Brexit : goodbye United Kingdom

Privé de son Eldorado anglais, le football français "grand perdant" du Brexit

Publié le 6 février 2021 à 8h00, mis à jour le 8 février 2021 à 10h26
Avec les règles du Brexit, Niels Nkounkou n'aurait pas signé à Everton.

Avec les règles du Brexit, Niels Nkounkou n'aurait pas signé à Everton.

Source : JON SUPER / POOL / AFP

DÉCRYPTAGE - Déjà éprouvés par la crise du Covid et la bataille autour des droits télévisés, les clubs tricolores, premiers exportateurs de joueurs outre-Manche, voient une autre source de leurs revenus vaciller avec le Brexit. Yvan Le Mée, agent de joueurs, et Luc Arrondel, économiste du sport, analysent ses premiers effets pour LCI.

On l'aurait presque oublié. En cette période morose, où l'actualité est vampirisée par le Covid, le Brexit est entré en application. Et si les économistes estiment que ses conséquences s'échelonneront dans le temps, ses effets collatéraux immédiats sont déjà visibles sur le football. Depuis le 1er janvier 2021, de nouvelles règles du jeu, plus contraignantes, régissent le marché des transferts européen. 

Sortie du marché de la libre circulation, la Premier League, le richissime championnat d'Angleterre, qui écrase économiquement l'Europe du football, doit se conformer à une nouvelle réglementation. Finis, les recrutements à coups de millions ; finis, les transferts lucratifs qui ont longtemps fait les affaires des clubs, des joueurs et des agents français. "Le marché anglais, c'était l'Eldorado", confirme à LCI Yvan Le Mée, agent de footballeurs. "C'est le championnat où nos clients, les joueurs, veulent aller en priorité. La Premier League fait rêver. C'est un marché où il y a de l'argent, où il est facile de travailler et d'évoluer. C'était un peu la poule aux œufs d'or pendant des années. Les Anglais étaient les donneurs d'ordre du marché." 

En attendant l'été, toujours plus prolifique en matière de transferts, la fenêtre hivernale, qui s'est refermée le 1er février, a permis de se faire une idée plus concrète des premiers effets du Brexit. "Ça m'a rendu la vie un peu plus difficile", a reconnu Sam Allardyce, l'entraîneur de West Bromwich, en quête de renforts pour sauver les Baggies de la relégation. Habitué à faire ses emplettes dans les championnats étrangers, où il dégote parfois de bonnes affaires, "Big Sam" a vu ses plans contrariés. "J'ai déjà trouvé trois joueurs capables de venir ici et ils ne sont pas autorisés", a-t-il regretté. "En raison de la nouvelle réglementation en termes de permis, ils n'ont pas pu venir dans ce pays, alors qu'ils l'auraient fait auparavant."

La nouvelle réglementation va faire et défaire des carrières

Yvan Le Mée, agent de joueurs

Depuis l'entrée en vigueur du Brexit, les joueurs issus de l'UE doivent en effet obtenir un permis de travail, le Governing Body Endorsment (GBE), pour avoir le droit d'évoluer en Premier League ou en Championship, l'équivalent de la Ligue 2. "Celui-ci s'obtient à travers un système de points, 15 au total, calculés en fonction du nombre de sélections, de minutes jouées, etc.", nous explique l'économiste du sport Luc Arrondel. Des joueurs de la trempe de Kylian Mbappé, Neymar ou Memphis Depay, ou encore l'ex-Marseillais Morgan Sanson, transféré à Aston Villa dans les derniers jours du mercato hivernal, n'ont pas de souci à se faire. En revanche, un joueur titulaire en Ligue 2 rencontrera plus de problèmes pour l'acquérir. "En gros, sur dix joueurs, si on arrive à en faire signer trois, c'est le bout du monde", lâche Yvan Le Mée. "Avec le problème économique lié à la crise du Covid, plus la nouvelle réglementation, ça va devenir un vrai miracle de transférer un joueur en Angleterre. Les tickets pour aller jouer là-bas vont coûter encore plus chers."

Avec ce nouveau barème, parmi les joueurs étrangers du championnat anglais, nombreux sont ceux qui n'auraient pas pu faire le grand saut. "Concrètement, cet été, j'ai fait signer Niels Nkounkou à Everton et Anthony Gomez Mancini à Burnley. Depuis le 1er janvier, ce sont deux jeunes qui n'auraient plus cette possibilité", nous assure le représentant de l'international Ferland Mendy. "Les trajectoires auraient été différentes. L'un ne jouait pas à l'OM, il a fait cinq matchs avec Ancelotti. L'autre n'avait pas de temps de jeu à Angers, il a fait trois bancs en Premier League. C'est pareil avec Famara Diedhiou. Aujourd'hui, il serait dans l'incapacité de signer d'Angers à Bristol (en Championship), alors qu'il claque quinze buts par saison chaque année. Ce qui est incroyable, c'est que ça va faire et défaire des carrières." 

Des exemples plus clinquants permettent de s'en convaincre. Quelques années plus tôt, des joueurs au palmarès largement garni par leur passage en Premier League n'auraient tout simplement pas pu traverser la Manche. Fort d'une saison en Ligue 1 avec Lorient, l'ex-international français Laurent Koscielny n'aurait pas rempli les critères nécessaires pour être recruté par Arsenal en 2010. De la même façon, N'Golo Kanté, révélé à Caen en 2015, aurait dû patienter avant de faire le bonheur de Leicester.

Moins de joueurs français à l'export

Toujours encline à dénicher de très jeunes pépites au-delà de ses frontières, la Premier League, repassée dans le giron de la Fifa, a désormais l'interdiction formelle de recruter des mineurs étrangers. Plus de Paul Pogba, recruté à 17 ans par Manchester United, ni de Nicolas Anelka, mineur au moment de signer à Arsenal. Une évolution qui ne contrarie pas Yvan Le Mée. "Je ne suis pas fan de signer des moins de 18 ans en Angleterre. La vie y est très difficile pour un jeune Français. (...) En Italie, à cet âge-là, je sais qu'ils vont me finir le joueur tactiquement et techniquement, ce n'est pas le cas en Angleterre. Les académies ne sont pas bonnes. Quand j'envoie un joueur, c'est qu'il est prêt à jouer en Premier League. Je pense à Sofiane Boufal à Southampton, Gaël Clichy à Arsenal, Bruno Ecuele Manga à Cardiff...", énumère-t-il. Toujours est-il que cette nouvelle mesure va, prédit-il, "impacter un peu plus l'économie du football"

Pour se convaincre de l'ampleur du problème pour les clubs anglais, on peut relever ce chiffre, dévoilé par le Daily Telegraph, 591 des 1022 signatures de l'Espace économique européen depuis 1992 n'auraient pas abouti avec les nouvelles règles prévues par le Brexit. Sans parler de cette dernière règle, spécifique à la Premier League, qui limite l'achat de joueurs de moins de 21 ans. Depuis le 1er janvier, les clubs ne peuvent en recruter que trois par mercato, et jamais plus de six par saison. "Tout ça, forcément, va réduire l'exportation des joueurs français vers l'Angleterre", anticipe Luc Arrondel. 

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Le modèle du foot français pris au piège

Une difficulté supplémentaire pour la France, plus gros exportateur de joueurs outre-Manche avec 1,25 milliard d'euros de ventes réalisées entre 2010 et 2019, selon l'Observatoire du Sport Business. "L'année qui vient, la Ligue 1 les cumule. Entre l'arrêt du championnat, où on s'est tiré une balle dans le pied, la crise du Covid, la défection de Mediapro et le Brexit, ça commence à faire beaucoup pour le foot français", énumère le directeur de recherche au CNRS, qui ne cache pas ses inquiétudes... au-delà de l'élite du foot tricolore. 

La Ligue 2, qui marchandait beaucoup avec le Championship, est aussi menacée. "Elle ne pourra plus valoriser et faire monter les prix comme elle le faisait. Ce sont les clubs anglais qui faisaient les valeurs. Aujourd'hui, il n'y aura plus de baromètre des prix anglais. Au-delà de la crise, les prix transferts seront tirés vers le bas", prédit Yvan Le Mée, qui craint le développement d'une économie parallèle néfaste pour le football français. "Les clubs anglais ont tous quasiment un club satellite", poursuit-il. "Ils vont aller acheter en Ligue 2, iront stocker les joueurs en Ligue 1, à Troyes pour Manchester City, par exemple, ou en Belgique pour qu'ils puissent obtenir les points nécessaires à l'obtention du permis de travail. Ça va être un marché de passerelles", à l'image de la galaxie Red Bull avec ses clubs, Leipzig et Salzbourg. "Ce n'est pas bon pour les clubs français. Il vaut mieux que ce soit Arsenal qui vienne en frontal acheter le petit Guendouzi à l'époque, plutôt qu'Arsenal l'achète par sa filiale en Belgique pour le récupérer après."

L'Italie et l'Allemagne seront les locomotives post-Brexit et post-Covid

Yvan Le Mée, agent de joueurs

Le futur que l'on nous décrit à l'ère du Brexit semble si noir qu'on en vient à se demander si le football français peut en espérer quelque chose de bon. Peut-être de pouvoir garder les jeunes plus longtemps pour, à terme, augmenter la qualité de la Ligue 1 ? "On peut rêver", raille l'économiste du sport Luc Arrondel. En effet, cela voudrait dire que les clubs de l'Hexagone, dont l'économie repose essentiellement sur le trading, soient en capacité de faire évoluer leur modèle de fonctionnement pour retenir leurs joueurs, par exemple, en leur offrant des salaires plus alléchants. "C'est toujours un arbitrage entre victoire et profit", pose-t-il. "Si vous assurez les profits, c'est au détriment des victoires en général." 

Les clubs anglais désormais sur la touche, il y a de fortes chances que le marché français se tourne vers d'autres pays, où les zéros s'alignent moins facilement sur le chéquier. "Les deux locomotives en termes de signature de joueurs post-Brexit et post-Covid seront l'Italie et l'Allemagne", estime Yvan Le Mée, parti justement faire le tour de la Botte, courant janvier, "pour expliquer aux clubs que c'est le moment pour eux d'aller chercher les joueurs en France". "Avant quand les Italiens étaient prêts à payer 3 ou 4 millions d'euros, les Anglais débarquaient avec 7 ou 8. Ils nous disaient qu'ils ne pouvaient pas s'aligner. Aujourd'hui, ils ne les ont plus en frontal sur le marché des 18, 19 ou 20 ans. Ils risquent de devenir donneurs d'ordre comme l'étaient les Anglais. La France, en revanche, va beaucoup souffrir du Brexit. Les clubs français vont être les grands perdants de cette histoire."

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Yohan ROBLIN

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