DROITS HUMAINS - Après onze ans à sillonner les routes escarpées d'Amérique latine, le rallye Dakar va partir pour la première fois d'Arabie saoudite dimanche. Un choix vivement contesté par les ONG de défense des droits de l'Homme, que LCI a pu interroger. En cause, les atteintes répétées aux libertés individuelles.
Sous le sable, la répression. Onze ans après avoir quitté l'Afrique pour l'Amérique latine, le célèbre des rallye-raid va planter son bivouac dans le désert saoudien, à partir de dimanche 5 janvier et pour les cinq prochaines éditions. Une destination qui déplaît aux ONG de défense des droits de l'Homme en raison des manquements répétés du régime de Riyad en la matière. Pour elles, "le Dakar ne doit pas être une tribune offerte à l'Arabie saoudite" pour faire oublier sa sombre réalité quotidienne.
"C'est un pays où on exécute, où on torture, où on assassine ses opposants", rappelle à LCI Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme (LDH). "La situation des droits humains sur place est catastrophique et a empiré ces derniers mois", nous confirme Yasmine Laveille, responsable du bureau Afrique du Nord et Moyen-Orient à la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH). Depuis 2015, le royaume saoudien est sous le feu des critiques, en particulier pour son rôle à la tête d'une coalition militaire responsable de graves violations du droit international humanitaire dans la guerre au Yémen et son manque de transparence concernant l'enquête sur le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.
Car, si le coté pile de l'Arabie saoudite, son terrain de jeu novateur et spectaculaire, avec le "Quart Vide", la plus grande mer de sable du monde (1000 km de longueur pour 5000 de largeur) a de quoi séduire, le coté face est bien plus funèbre. "Organiser une telle course dans un pays où les femmes sont toujours emprisonnées pour avoir milité pour le droit de conduire est en soit une aberration. Nous savons qu'au moins six d'entre elles ont été torturées en détention", tance Yasmine Laveille de la FIDH. "Il y a aussi une augmentation de la peine de mort. On est passé de 150 exécutions en 2018 à plus de 180 en 2019, y compris de mineurs au moment de leur arrestation. Ces personnes ont perdu la vie parce qu'elles ont appelé à manifester contre le régime ou ont participé à des manifestations pacifiques. Il y a également un retour des disparitions forcées et un apartheid sexuel qui continue de régir les relations sociales avec le fameux système du tutorat qui fait que les femmes restent mineures à vie."
⚠️Du 5 au 17/01, l'Arabie Saoudite accueillera le #Dakar2020 . ➡️Derrière 1200 heures d'images, la plupart réalisées par @Francetele , diffusées sur 70 chaînes de télévision dans 190 pays se cache un bilan désastreux pour les droits humains. #StandWithSaudiHeroes pic.twitter.com/qOR4GutlhK — FIDH (@fidh_fr) January 3, 2020
Avec le Dakar, l'Arabie saoudite essaie de redorer son image et de se racheter une réputation
Yasmine LAVEILLE, responsable du pôle Moyen-Orient à la FIDH
Ces derniers mois, Riyad cherche ainsi à détourner l'attention internationale sur ces questions à grands coups de billets verts. Le royaume ultra-conservateur a multiplié ses investissements dans le domaine du sport, en captant plusieurs événements internationaux de renom, dont la Supercoupe d'Italie, le match de boxe Andy Ruiz-Anthony Joshua ou encore un Grand Prix de Formule E. L'acquisition du Dakar, auprès d'Amaury Sport Organisation (ASO) qui organise l'épreuve automobile, s'inscrit cette stratégie expansionniste pour rattraper son retard sur ses concurrents régionaux, le Qatar et les Émirats arabes unis.
Pour Yasmine Laveille, "il y a, à (son) sens, deux raisons" pour expliquer cet intérêt grandissant du pouvoir saoudien pour ce type d'événements. "La première, c'est d'essayer de redorer son image et de se racheter une réputation. À côté de ça, il y a une deuxième raison qui est étroitement liée. L'Arabie saoudite s'est engagée depuis quelques années dans un vaste programme de réformes économiques, du nom de "Vision 2030", dont le promoteur privilégié est le prince héritier Mohammed ben Salmane", nous détaille la spécialiste du monde arabo-musulman. "Une des priorités est la diversification de l'économie saoudienne, qui sur-dépend du pétrole. L'une des manières de diversifier les sources de revenus du pays est de développer le tourisme. Dans ce sens, le Dakar est une aubaine pour Riyad d'essayer de vendre la carte postale et d'attirer des touristes."
Le risque est que le Dakar serve de décor (...) pour masquer les très graves violences
Bénédicte JEANNEROD, directrice France d'Human Rights Watch
"Mais le risque est que le Dakar serve de décor pour cacher une situation extrêmement critique en termes de répression, s'inquiète Bénédicte Jeannerod, directrice France de l'ONG, Human Rights Watch. Et que cela rentre dans la stratégie des autorités saoudiennes pour masquer les très graves violences qu'ils infligent quotidiennement à leur société." "Concevoir qu'on aille organiser, moyennant quelques dizaines de millions de dollars pendant cinq ans, le Dakar dans les dunes en cachant le reste dans une sorte de village Potemkine, ne peut permettre de gommer tout ce qui se passe en amont", rebondit Michel Tubiana. "La question des droits de l'Homme, celle de ces femmes et hommes qui pourrissent aujourd'hui en prison sous un arbitraire absolu, est une vraie question. Il y a toujours quelque chose d'extrêmement dérangeant à faire la fête pendant que des gens meurent à côté", ajoute le président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme (LDH).
L'Arabie Saoudite tente de blanchir son image en organisant le #Dakar2020 . Mais le spectacle ne doit pas faire oublier les femmes saoudiennes torturées en détention pour avoir défendu... le droit de conduire! https://t.co/ydyaiQh5eN #StandWithSaudiHeroes @Dakar pic.twitter.com/b2cndjgp6o — HRW en français (@hrw_fr) January 3, 2020
Plusieurs organisations veulent ainsi profiter du fait que le royaume wahhabite soit sous le feu des projecteurs pour faire monter la pression et essayer, au minimum, de faire libérer les prisonniers politiques. Et plus particulièrement les militantes emprisonnées pour avoir réclamé le droit de conduire puisqu'elles "vont croupir en prison pendant qu'une compétition met la conduite au cœur de son projet". "Un cynisme incroyable doublé d'une contradiction choquante" pour les ONG. "On veut utiliser le Dakar pour rendre visible tout ce qu'il y a derrière cette belle histoire qu'on nous raconte", annonce Bénédicte Jeannerod. "Cette image de réformateur et de progressiste que veut se donner Mohammed ben Salmane depuis son arrivée au pouvoir est en grande partie un mirage. Derrière, il y a une situation moins idyllique que ce que l'on veut faire nous croire. Les fans et supporters du Dakar ne doivent pas se faire aveugler par le spectacle sportif, par ce qu'ils vont voir à la télévision."
Il faut parler de la réalité saoudienne et de la répression féroce de toute dissidence
Yasmine LAVEILLE, responsable du pôle Moyen-Orient à la FIDH
Pour faire entendre leurs voix, les ONG comptent interpeller la communauté du célèbre rallye-raid. À commencer par l'organisateur de la course, Amaury Sport Organisation. "On demande deux choses à ASO", nous explique la directrice d'Human Rights Watch. "D'une part, d'utiliser son levier d'influence pour pouvoir interpeller les autorités et obtenir la libération des défenseurs détenus. D'autre part, de se doter d'une politique interne en termes de droits humains. Les grandes instances sportives, que sont la Fifa ou le CIO, mettent en oeuvre les principes directeurs de Nations unies pour que les événements sportifs ne contribuent pas ou ne cautionnent pas des violations des droits humains. Dans la mesure où le partenariat signé avec l'Arabie saoudite porte sur cinq années, il est essentiel qu'ASO se dote d'une politique similaire."
Les médias, dont le diffuseur partenaire France Télévisions, sont eux invités à ne pas participer au "ravalement de façade" du régime de MBS, ce qui renforcerait "une forme d'impunité", selon la Ligue des droits de l'Homme (LDH). "Nous appelons les journalistes amenés à couvrir l'événement à ne pas relayer la propagande" de Riyad, enjoint la FIDH. "Nous les encourageons plutôt à parler de la réalité saoudienne et de la répression féroce de toute dissidence." Human Rights Watch croit même en une "petite mobilisation" au sein du bivouac : "Si on arrive à mobiliser quelques concurrents, notamment des concurrentes, on aura réussi en partie notre pari de faire que la question des violations des libertés individuelles ne soit pas mise sous le tapis."
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