INTERVIEW - Voulant en finir avec l'omerta qui règne dans le milieu, plusieurs anciennes patineuses et nageuses accusent, à visage découvert, d'anciens entraîneurs d'agressions sexuelles et de viols lorsqu'elles étaient mineures. La présidente du Comité éthique et sport, Véronique Lebar, nous dépeint une réalité glaçante.
La parole des femmes agressées se libère. Un mois après l'enquête du média Disclose et l'émission "Envoyé Spécial" sur la pédophilie dans le sport, le quotidien L'Équipe sort un grand dossier, avec des témoignages édifiants, sur les agressions sexuelles dans le milieu. D'anciennes patineuses et nageuses, mineures pour la plupart au moment des faits, relatent les violences infligées par leurs entraîneurs. Parmi les prises de parole, la décuple championne de France de patinage artistique Sarah Abitbol affirme dans L'Obs avoir été violée à plusieurs reprises, entre 1990 et 1992, alors qu'elle était âgée de 15 à 17 ans.
Dans un milieu exigu où oser parler de ce qu'on a subi peut souvent signer la fin d'une carrière, cette libération de la parole est fortement encouragée par Véronique Lebar, la présidente du Comité éthique et sport. Jointe par LCI, elle ne s'étonne pas de la multiplication de telles affaires dans le sport de haut niveau. Selon elle, toutes les disciplines, sans exception, sont touchées par ces dérives.
Beaucoup de choses connues sont tues et cachées
Véronique LEBAR, présidente du Comité éthique et sport
LCI : L'Équipe et L'Obs publient mercredi les témoignages d'anciennes patineuses et nageuses affirmant avoir été abusées sexuellement par leurs entraîneurs alors qu'elles étaient mineures. Ces nouvelles révélations vous ont-elles surprise ?
Véronique LEBAR : Cela ne me surprend pas outre mesure. Ces cas-là, on les connaît. On en parlait depuis des années. On savait qu'il y avait pas mal de soucis, notamment en ce qui concerne le patinage. Ça a toujours été couvert. Il y avait un espèce de consensus qui faisait qu'il ne fallait que cela sorte. Là, c'est rendu public. C'est bien que cela arrive maintenant. C'est l'après #MeToo, en quelque sorte. Mais, contrairement à ce que titre L'Équipe, je ne pense pas que ce soit, à proprement parler, la fin de l'omerta.
LCI : Deux sportives victimes d'agressions sexuelles, la lanceuse de marteau Catherine Moyon de Baecque en 1993 et la tenniswoman Isabelle Demongeot en 2005, avaient pourtant lancé l'alerte. Pourquoi rien n'a changé après elles ?
Véronique LEBAR : Elles se sont battues pour être entendues et écoutées. On a été obligés de s'intéresser à leur parole parce qu'elles ont crié leur histoire haut et fort. Mais le monde du sport, en tout cas à l'époque, a été très content d'enfouir tout ça. Ces témoignages n'ont pas entraîné une véritable prise de conscience. Une telle volonté aurait peut-être un peu trop remué les fondements du sport. Certaines personnes, heureusement pas la majorité, ne veulent pas que cela s'ébruite. Le sport est un petit milieu. Tout se sait. Il y a beaucoup de choses connues en interne au niveau des Fédérations, qui sont tues ou cachées. De telles affaires sont lourdes et peuvent aisément mettre à mal une Fédération ou certaines personnalités.
Il y a des cas recensés dans tous les sports
Véronique LEBAR, présidente du Comité éthique et sport
LCI : Dans son enquête sur les violences sexuelles en milieu sportif, parue en décembre dernier, le média Disclose a recensé 28 disciplines sportives concernées par ces agissements. Y a-t-il des disciplines plus touchées que d'autres ?
Véronique LEBAR : Cela existe dans tous les sports. C'est d'ailleurs confirmé par le rapport de Greg Décamps de 2009 (sur l'état des lieux des violences sexuelles dans le sport en France, ndlr). Il y des cas recensés dans toutes les disciplines, olympiques ou non, et quel que soit le niveau de performance. Je ne dirai pas que c'est une question de sport, mais plutôt de personne. Un individu formé dans une discipline peut profiter de la proximité qui est tacite dans le sport pour s'approcher de façon malsaine des sportives. C'est vrai qu'en natation ou en gym, les corps sont plus dénudés. Ce sont aussi des disciplines à maturité précoce, avec des enfants moins aptes à réagir et plus fragiles. Mais il est évident que cela touche tout le monde, même les sports les plus confidentiels comme le twirling bâton ou le roller. Plus le niveau de performance augmente, plus la nature de la maltraitance augmente.
LCI : Ces nouveaux témoignages au compte-gouttes ont le bénéfice d'exister et de mettre des mots sur des violences subies. Peuvent-ils être le point de départ d'un mouvement #MeToo dans le sport ?
Véronique LEBAR : J'espère me tromper, mais je ne pense pas. Il y a des facteurs relatifs au sport qu'il faut prendre en compte. Quand un sportif parle, quelque part dans sa tête, c'est une façon de s'avouer vaincu. Quand on est sportif, on tient contre vents et marées, contre la maladie et la méforme. De fait, souvent, les sportifs intériorisent les agressions et les violences sexuelles et les perçoivent comme un nouvel obstacle. Ils doivent serrer les dents pour le traverser. C'est quelque chose qui n'existe pas dans un autre milieu. C'est aussi cette forme d'auto-censure qui fait qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas parler.
LCI : Derrière cette crainte de parler, il y a aussi la peur que tout s'arrête du jour au lendemain...
Véronique LEBAR : C'est le cas de Sarah Abitbol (l'ex-patineuse affirme avoir été violée plusieurs fois alors qu'elle était âgée de 15 à 17 ans par Gilles Beyer, son entraîneur, ndlr). Très régulièrement, les sportives de haut niveau attendent la fin de leur carrière pour oser parler. Elles savent pertinemment qu'au moment où elles vont oser pointer du doigt leur entraîneur ou leur Fédération, peu importe, elles seront sorties du groupe. Il ne faut pas oublier que la majorité des personnes concernées sont des enfants, des adolescentes ou des jeunes adultes. Leur identité passe par le groupe. Le sport, c'est toute leur vie.
La France a 50 ans de retard sur ce sujet
Véronique LEBAR, présidente du Comité éthique et sport
LCI : Le Comité éthique et sport, que vous présidez, prend en charge des victimes de maltraitances dans le sport. Depuis l'émergence du mouvement #MeToo en 2017, avez-vous noté une hausse du nombre de prises en charge que vous effectuez ?
Véronique LEBAR : Pour certaines raisons, j'ai l'impression que l'omerta est beaucoup plus importante dans le sport qu'ailleurs. Nous avons constaté une augmentation régulière des appels sur notre numéro gratuit (01.45.33.85.62) dédié à ces cas-là. Mais il n'y a pas eu d'explosion, non. Il ne faut pas perdre à l'esprit que le sport est un milieu très particulier. J'espère que nous allons arriver, un jour, à avoir une parole libérée par rapport aux sportives victimes d'agressions sexuelles. Mais je ne pense pas que ça arrivera vite.
LCI : Sur cette question, considérez-vous que la France accuse du retard sur ces voisins ?
Véronique LEBAR : Très clairement. À titre de comparaison, les Anglais sont les "champions" de la libération de la parole et de la prise en charge des victimes. Il paraît qu'ils sont très en avance sur toute la lutte contre les maltraitances. La parole s'est libérée beaucoup plus tôt. On a pu le voir avec le scandale des affaires d'abus sexuels et de pédophilie qui a secoué le football anglais. La France compte bien 50 ans de retard. Je vous rappelle que la précédente ministre des Sports, Laura Flessel, disait : "Les violences sexuelles n'existent pas dans le sport". L'acceptation, reconnaître que "oui ça existe", c'est très récent.
Trouver des solutions, cela ne se fait pas en cinq ans
Véronique LEBAR, présidente du Comité éthique et sport
LCI : Que doivent mettre en oeuvre les pouvoirs publics pour rattraper ce retard ?
Véronique LEBAR : C'est un problème de fond. Les pouvoirs publics devraient réunir autour de la table des experts médicaux et des spécialistes de ces questions pour travailler à des solutions pensées au-delà des cinq ans de leur mandat. C'est un travail qu'il faut faire avec beaucoup de rigueur et de professionnalisme. Le rapport de Greg Décamps sur le sujet date de 2009. Même s'il l'a réactualisé en 2014, il est quand même assez ancien. Trouver des solutions, cela ne se fait pas en cinq ans. C'est un travail qu'il faut penser. Il faut prendre le temps et poser les fondations pour apporter une réponse efficace.
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