Le football pourrait-il devenir un sport mixte ?

Publié le 19 juillet 2019 à 13h51, mis à jour le 15 août 2019 à 12h07
Le football pourrait-il devenir un sport mixte ?
Source : MATIMIX

ÉVOLUTION - Deux semaines après la fin de la Coupe du monde 2019, il est désormais acquis que les femmes ont leur place sur un terrain de football, et qu'elles peuvent susciter autant d'enthousiasme que les hommes chez les supporters. LCI s'est donc demandé si dans un avenir proche le football mixte avait un avenir.

Ils font l’apprentissage des jongles, passements de jambes et coups de pieds arrêtés ensemble jusqu’à l’âge de 13 ans. Puis garçons et filles sont invités à continuer leur pratique du football séparément. Souvent au détriment des filles. Quand elles n’abandonnent pas complètement, les clubs les accueillant étant moins importants, elles doivent souvent faire beaucoup plus de kilomètres pour continuer à jouer. Et les équipes de niveau étant moins nombreuses, les plus douées pâtissent d’un manque de compétitivité, et ne progressent plus aussi vite que leurs homologues masculins. Alors pourquoi ne pas pousser plus loin la mixité ? Pourquoi ne pas développer le football mixte ?

LCI a posé ces questions à la Fédération française de football (FFF). Elle nous a répondu que la mixité était possible jusqu’à 16 ans dans certains cas, mais qu’au-delà les différences athlétiques entre les filles et les garçons étaient trop marquées. "Ensuite, les joueuses évoluant avec des garçons jusqu’à 16 ans sont pour la grande majorité repérées et recrutées par des clubs de bon niveau disposant des structures adéquates pour qu’elles puissent poursuivre leur formation dans les meilleures conditions", continue la FFF.

"Moins de mauvais coups, moins d’engueulades"

La non-mixité va également de soi dans les compétitions officielles. Au grand dam d’associations comme "Sportif.v.e.s", qui organise chaque semaine des matches de football mixte pour les parisiens et parisiennes de plus de 18 ans ; ou de l’Etoile rouge du Val-de-Marne, club des Jeunes communistes du Val-de-Marne, qui depuis quatre ans fait cohabiter hommes et femmes dans une même équipe de football à 7. "Le but de nos joueurs est d’apprendre et de progresser ensemble. Dans notre championnat FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail, ndlr), nous sommes la seule équipe mixte. Je vois sur le terrain que cette mixité fait sortir tout le monde des mauvais côtés du football : il y a moins de mauvais coups, moins d’engueulades", explique à LCI Julien Menuel, président de l’association, qui reconnaît que le football à 7 en est en partie responsable.

Julien Menuel remarque également que son équipe fait bouger les mentalités et casse les a priori. "Avant une rencontre, nos adversaires identifient les filles comme les maillons faibles. Or nous avons dans l’équipe des garçons qui jouent moins bien que certaines filles. Donc au début ils n’osent pas aller au contact, puis quand ils voient qu’il y a du répondant, ils y vont !" Au sein du club également les états d’esprit évoluent. "Les clichés du type ‘Les femmes ne savent pas jouer au foot’ existent beaucoup moins chez nous", assure le dirigeant.

Ces pionniers n’auraient pas moqué l’ancienne ministre Ségolène Royal lorsqu’elle a émis l’idée, dans une interview à Yahoo Sports, de composer des équipes de football mixte, notamment lors des Jeux olympiques. Il est difficile de se défaire des 150 dernières années, au cours desquelles il était fortement déconseillé (parfois interdit) aux femmes de pratiquer ce sport créé à la fin du XIXe siècle par et pour les gentlemen britanniques. "Le football est un sport historiquement construit sur les différences supposées entre les garçons et les filles au niveau athlétique. Ce qui en découle aujourd’hui est une construction socio-historique", avance à LCI Julien Sorez, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre et fondateur de L’œil sur Moscou, collectif de chercheurs en sciences sociales chroniquant les Coupes du monde. 

Les terrains de football, chasse gardée des hommes depuis plus d'un siècle

"On dit des femmes qu’elles sont moins rapides, moins puissantes. Et elles le croient aussi. En persuadant les femmes qu’elles n’avaient rien à faire sur un terrain de football, on leur a fait accepter, on leur a fait intégrer que cela était naturel, ancré dans le biologique. Ces arguments biologiques ont écarté les femmes des terrains", continue Julien Sorez. "Le terrain de football est le lieu d’affrontements entre hommes. Et quand les femmes s’y sont mises, on a voulu contrôler leur pratique en leur restreignant l’accès, et non en participant à leur émancipation. Les terrains de football ont toujours été la chasse gardée des hommes, dans l’imaginaire c’est toujours le cas." 

Il existe plusieurs moyens d’intégrer de la mixité : en faisant jouer hommes et femmes dans une même équipe, ou en faisant s’affronter une équipe masculine et une équipe féminine. "S’il est impossible qu’hommes et femmes jouent ensemble, regardons les projets les faisant s’affronter", propose Julien Sorez, qui en 2017 avait signé une tribune dans laquelle il suggérait d’introduire des équipes féminines en Coupe du France. "Pour le centenaire de la compétition, je me suis dit : puisqu’on fait jouer des équipes de cinquième division contre des professionnels, pourquoi ne pas intégrer des équipes femmes ? Certaines équipes amateurs ne jouent pas mieux que des équipes professionnelles féminines. Aucun argument ne peur contrer celui-là, si ce n’est le machisme." Selon lui, il faut "créer des espaces institutionnels qui aillent au-delà de la séparation des sexes" puisque "c’est dans l’épreuve de la rencontre que les préjugés tombent. Faisons du football l’observatoire de l’innovation sociale."

Si les observateurs considèrent que le football dit masculin et le football dit féminin sont deux football différents, pourquoi ne pas en inventer un troisième avec le football mixte ? "On peut inventer d’autres manières de jouer collectivement, d’autres moyens de penser", assure Julien Sorez. "Mais la mixité attaque les modèles promus par les grandes fédérations et ne correspond pas à l’image d’excellence et au modèle rémunérateur en place depuis des décennies."

L'exemple du korfbal, sport collectif mixte et paritaire

Pour intégrer de la mixité dans le football, certains clubs ont choisi de revoir quelques règles. A l’Hêbê League de Bruxelles, "au minimum une femme et un homme doivent se trouver sur le terrain" tout au long du match, et un but inscrit par une femme compte double. La mixité serait-elle impossible sans cela ?

Prenons l’exemple du korfbal, sport de balle collectif mixte se jouant entre deux équipes de quatre hommes et quatre femmes autour d’un panier sans fond accroché au sommet d’un poteau de 3,5 mètres. "Au korfbal, les règles sont faites telles que les différences physiques entre hommes et femmes ne se voient pas", explique à LCI Sébastien Fargère, président de la Fédération de korfbal. "Un garçon défend toujours sur un garçon, et une fille sur une fille. Quand un homme bouscule une femme ou inversement, il y a penalty. Et il ne peut pas y avoir de déséquilibre numérique puisque les équipes sont divisées en deux et restent chacune dans une moitié de terrain, si bien que dans chaque zone, deux garçons font face à deux filles."

C’est pourquoi selon lui, la mixité aurait du mal à exister dans le football, notamment du fait qu’il se joue à 7 ou à 11, un nombre impair. En revanche, la mixité a des avantages dans l’état d’esprit qui règne dans une équipe, dans l’enrichissement que cela apporte à ses membres. "L’avantage de la mixité c’est que nous sommes obligés de nous adapter aux différences, d’adapter nos réactions. Puis cela permet plus de convivialité, de partager des choses plus profondes, plus enrichissantes." Et si c’était ça, le plus important ?


Justine FAURE

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