Tokyo 2021 : des JO sous le signe du Covid

Simone Biles et ses "démons" : l'épineuse question du mal-être psychique des sportifs

Publié le 28 juillet 2021 à 10h35
La gymnaste américaine Simone Biles est incertaine pour la suite des Jeux de Tokyo.

La gymnaste américaine Simone Biles est incertaine pour la suite des Jeux de Tokyo.

Source : LOIC VENANCE / AFP

PSYCHOLOGIE - En révélant avoir devoir "faire face à ses démons", la gymnaste américaine Simone Biles a remis sur le devant de la scène la question du mal-être psychologique des sportifs, souvent ignoré et minimisé. Avant la quadruple championne olympique, d'autres sportifs avaient aussi fendu la carapace.

Un sportif de haut niveau a-t-il le droit d'aller mal ? Mercredi 28 juillet, au lendemain de son retrait de la compétition de gymnastique par équipes aux Jeux de Tokyo, Simone Biles a annoncé son forfait pour le prestigieux concours général, prévu jeudi 29 juillet. L'Américaine de 24 ans a révélé ses tourments et ses maux intérieurs, expliquant devoir "faire face à ses démons" et ne plus avoir autant "confiance" en elle qu'avant. "Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale", a expliqué la quadruple championne olympique à Rio, entre sanglots et sourires.

Avant Biles, une autre sportive de renom, Naomi Osaka, a craqué cette année durant un grand rendez-vous. La joueuse de tennis japonaise, dernière porteuse de la flamme olympique, avait surpris en mai dernier le monde entier à l'occasion de Roland-Garros, en refusant d'abord de participer à la moindre conférence de presse, avant de décider de quitter prématurément le tournoi. La numéro 2 mondiale s'était justifiée pour le fait d'avoir "traversé de longues périodes de dépression depuis l'US Open 2018" - son premier sacre en Grand Chelem - et avoir "eu beaucoup de mal à s'en remettre". 

Une prise de parole qui avait rebraqué les projecteurs sur les problèmes psychologiques, burn-out et dépressions des sportifs au cours de leurs carrières. Des maux rarement révélés, tabous, souvent moqués et dénigrés. Car, dans l'imaginaire collectif, un champion ne craque pas, est forcément plus fort que les autres, son physique et son mental ne peuvent pas être défaillants. Pourtant, les raisons d'aller mal sont nombreuses : médiatisation précoce, pression trop forte, surentraînement, repos trop rare, difficultés à gérer une défaite ou une victoire... Des problèmes auxquels s'ajoutent parfois les épreuves de la vie, comme pour la superstar américaine Simone Biles, placée en famille d'accueil et agressée sexuellement à l'adolescence.

Les burn-out d'Adil Rami et Lucas Pouille

Ces dernières années, plusieurs sportifs ont fait part de leurs problèmes psychologiques. Quelques mois après la victoire des Bleus à la Coupe du monde en Russie, le défenseur de l'équipe de France Adil Rami avait révélé avoir fait "un burn-out" à l'issue de la compétition. "J'ai fait un burn-out en 2018. À la fin de chaque match, je disais que j'en avais marre, que j'avais envie d’arrêter (le tennis)... Je n’y arrivais plus", avait révélé quelques semaines plus tôt le joueur de tennis Lucas Pouille. 

D'immenses champions comme Michael Phelps, Andre Agassi ou Ian Thorpe ont également fait part de leur dépression. Le tennisman argentin Guillermo Coria ne s'est jamais remis de sa défaite en finale de Roland Garros en 2004. Le cycliste italien Marco Pantani a plongé dans la drogue et est mort d'une overdose à l'issue de sa carrière. En mars 2019, la cycliste américaine Kelly Catlin, médaillée d'argent à Rio en poursuite par équipes, s'est suicidée à 23 ans. Le 24 novembre 2020, le rugbyman Christophe Dominici est décédé brutalement. Il avait partagé son mal-être dans une autobiographie. 

Il arrive à certains moments que ce soit trop

Elisabeth Rosnet, psychologue du sport

Interrogée par LCI, en février 2019, la psychologue du sport Elisabeth Rosnet estimait que beaucoup de sportifs souffraient de surentraînement. "Le surentraînement, c'est une saturation poussée au maximum. Si l'on s'en tient aux aspects psychologiques, c'est sans doute ce dont ont souffert" Adil Rami et Lucas Pouille, indiquait-elle. Selon elle, chez les sportifs la dépression n'est pas plus présente que dans le reste de la population. Pour eux, la difficulté réside plutôt dans l'extrême pression qu'ils ont à supporter, et l'anxiété qui en découle. 

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"Les sportifs sont a priori sains sur le plan psychique, mais sont confrontés, par leur activité, à des facteurs de stress parfois plus intenses ou plus nombreux que chez le commun des mortels. Et il arrive à certains moments que ce soit trop. (...) Le gros problème du sportif, ce sont les objectifs qu'il se fixe, qui ne sont pas toujours réalistes. Du coup, il se sent en situation d'infériorité ou d’inadaptation. Et il en arrive à des idées de dépréciation, de type 'je suis nul'. Là, une fois qu'il n'a plus d'énergie et qu'il ne voit pas ce qu'il peut faire de plus, on peut glisser vers une dépression ou quelque chose qui pourrait ressembler à un burn-out", ajoutait la psychologue.

Aujourd'hui, la préparation mentale prend de plus en plus de place dans l'entraînement des sportifs, et rares sont les clubs ou les Fédérations à ne pas travailler avec des psychologues du sport. Certains préconisent même d'organiser un suivi régulier des athlètes pour traiter les problèmes en amont. 

Entraîner le mental autant que le physique

Beaucoup de professionnels répètent également à l'envi qu'à l'instar du physique, le mental se travaille. "Le mental, c'est une qualité 'entraînable' comme les autres. Pour moi, c'est un axe fort de la formation du sportif, ça ne l'a pas été pour ceux qui étaient là avant moi", indiquait au Monde Pierre Cherret, directeur technique national (DTN) de la Fédération de tennis. 

À LCI, l'entraîneur de football Jean-Marc Furlan avait à ce sujet révélé l'anecdote suivante : "Mon fils, je l'ai fait travailler mentalement, parallèlement aux préparations athlétiques et techniques, et c'est devenu une bête à 20 ans. (...) En trois ans, il était transformé ! Je suis convaincu que ça aurait marché aussi avec tous ces footballeurs surdoués qui sont passé à côté de leur carrière. Mais en centre de formation, on leur dit : 'Tu as le mental ou tu ne l'as pas', 'Tu n'es pas un compétiteur', 'Tu n'as pas la grinta'... C'est archi-faux tout ça ! Le mental se travaille aussi efficacement que l'aspect athlétique ou technique."


La rédaction de TF1info

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