Le mercato entre clubs français a ouvert ses portes : à quoi va-t-il vraiment servir ?

Publié le 8 juin 2020 à 14h23
Annoncé sur le départ en France, M'Baye Niang est suivi par l'OM.
Annoncé sur le départ en France, M'Baye Niang est suivi par l'OM. - Source : PHILIPPE DESMAZES / AFP

ÉCONOMIE - Pour répondre aux besoins de la crise économique liée au Covid-19, le marché des transferts franco-français, décidé par la LFP, s'est ouvert ce lundi. L'économiste du sport Christophe Lepetit nous éclaire sur les ambitions de cette grande nouveauté du football français, qui a pour but d'équilibrer la balance des clubs.

Un mini-mercato pour rebondir du mieux possible après la crise. Face à l'urgence de la situation dans laquelle sont empêtrés les clubs tricolores, dont l'exercice comptable 2019-2020 a été plombé par la pandémie de coronavirus, le football français cherche à renflouer ses caisses. Pour parer au plus pressé, alors que la date et les conditions de l'ouverture du marché des transferts international, qui débute traditionnellement le 1er juillet et s'achève le 31 août, sont toujours suspendue à la Fifa, la Ligue de football professionnel (LFP) a autorisé la tenue d'un mercato franco-français, qui s'ouvre ce lundi 8 juin. 

Avant la saison, les équipes avaient budgété 840 millions de plus-values l'exercice 2019-2020, a rappelé le président de la DNCG Jean-Marc Mickeler dans un entretien au quotidien Les Échos le 3 juin. Or, selon le gendarme financier du foot hexagonal, seuls 630 millions de plus-values ont été réalisés à l'été 2019 et en janvier 2020. L'ouverture de cette fenêtre des transferts entre clubs français a pour objectif à court terme de permettre aux équipes, fortement impactées par la sévère crise que traverse le football, de rééquilibrer leurs comptes et, ainsi, de pouvoir présenter le meilleur bilan économique possible d'ici le 30 juin. 

"On a des clubs qui ont largement souffert sur l'économie de la saison 2019-2020. Il reste 200 millions d'euros de plus-values à réaliser par rapport aux objectifs commerciaux qu'ils s'étaient assignés dans les comptes", explique à LCI Christophe Lepetit, responsable des études économies au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges. "Outre la logique sportive de pouvoir permettre aux équipes de préparer la saison à venir, de modeler leurs effectifs, on ouvre ce marché franco-français,avec l'espoir qu'il y ait des opérations qui se concrétisent entre les clubs de l'Hexagone", précise l'économiste du sport, "et que les éventuelles plus-values réalisées puissent leur permettre individuellement peut-être de tendre vers leurs objectifs et collectivement venir combler cet écart entre les 630 millions d'euros déjà réalisés et les 840 millions budgétés.

Il ne faut pas se leurrer, il n'y aura pas un marché très dynamique et inflationniste
Christophe Lepetit, responsable des études économies au CDES de Limoges

Mais, à l'heure où c'est tout le football qui subit la crise, il ne faut pas s'attendre à voir les équipes disposant de liquidités se ruer sur le marché français et prospecter à coups de dizaines de millions d'euros. "Il ne faut pas se leurrer, il n'y aura pas un marché très dynamique et inflationniste, comme on l'a connu par le passé", juge-t-il. "Il peut y avoir tout autant d'opérations en termes de nombre mais avec un montant inférieur. Les clubs qui avaient prévu de mettre 10 millions d'euros dans les transferts cette année et qui, en raison des incertitudes pour l'économie de la saison prochaine, n'en mettront peut-être que 5 ou 6." 

"L'ouverture du marché national a essentiellement une vertu pour les clubs assez peu intégrés au marché international. Dans ce grand maelstrom, il y a des clubs, et en particulier en France, qui ne participent pas beaucoup à des opérations internationales, soit parce qu'eux même ne recrutent pas à l'étranger, soit parce qu'ils ne vendent pas à l'étranger", poursuit Christophe Lepetit. "Pour ces clubs-là, axer et focaliser sur le marché domestique, ça peut être intéressant. Une partie d'entre eux vont être dans la position de l'acheteur et l'autre plutôt dans celle du vendeur. Les équipes comme Angers, Montpellier, de milieu ou bas de tableau, peuvent être en mesure d'acheter des joueurs à d'autres clubs de Ligue 1 ou de Ligue 2. Il peut y avoir un peu d'activité."

La vraie bouffée d'oxygène viendra de l'international
Christophe Lepetit, responsable des études économies au CDES de Limoges

Selon l'économiste du sport, les formes pour réaliser un transfert devraient s'amplifier. "En temps normal, les transferts avec indemnités sont minoritaires mais cela va l'être encore plus cette année", estime-t-il. "On peut imaginer des prêts avec ou sans option d'achat, des échanges de joueurs ou des résiliations à l'amiable avant la signature d'un joueur vers un autre club. Ce sont certainement ce type de modalités qui vont prédominer." Un gros transfert, par exemple comme celui pressenti de M'Baye Niang de Rennes à Marseille pour une vingtaine de millions d'euros, pourrait dès lors créer une réaction en chaîne. 

Mais l'attentisme pourrait aussi guetter les équipes françaises, qui auront forcément tendance à regarder davantage à la dépense avant de réinvestir l'argent qui va rentrer dans les caisses. "D'autres clubs un peu intégrés ou très intégrés au marché international peuvent se retrouver dans une position assez inconfortable", ajoute-t-il, "à savoir s'il faut mieux privilégier une opération sur le marché franco-français ou plutôt attendre l'ouverture du marché international, dont on ne sait pas aujourd'hui quand ni comment il fonctionnera, pour essayer de vendre plus cher un joueur à l'étranger. Angers a, par exemple, vendu très cher à l'Olympique Lyonnais (le transfert de Jeff Reine-Adélaïde à l'été 2019 pour 25 millions d'euros, ndlr), mais on sait que c'est un club qui est aussi capable de très bien vendre à l'étranger. Ils peuvent ainsi se retrouver dans cet attentisme."

Le mercato franco-français tarderait ainsi à s'activer. Et, en attendant de percevoir l'argent du contrat signé avec Mediapro pour les droits télévisés, poumon économique du football français, il faudra sans doute une nouvelle fois compter sur l'apport du marché international pour servir de bouée de sauvetage aux clubs. "En temps normal, de façon schématique, les activités franco-françaises c'est 40% des opérations pour 30% des montants, c'est sûr que la vraie bouffée d'oxygène viendra de l'international", reconnaît Christophe Lepetit. Mais la question est dans quelle mesure ? "Cela reste à voir malgré tout car les mêmes inquiétudes vont s'appliquer à l'international. Les clubs anglais ont été fortement impactés, Tottenham a fait un prêt de 200 millions de livres pour passer la crise. Traditionnellement, ces championnats qui sont acheteurs chez nous vont réduire un peu la voilure et, là où ils mettaient 15 à 20 millions sur un joueur de Ligue 1, ils n'en mettront peut-être plus que 10 à l'avenir."


Yohan ROBLIN

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