INTERVIEW - À partir de mercredi 4 août, Julia Chanourdie va disputer la toute première médaille d'or olympique d'escalade. La grimpeuse tricolore, aussi à l'aise en salle qu'en falaise, ambitionne de finir avec une médaille autour du cou à Tokyo.
Elle rêve de grimper sur l'Olympe. Pour les grands débuts de l'escalade aux Jeux, l'un des quatre nouveaux sports à faire son apparition à Tokyo - avec le surf, le skateboard et le karaté - Julia Chanourdie veut rentrer dans l'histoire de son sport. Par la grande porte, si possible. À 25 ans, la grimpeuse originaire d'Annecy, l'une des trois seules femmes à avoir réussi l'ascension d'une voie cotée 9b, le plus haut niveau de difficultés, va s'attaquer à un combiné de trois disciplines (vitesse, difficulté et bloc). À partir de mercredi 4 août, elle compte bien saisir sa chance sur les voies artificielles de la mégapole japonaise.
Tombée dans l'escalade lorsqu'elle était petite, comme Obélix dans la potion magique, la spécialiste de la difficulté, la discipline la plus fidèle à l'esprit de la falaise, s'est donnée les moyens de son ambition pour ses premiers Jeux. Avant son départ pour Kurayoshi, à 700 km de Tokyo, où l'équipe de France d'escalade a installé son camp d'entraînement avant de rejoindre le village olympique, LCI a pu échanger longuement avec celle qui représente une chance de médaille française.
Vous allez participer à vos premiers Jeux à Tokyo. Accomplissez-vous un rêve ?
Tout à fait ! C'est un truc de fou, c'est magique. C'est la première fois que l'escalade aux Jeux. Je regarde les JO à la télévision depuis toujours, je suis à fond à chaque fois. Quand j'ai su que mon sport allait être au programme, je me suis dit : "Il faut que je tente ma chance". Ça a marché, je me suis qualifiée comme première Française, donc j'ai juste hâte. Évidemment, ce ne sera pas les Jeux qu'on imagine, ceux qu'on voit habituellement, mais au moins ils ont lieu. Il faut être positif et accepter tout ce qui nous arrive. L'essentiel, c'est d'y être. Vu que je n'ai jamais connu les Jeux avant, je me dis que je ne vais pas avoir de point de comparaison. Celles et ceux qui ont déjà participé vont voir la différence, pour le coup, moi non.
Au village olympique, vous allez croiser de grands noms du sport que vous regardiez plus jeune...
Ça fait effectivement partie du folklore. Depuis toute petite, j'ai toujours été fan de la sprinteuse américaine Allyson Félix. Jusqu'à mes 14 ans, j'ai fait autant d'athlétisme que d'escalade. Je me suis toujours inspirée de son attitude et de sa prestance. Elle fait partie des sportifs que j'aimerais bien rencontrer. Peut-être qu'on viendra me voir aussi. L'escalade, c'est bête, mais ça attire. Ça perturbe, on a envie de comprendre. En tout cas, ça risque d'être impressionnant. Ce n'est peut-être pas si mal que les Jeux se déroulent de cette façon, parce qu'il est assez facile de se déconcentrer et de s'éparpiller.
Qu'est-ce qui vous a décidé à choisir l'escalade plutôt que l'athlétisme ?
J'ai toujours eu une préférence pour l'escalade. C'est ce qui me plait le plus. J'y mets plus de cœur, je ressens plus de sensations, je peux le pratiquer en salle comme en extérieur... Mon choix s'est fait hyper naturellement et puis, à un moment, je ne pouvais pas continuer à faire les deux. Dans le fond, j'ai toujours préféré la grimpe, j'ai toujours aimé évoluer dans ce sport-là, même si sur le papier, c'était un sport peu médiatisé. J'ai fait mon choix par passion.
Vous êtes une chance de médaille française. Vous êtes-vous fixé cet objectif ?
Je rêve d'une médaille. Il faut savoir que l'escalade aux JO sera un combiné de trois disciplines. Ça va être une compétition assez aléatoire, parce que chaque discipline est très différente. Il peut se passer tout et n'importe quoi, mais il faut y croire. Il y a vraiment moyen d'aller chercher la médaille d'or. Le format proposé fait qu'il peut y avoir un retournement de situation jusqu'à la dernière épreuve. J'y vais préparée, j'y vais motivée pour gagner. Il faut que je me mette ça dans la tête, parce que ce n'est pas si simple de dire "je veux gagner". Je dois travailler là-dessus pour arriver la plus confiante possible le jour J.
Petite, je pensais que tout le monde grimpait comme on marche ou court
Julia Chanourdie, grimpeuse tricolore
Parlons un peu de vous. Comment en êtes-vous venue à l'escalade ?
C'est de famille. Mes parents tenaient une salle d'escalade sur Annecy. Je suis un peu tombée dedans étant petite. Dès mes premiers pas, je commençais à me pendre aux prises. Il paraît que lorsque j'étais petite, je pensais que tout le monde grimpait comme on marche ou court. Ça veut dire bien que c'était comme inné pour moi. Mes parents ne nous ont pas forcées. C'était plus une évidence d'être dans la salle. Même après l'école, on avait l'habitude d'y aller, c'était à côté. C'était notre salle de jeu, avec ma petite sœur. Mes parents nous ont vite mises dans la grimpe intérieure, mais aussi extérieure. J'ai touché à la compétition dès mes 8 ans. Ça m'a plu, j'étais très compétitrice dès le plus jeune âge. Petit à petit, mon père est devenu mon entraîneur. Ça s'est fait très naturellement. On s'entendait bien, on s'entend toujours bien. Tant mieux, ça marche. J'ai un peu gravi les échelons, jusqu'à en faire aujourd'hui mon métier, ma passion encore. J'ai réussi à me qualifier pour les JO.
Comment ça se passe avec votre père ? Il y a une part d'affect qu'il n'y a pas forcément ailleurs...
Il y a eu des périodes compliquées, l'adolescence notamment. Ce n'était pas simple, mais on a bien géré, parce qu'on a beaucoup communiqué et discuté de ce qui allait ou n'allait pas. On s'est interrogé sur la façon dont je devais le voir à l'entraînement. Est-ce que c'était mon père ou mon entraîneur ? Au final, je préfère qu'il intervienne un peu comme un papa. C'est difficile de mettre l'affect de côté, justement. C'est quasiment impossible. C'est à moi d'accepter les critiques et c'est à lui de faire attention à ce qu'il dit. Il doit faire un peu plus attention avec moi qu'avec une personne de l'extérieur. C'est normal, parce que ça va plus me toucher. On a appris à cohabiter pour que ça marche. Après, on n'est pas tout le temps ensemble. Je fais ma vie, je sais me gérer, j'ai de l'expérience. Si j'ai besoin de lui, à certaines périodes, je sais qu'il sera là, mais on a chacun notre monde. C'est ce qui est sain aussi, parce que ça peut vite devenir conflictuel d'être tout le temps collés l'un à l'autre.
Cela doit aussi être un plaisir supplémentaire de se dire qu'on gagne en famille.
C'est sûr ! Je fais 100% confiance à mon père, il me connaît par cœur. Je sais que c'est la famille. C'est génial quand il est avec moi en compétition. Je sens son soutien. Et puis, que je réussisse ou pas, que je gagne ou pas, je peux aller dans les bras de mon papa. Ça peut paraître bête, mais j'ai besoin de ce côté familial. En tout cas, c'est important pour moi.
Pour durer, il faut savoir être à la cool par moments
Julia Chanourdie, grimpeuse tricolore
Vous avez la particularité de grimper en salle et sur falaise. Vous étiez la première Française à passer du 9a+. En novembre 2020, vous êtes devenue la troisième femme de l'histoire à réussir une voie cotée 9b, le plus haut niveau niveau féminin de difficulté en escalade sportive. Que vous apportent vos sessions en falaise ?
J'ai besoin des deux domaines pour mon équilibre de vie de grimpeuse. Ce que je fais en falaise m'apporte beaucoup pour la compétition, parce que je vais chercher des niveaux extrêmes. Quand j'ai fait le 9b, je suis allée taper dans le plus haut niveau féminin. Forcément, ça m'entraîne et ça me fait progresser. La falaise m'aide dans la gestion de mes émotions. On essaie, on n'y arrive pas, on y retourne. Ça peut durer plusieurs jours, parfois plusieurs mois. C'est un travail qui va loin dans l'obsession de réussir. Pour préparer les JO, je ne pouvais difficilement faire que de la falaise. Je me suis focalisée sur les trois disciplines. Il a fallu que je travaille ma voie de vitesse, qui est tout le temps la même. La même chose pour le bloc, où ce sont des mouvements particuliers qu'il a fallu apprendre et comprendre. Mais il est évident que les périodes de falaise m'ont beaucoup apportée. Ça m'endurcie d'être dehors, d'avoir hyper froid et mal aux doigts. Ce sont des conditions rudes qu'il faut apprécier. C'est pour ça que tout le monde ne fait pas les deux. Il faut aller chercher un surplus de motivation.
Votre père Éric a dit que vous étiez loin de vos limites après le 9b. Ressentez-vous la même chose ?
Ce sont souvent les autres qui pensent que je peux aller plus loin. Je ne me rends pas toujours compte de ce que je peux faire, mais je suis comme ça. Quand j'ai fait le 9b, mon copain était là, avec moi. Je l'ai fait très vite. J'ai essayé, j'étais impressionnée, j'avais peur, mais je me suis prise au jeu. Je l'ai réussi en dix jours, c'est un délai très court, donc ça veut dire que je peux aller plus loin et travailler sur plus dur. Je dois prendre conscience que je peux faire plus, en falaise comme en compétition. Oui, effectivement, peut-être plus tard, j'irai voir du 9b+. Pourquoi pas après les Jeux olympiques.
À vous écouter, il y a beaucoup de travail, mais aussi du plaisir. L'escalade est un jeu pour vous ?
J'aime ce sport, même si l'entraînement, ce n'est pas toujours rigolo. Ça peut être dur, mais il faut que je me bouge les fesses pour travailler. Oui, j'ai toujours eu un fonctionnement, et c'est aussi grâce à mon père. Je fonctionne à l'envie et au feeling. Si je sens que je dois aller en falaise, comme après ma qualification olympique où je m'étais tapée une année de compétitions, je ne me prive pas. Tous les week-ends, j'étais en falaise à travailler ma voie et la semaine, je m'entraînais pour les Jeux olympiques qui devaient avoir lieu en août 2020. J'adorais ce fonctionnement, j'avais des semaines hyper variées, très fatigantes, mais au moins je pouvais faire ma petite vie. C'est ma façon de fonctionner, mais c'est mon équilibre. Il y a des côtés bien, mais aussi moins bien, parce que je m'organise souvent au dernier moment. Je prévois à peu près, mais je me laisse de la liberté, en fonction de mes besoins du moment. Pour durer, il faut savoir être un peu à la cool par moments.
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