore et encore. Je pense que je suis née dans un endroit avec beaucoup de murs. J'ai essayé de les faire tomber, un par un. Elle m'a aidée, à sa manière.

Nadia Nadim est devenue la première joueuse étrangère à porter le maillot de l'équipe nationale du Danemark.
Nadia Nadim est devenue la première joueuse étrangère à porter le maillot de l'équipe nationale du Danemark. - HENNING BAGGER / RITZAU SCANPIX / AFP

Votre histoire est aussi un exemple d'intégration. En 2008, vous avez obtenu la citoyenneté danoise. Un an plus tard, vous êtes devenue la première joueuse étrangère à représenter l'équipe nationale. Vous êtes érigée en modèle. Êtes-vous consciente d'être une source d'inspiration pour les petites filles ?

Oui, absolument. La raison pour laquelle je parle de ma vie, comme je vous l'ai dit, c'est parce que je veux leur dire qu'il y a de l'espoir. La vie peut craindre pour n'importe quoi. Il n'y a pas besoin d'être une réfugiée. Cela peut toucher n'importe qui, qui passe par des moments difficiles, mais on doit toujours se rappeler que c'est temporaire. Rien ne dure pour toujours. Si vous avez cet état d'esprit, que vous pensez que vous pouvez surpasser ces obstacles, tout est possible. Je veux inspirer les enfants à travers le monde, leur dire d'avoir de grands rêves et de les suivre. Si on ne croit pas en soi, personne d'autre ne le fera. 

C'est important de se souvenir de ses racines, de qui on est. J'ai vécu des instants compliqués. J'ai de la sympathie et de l'empathie pour les gens qui vivent ou ont vécu la même chose. Mes moments difficiles ne sont pas plus durs que les vôtres. Tout est relatif. En tant qu'être humain, je veux aider le maximum de personnes. C'est l'approche que j'ai. Où que j'aille, je veux leur apporter un rayon de soleil.

Vous êtes engagée. L'Unesco vous a choisi en 2019 pour être une ambassadrice pour l'éducation des filles et jeunes femmes. Le sport est-il, selon vous, un outil pour favoriser l'intégration ? 

Le sport, peu importe lequel, est apprécié de toutes et tous. Prenez le football, par exemple. C'est probablement le sport qui est le plus aimé dans le monde. Si vous voulez apporter le changement, c'est dur de dire : "Il faut faire ça, ça et ça". Les gens vous rétorqueront : "Non, c'est ton problème, pas le nôtre". Vous devez toujours le faire d'une façon qu'ils puissent comprendre. Le football est un outil génial pour éduquer. En laissant les filles jouer, soudainement, ça leur donne une autre dimension. Elles vont apprendre leur corps, prendre confiance... Le sport en général a beaucoup de pouvoirs. Je le vois être de plus en plus être utilisé pour faciliter l'intégration. Avec le football, j'avais des amis avant même de savoir parler la langue.

Je connais l'importance d'une main tendue
Nadia Nadim, internationale danoise et joueuse du PSG

Vous n'êtes pas que footballeuse. En parallèle, vous étudiez la médecine, plus précisément la chirurgie réparatrice. Comment arrivez-vous à concilier le football et vos études médicales ?

Ce n'est pas facile, je ne vais pas vous mentir. Ce sont deux mondes totalement différents. Je ne connais pas d'autre footballeuse ou footballeur qui étudie pour devenir docteur. J'aime le football, j'ai toujours fait du sport, ça me rend heureuse. C'est ma liberté, mais je sens au fond de moi que j'ai les capacités et les compétences pour faire plus. J'ai reçu de l'aide dans ma vie et je connais l'importance d'une main tendue. Je veux faire la même chose pour mon prochain. En tant que docteure, nous sommes dans une position incroyable de pouvoir sauver des vies. Je sais que ça peut sonner un peu cliché, mais je pense qu'avec la volonté, on peut bouger des montagnes. Petit à petit, pas après pas, je prends cette direction.

Votre après-carrière semble tracée. Vous allez exercer la chirurgie. Savez-vous déjà où ?

Ce ne sera pas seulement au Danemark. Je suis admirative de l'association Médecins sans frontières, pour qui j'aimerais travailler. Ce serait un grand honneur. Dans mon monde rêvé, j'aimerais travailler en tant que docteure et garder un pied dans le monde du football, d'une façon ou d'une autre. Je pourrais peut-être collaborer avec la Fifa, l'UEFA ou une autre Fédération, si l'on veut bien de moi. Je veux rendre le football plus grand qu'il ne l'est et l'amener là, où il ne s'est pas encore imposé. C'est ce que je souhaite. Le sport a beaucoup de bénéfices : il peut changer profondément une société et permettre de s'émanciper.

"Mon Histoire, de réfugiée afghane à superstar du foot", parue le 2 juin aux éditions Marabout.

Prix : 18,90 euros. 


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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