JEU FAUSSÉ - La tenniswoman russe Yana Sizikova a été interpellée et placée en garde à vue, jeudi 3 juin, en plein tournoi de Roland-Garros. Les enquêteurs la soupçonnent d'avoir balancé un jeu, l'an dernier aux Internationaux de France, sur lequel plusieurs dizaines de milliers d'euros avaient été pariés à l'étranger.
C'est un jeu perdu qui pourrait lui valoir cher. Yana Sizikova a été interpellée, jeudi 3 juin, dans l'enquête sur des soupçons de paris truqués, lors d'un match en double du premier tour, qu'elle a joué l'an passé porte d'Auteuil. La Russe est soupçonnée d'avoir levé le pied volontairement. Après un travail minutieux d'enquête, la 101e mondiale a donc été arrêtée, huit mois plus tard, dans les allées de Roland-Garros, après avoir été sortie en double, là encore, au premier tour (6-1, 6-1).
Après une interpellation "très mouvementée", rapporte Le Parisien, lors de laquelle les agents du service de sécurité des Internationaux de France ont tenté de faire barrage, la tenniswoman de 26 ans a été placée en garde à vue, dans le cadre de l'enquête ouverte, le 1er octobre 2020, pour "corruption sportive" et "escroquerie en bande organisée". Le Service central des courses et jeux (SCCJ) de la police judiciaire avait été chargé de mener les investigations.
Que lui reproche-t-on ?
Dévoilée en octobre par le journal allemand Die Welt et le quotidien sportif L'Équipe, l'enquête porte sur le double féminin ayant opposé Yana Sizikova et sa partenaire américaine Madison Brengle à la paire Andreea Mitu et Patricia Maria Tig. Le 30 septembre 2020, les Roumaines, favorites de ce double, l'avaient logiquement emporté (7-6, 6-4), lors du 1er tour du tournoi parisien. Toutefois, le 5e jeu du deuxième set, un jeu blanc remporté par le duo roumain après deux doubles fautes grossières de la Russe, avait attiré les soupçons. Sizikova semblait avoir beaucoup de mal à servir, bâclant dans la foulée un point.
Le journal sportif avait révélé que "d'importantes sommes" - plusieurs dizaines de milliers d'euros - "ont été misées sur le gain de ce jeu par les Roumaines auprès de plusieurs opérateurs de paris, dans différents pays". L'Autorité nationale des jeux (ANJ), qui régule en France les jeux, courses hippiques et paris sportifs n'avait rien détecté d'anormal sur les mises opérées "sur le marché français", mais avait reçu des alertes, notamment de GLMS (Global Lottery Monitoring System) et du groupe de Copenhague (qui regroupe 33 plateformes de lutte contre les manipulations sportives dans le monde).
Que risque-t-elle ?
Yana Sizikova pourrait être lourdement sanctionnée si son implication venait à être reconnue. Après avoir longtemps tardé à s'emparer du problème, les instances du tennis affichent depuis quelques années une tolérance zéro dans ces affaires de matchs truqués. L'ITF, l'ATP, la WTA et les quatre tournois du Grand Chelem ont créé la Tennis Integrity Unit en 2008, pour surveiller, contrôler, enquêter et sanctionner. Remplacée en 2021 par l'Agence internationale pour l'intégrité du tennis (ITIA), elle a, en plus de ses activités de prévention, a toute la latitude pour punir les joueurs, arbitres et autres officiels du tennis.
Le 13 avril dernier, l'ITIA a suspendu à vie Franco Feitt, redevable d'une amende de 25.000 dollars. L'Argentin, 920e mondial, avait reconnu durant son audition avoir enfreint plusieurs fois les règles concernant le trucage de matchs entre 2014 et 2018.
La corruption, un fléau que le circuit tente d'endiguer
Malgré les moyens déployés, le cancer des matchs truqués gangrènent le tennis. Au cours du premier trimestre de 2021, l'International Betting Integrity Association (IBIA) a signalé 64 événements de paris suspects à travers le monde, tous sports confondus. À elle seule, la petite balle jaune a recensé 18 alertes sur les trois premiers mois, contre 17 pour l'e-sport et 12 pour le football. Sur toute l'année 2020, une année marquée par la pandémie, 98 signalements concernaient le tennis.
Des joueurs plus connus ont aussi été sollicités, à l'image de Novak Djokovic. En 2016, en marge des révélations faites par la BBC et BuzzFeed sur des rencontres truquées, le numéro 1 mondial a reconnu avoir été "indirectement approché" en 2007. "C'était par l'intermédiaire de gens qui travaillaient avec moi à cette époque ou qui appartenaient à mon équipe. (...) Nous l'avons tout de suite envoyé balader", racontait-il. Il devait perdre délibérément un match au tournoi 250 de Saint-Pétersbourg pour toucher 200.000 dollars (soit 185.000 euros). "Nole" avait fait le choix de ne pas disputer cette compétition.
On m'a proposé 1500 à 200 euros pour perdre une finale
Hugo Nys, tennisman franco-monégasque
Les niveaux inférieurs, où les joueurs sont plus vulnérables et influençables, sont rongés dans la corruption. C'est monnaie courant comme l'a expliqué, en 2019, le tennisman franco-monégasque Hugo Nys, suite à une vaste affaire de corruption sportive mêlant matchs truqués et paris en ligne. "Il y a très, très, très peu de joueurs qui n'ont pas été approchés, via les réseaux sociaux. Moi, ça m'est arrivé deux, trois fois, j'ai tout de suite prévenu le juge arbitre. Ça arrive toutes les semaines", assurait-il, indiquant qu'on lui avait proposé "1500 à 2000 euros pour perdre une finale". "Comment se fait-il qu'un mec puisse parier en Ouzbékistan sur un match de qualif en Turquie. Il n'y a aucun contrôle sur l'accès à ces tournois", pestait-il.
Un fléau, bien connu au sein de la Fédération français de tennis (FFT), menacée par les paris en ligne. "Le risque s'est considérablement accru avec la dématérialisation des paris", regrettait, à la même époque, Jean-François Vilotte, l'ex-DG de la FFT, au micro d'Europe 1. "Vous pouvez parier partout dans le monde sur des compétitions très éloignées des lieux des paris."
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