Une femme arbitre en Top 14 ? "On y arrivera forcément"

Propos recueillis par Yohan ROBLIN
Publié le 7 mars 2021 à 16h46, mis à jour le 8 mars 2021 à 17h23
L'arbitre irlandaise Joy Neville officiant lors d'un match de rugby masculin en Coupe d'Europe.
L'arbitre irlandaise Joy Neville officiant lors d'un match de rugby masculin en Coupe d'Europe. - Source : NICOLAS TUCAT / AFP

INTERVIEW CROISÉE - Encore trop rares au rugby, voire inexistantes dans le secteur professionnel masculin, les arbitres féminines ambitionnent d'un jour pouvoir diriger ces messieurs au très haut niveau. Aurélie Groizeleau et Romain Poite, deux arbitres internationaux, confient à LCI leurs espoirs pour l'avenir.

Il y a quelques années, on ne parlait pas d'arbitrage au féminin. Faute de débouchées et de candidates, la fonction était exclusivement réservée aux hommes. Mais, voilà, les temps changent : l'arbitrage, comme les sports qu'il encadre, évolue. Sur les 68.410 arbitres recensés au le football, le handball, le basketball et le rugby, 12.725 sont des femmes, soit 18,6% des effectifs. Un chiffre en progression quasi-constante. Si le hand et le basket sont à la pointe en matière de parité, l'ovalie entame sa mue, avec 130 arbitres féminines, selon un baromètre Kantar pour La Poste, publié en octobre 2020. 

Si ce chiffre, encore faible, reconnaissons-le, témoigne du chemin qu'il reste à parcourir dans ce bastion majoritairement masculin, le virage de la féminisation a clairement été amorcé. L'arbitrage féminin a toutes les cartes en main pour se développer et s'imposer chez les hommes, comme l'expliquent à LCI Aurélie Groizeleau, arbitre internationale et numéro 1 française et Romain Pointe, arbitre tricolore mondialement reconnu, à l'occasion de la journée du 8 mars, dans le cadre de la campagne "Tous arbitres de la parité" de La Poste, partenaire de l'arbitrage. Déjà fissuré, le plafond de verre devrait vite se briser.

LCI : Il n'y a que 130 arbitres féminines au rugby. Comment expliquez-vous cette lente intégration ? 

Romain Poite : On peut le rapporter aisément au nombre de licenciées (22.000 sur 258.000 en 2019, ndlr) au sein de la Fédération française de rugby. Ça ne fait pas un pourcentage élevé, mais c'est en voie de développement. On a de nombreuses femmes qui viennent à l'arbitrage. On a une intégration qui ne se fait certes pas assez rapidement, mais qui existe. Il y a une vraie prise en considération et une reconnaissance de l'arbitrage féminin pour les hommes. C'est peut-être la donnée la plus importante. On voit, au football, beaucoup de féminines qui rentrent dans les championnats professionnels qui dirigent ou assistent des arbitres. À l'étranger, des femmes dirigent déjà des rencontres de Top 14 et sont aujourd'hui présentes dans les matchs internationaux, à la touche ou à la vidéo. La Direction nationale de l'arbitrage (DNA) veut aller dans ce sens, avec la création d'un pôle Élite féminine, composé de quinze arbitres. Ce petit groupe intègre de plus en plus de féminines. On a quelques bons espoirs sur des féminines qui sont derrière Aurélie Groizeleau, qui est la numéro 1 aujourd'hui. 

La place de l'arbitre féminin dans le rugby existe
Aurélie Groizeleau, arbitre internationale

LCI : Pendant longtemps, on a pourtant eu du mal à guider les jeunes femmes vers l'arbitrage...

Aurélie Groizeleau : Je me suis un peu battue toute seule à mes débuts. J'ai, aujourd'hui, le sentiment d'être plus soutenue. Les filles qui arrivent sont accompagnées plus tôt que j'aie pu l'être. On se rend compte que la place de l'arbitre féminin dans le rugby existe. Il y a une commission d'arbitrage qui a été créée il y a trois saisons, conduite par deux anciens arbitres Marie Lematte et Salem Attalah, avec des formations spécifiques pour les arbitres féminines. Elles ont accès aux préparateurs physiques, ce qui n'était pas le cas auparavant. Chacune était dans son coin, on travaillait de manière individuelle. Là, c'est un vrai travail collectif. Toutes les filles sont coachées. L'objectif, c'est qu'elles puissent rapidement monter en compétences. 

R.P : C'est un axe développé et poussé par la Direction nationale de l'arbitrage, dirigée par Franck Maciello. Il y a eu la création de ce groupe élite pour permettre aux jeunes filles d'avoir une cohérence et de tirer vers le haut celles qui sont dans des divisions moins élevées. Dans les réunions, on a des jeunes filles de 16-18 ans qui se destinent à l'arbitrage. La FFR est prête à les accueillir. Tout a été mis en place pour qu'elles puissent avoir les mêmes chances de réussir que les hommes. L'arbitrage féminin suit le chemin du rugby, il évolue à son rythme. Par exemple, les compétitions féminines de haut niveau sont désormais exclusivement arbitrées par des féminines. Ça peut sembler bête, mais ça n'a pas toujours été le cas. Je me souviens d'une Coupe du monde au Canada, en 2006, où les filles avaient arbitré tous les matchs de poules. Pour les phases finales, on avait fait appel à des garçons. Ça m'avait interpellé. Il y avait un déséquilibre, qui est loin derrière nous maintenant. 

Les femmes ont la légitimité pour prendre une place qui n'est pas réservée aux hommes
Romain Poite, arbitre international

LCI : Le comportement des joueurs est-il différent lorsque c'est une femme ou un homme au sifflet ?

A.G : On me dit qu'ils sont plus gentils avec moi, parce que je suis une femme. Ils osent peut-être moins monter à la confrontation. Globalement, avec les joueurs que je côtoie chaque week-end, je n'ai pas problématique particulière. Il y en a qui disent que l'aspect féminin permet souvent d'apaiser beaucoup plus vite les situations tendues. S'il peut y avoir un rapport de force entre deux hommes, il n'y a pas ce même affrontement lorsqu'il s'agit d'une femme et d'un homme.

R.P : Il y a moins de testostérone dans la relation, c'est clair. (rires) Je me souviens, à l'époque, d'interviews de certains joueurs interrogés sur la relation qu'ils avaient avec Christine Hanizet (première et seule femme à avoir arbitre au niveau professionnel, ndlr). Ils racontaient qu'ils étaient moins dans le conflit, plus dans le dialogue. Il y avait un respect accentué.

Aurélie Groizeleau (à gauche) et Romain Poite (à droite) officient chaque week-end sur les terrains de rugby.
Aurélie Groizeleau (à gauche) et Romain Poite (à droite) officient chaque week-end sur les terrains de rugby. - PHILIPPE GERVASONI / AGENCE FEP

Cela change-t-il vraiment quelque chose de diriger une rencontre au côté d'une femme ? 

R.P : Je n'ai pas eu la chance d'avoir une arbitre assistante féminine, sauf Joy Neville, une fois, sur un match de barrage. De ma petite expérience, c'est exactement la même chose. On part d'un principe général qui est que si le collaborateur ou la collaboratrice est là, c'est qu'il ou elle en a toute la compétence. On les respecte à la même hauteur et elles ont les mêmes égards qu'on peut avoir vis-à-vis des assistants masculins. Ce n'est pas facile d'arriver au haut niveau quand on est une femme. Elles travaillent dur pour ça. Elles ont toute la légitimité pour prendre une place qui n'est pas réservée aux hommes.

Que répondez-vous à ceux qui pensent encore qu'une arbitre n'a pas sa place sur un terrain avec des hommes ?

R.P : Les femmes sont passées, de derrière la main courante à, sur le pré. Elles ont autant de connaissances que nous. Il y a autant de respect pour une arbitre ou un arbitre, comme on doit en avoir pour une joueuse ou un joueur. Ce n'est pas la matière qui fait l'arbitre, c'est sa façon de décider et de se comporter. Les résultats chez les féminines sont loin d'être mauvais. J'ai regardé certains matchs d'Aurélie (Groizeleau) en Fédérale 1, elle n'est pas étrangère à ce championnat. Elle travaille beaucoup et ça lui réussit. C'est pareil pour Doriane Domenjo, elle est très performante. Il y a des sensibilités qui peuvent être différentes, mais leur arbitrage est certainement plus fin et plus intelligent parfois. Il ne faut pas confronter les deux sexes dans la pratique de l'arbitrage au rugby, les deux trouvent leur place. Évidemment, dans le championnat masculin, on a plus l'habitude de voir des hommes, mais cela ne veut pas dire que, demain, il n'y aura pas de femmes.

On est aussi des compétitrices en tant qu'arbitres
Aurélie Groizeleau, arbitre internationale

Justement, Christine Hanizet est l'unique femme à avoir officié dans le secteur professionnel, en Pro D2, de 2015 à 2017. Verra-t-on prochainement une femme arbitrer en Top 14, l'élite du rugby hexagonal ?

R.P : Je l'espère, en tout cas. Je ne sais pas si on peut écrire l'histoire avant de la vivre, mais ça va dépendre de beaucoup de paramètres et je ne les maitrise pas forcément. Dans un avenir proche ou lointain, je pense que oui, on aura une arbitre qui pourra diriger des rencontres de championnat professionnel masculin. Ce sera avec beaucoup de soutien, on ne sera pas l'agressivité et dans l'adversité, parce que c'est une femme. On sera fier d'avoir aidé l'arbitrage féminin de se développer et d'arriver au haut niveau. C'est déjà le cas au niveau européen et international, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible au niveau national. On y arrivera forcément un jour. Il faut laisser le temps au temps et laisser ce développement s'accomplir. 

A.G : C'est déjà le cas ailleurs en Europe. On le voit avec Joy Neville en Irlande, Sara Cox en Angleterre et Hollie Davidson en Écosse, qui arbitrent des hommes au haut niveau. En France, ça va venir prochainement. Chaque division a ses spécificités, permet de franchir des paliers et de gagner en compétences. Plus on monte en niveau, plus la technique est bonne, plus les impacts sont importants. Il ne faut pas vouloir griller les étapes, au risque de se brûler les ailes. Pour moi, ça reste un objectif de progression, je ne vais pas vous mentir. On est aussi des compétitrices en tant qu'arbitres, on a envie d'être meilleures et de progresser. J'espère vous dire dans quelques mois ou quelques années que je suis arbitre du secteur professionnel. 


Propos recueillis par Yohan ROBLIN

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