SPYGATE - Marcelo Bielsa a reconnu, puis assumé, avoir fait espionner les adversaires de son club de Leeds (D2 anglaise) cette saison. Récit d’une affaire complètement folle, qui a conduit l’Angleterre, dans le sillage de l’entraîneur argentin, à questionner l’éthique et la morale dans le football.
"Les échos que nous avons ici, c’est qu’il va démissionner." Il est un plus de 17h, ce mercredi 16 janvier 2019. Les plus grands reporters sportifs du Royaume sont descendus de leur train et ont filé se réunir au centre d’entraînement de Leeds United, actuel leader du Championship (D2 anglaise). Fébriles, ils tentent d’anticiper ce qui va leur être annoncé à 18h, lors de la conférence de presse de Marcelo Bielsa, annoncée un peu plus tôt dans l’urgence, et tweetent alors ce qu’ils peuvent...
Déjà en août, la même chose s’était produite. Il y avait quelqu'un dans les buissons.
Frank Lampard, entraîneur de Derby County
Ils savent que Marcelo Bielsa, coach de Leeds depuis cet été, est surnommé "El Loco" (le fou) de très longue date pour son impulsivité. Ils savent aussi qu’en 2015, l’homme avait démissionné dans un bruit de vaisselle cassée de son poste d’entraîneur de l’OM, au soir de la première journée de Ligue 1. Qu’un an plus tard, il a encore démissionné, cette fois avant même le coup d’envoi du Championnat, de son poste d’entraîneur de la Lazio de Rome. Mais non, ce mercredi 16 janvier 2019, bien que pris dans les tourments d’un "spygate" (affaire d'espionnage) et critiqué de toutes parts, il ne démissionnera pas.
On rembobine. La semaine dernière, le 10 janvier, l’idylle entre Marcelo Bielsa et le football anglais s’interrompt brutalement. À la veille du choc entre les deux équipes, le club de Derby County découvre qu’un espion travaillant pour le compte de Leeds espionne leur ultime séance d’entraînement à huis clos. Le lendemain, après la victoire (2-0) des siens, Marcelo Bielsa joue franc jeu : "C’est vrai, il y avait quelqu’un de Leeds. Je suis responsable de cet incident, car je n’ai pas demandé l’autorisation à mon club. J’utilise ce genre de pratiques depuis 2001, avec l'équipe d'Argentine."
Je vais rendre à la Ligue son enquête plus facile : nous avons observé tous nos adversaires avant de les jouer.
Marcelo Bielsa, entraîneur de Leeds United
Le coach de Derby County, Frank Lampard, lui, l’a mauvaise : "Sur le plan sportif, c'est mal. Cela a perturbé la préparation de ce match. Déjà en août, la même chose s’était produite. Leeds peut vous battre 4-1, c'est une équipe fantastique, mais il y avait quelqu'un dans les buissons ce jour-là." Mardi 15 janvier, la Ligue anglaise de football (EFL) ouvre officiellement une enquête visant l’entraîneur de Leeds. Puis tous les médias britanniques s’emparent de l’affaire, volontiers qualifiée de scandale.
Et survient donc, dès le lendemain, l’annonce surprise d’une conférence de presse convoquée par Marcelo Bielsa. Durant 70 minutes (contre 20 face aux médias en général), ostensiblement ému au départ par l’agitation qu’il a provoquée, le technicien s’explique, dans une volonté de transparence totale, laissant l’assistance estomaquée.
pic.twitter.com/1kE3vHHm4B — Leeds United (@LUFC) January 16, 2019
"On a observé depuis un espace public une activité qui se déroulait dans un cadre privé. La personne qui a fait ça a suivi mes ordres. Beaucoup d'ex-joueurs et entraîneurs disent que mon comportement était un manque de respect. Derby County s'en est plaint à la Ligue. Alors je vais rendre à la Ligue son enquête plus facile : nous avons observé tous nos adversaires avant de les jouer", embraye-t-il.
Avant de poursuivre ainsi : "Ce que j'ai fait n'est pas illégal. Ce n'est pas une violation de la loi, mais on peut discuter de si c'est bien ou mal. C'est mon point de vue et Frank Lampard a le sien : il pense que j'ai violé les règles du fair play. Il faut encore que je m'adapte au football anglais. Mais toutes les infos qu'il me faut pour préparer un match, je n'ai pas besoin d'aller observer l'adversaire pour les obtenir. Alors pourquoi je l'ai fait ? Quand vous êtes coach, une vingtaine de personnes vous abreuvent d'informations pour préparer les matchs. Toutes ne sont pas nécessaires, alors pourquoi les accumule-t-on ? Parce qu'on se sent coupable si on ne travaille pas assez. Ça réduit l'anxiété."
First day back at work after a year of maternity leave and I’ve witnessed one of the most incredible press conferences I’ve ever had the privilege to attend. Bielsa tactics master class. Need a lie down now #lufc pic.twitter.com/FdKBXj3du6 — Katherine Hannah (@KatherineLeeds) January 16, 2019
L’entraîneur a ensuite détaillé son mode de fonctionnement : "J'ai regardé 51 matchs de Derby County pour préparer le match. Nous sommes des professionnels, nous prenons connaissance de ce que fait la concurrence. Je ne sais toujours pas parler anglais, en revanche, je peux vous parler des 24 équipes qui composent le Championship. Analyser un seul match demande quatre heures de travail. Je me sens honteux d'avoir à vous dire tout cela."
Marcelo Bielsa enchaîne en expliquant qu'il a analysé sur 40 minutes de vidéo les systèmes offensifs de Derby County, puis raccourci la vidéo à 8 minutes pour la montrer aux joueurs. Puis il décrypte sur un tableau, montré aux journalistes (!), les quatre systèmes récurrents utilisés par Derby County, avec des analyses sur chaque joueur. Slides Powerpoint à l'appui, il présente enfin toutes les données recueillies sur Harry Wilson, joueur de Derby County... qui n'a même pas pris part à la rencontre !
Las portadas de los diarios ingleses, dedicadas a Marcelo Bielsa 😂 pic.twitter.com/GotD12uLIT — La pizarra de Bielsa (@pizarrabielsa) January 17, 2019
La séquence fait les choux gras, ce jeudi, de la presse anglaise, qui s’amuse de cet homme ayant, sans la moindre arrière-pensée, transformé ce qui devait être son procès en un cours magistral. En fait, le discours est instantanément devenu mythique, via les réseaux sociaux. En témoigne ce florilège des réactions de quelques fans de Leeds, mises en ligne tandis que le coach parlait encore : "Aucun homme ne m'a jamais autant ému." ; "Cet homme a le droit de coucher avec ma femme" ; "C'est enregistré ? Je veux payer pour voir ça." ; "Je crois qu'il vient de prendre ma virginité." Alors, certes, Marcelo Bielsa n’a pas démissionné. Mais il est toujours aussi délicieusement détraqué. L'Angleterre vient simplement de s'en rendre compte.
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