US Open : la consécration de Naomi Osaka, championne engagée contre les injustices raciales

par Amandine REBOURG
Publié le 13 septembre 2020 à 15h08, mis à jour le 13 septembre 2020 à 18h11
US Open : la consécration de Naomi Osaka, championne engagée contre les injustices raciales
Source : MATTHEW STOCKMAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

TENNIS - Naomi Osaka s'est offert l'US Open samedi 12 septembre. Son troisième titre du Grand Chelem à l'âge de 22 ans. Lundi, elle montera sur le podium mondial en devenant la numéro 3 au classement WTA. Une championne qui est également devenue une figure du mouvement Black Lives Matter.

Naomi Osaka au sommet du tennis mondial. Ce samedi 12 septembre, la jeune championne de 22 ans s'est offert son troisième titre du Grand Chelem en s'adjugeant l'US Open, contre la joueuse biélorusse Victoria Azarenka (1-6, 6-3, 6-3). Une consécration sportive pour celle qui était déjà devenue, ces dernières semaines, une symbole pour le mouvement Black Lives Matter. 

"Tout ce que j'ai fait en dehors, j'ai voulu le faire aussi sur le court. Cela m'a donné la volonté de gagner, car je veux que les gens en parlent (...) Je me suis forcée à grandir. J'espère que cela s'est aussi vu dans mon tennis", a-t-elle expliqué après sa victoire. Ne voir cette victoire qu'au travers du prisme sportif serait sans doute passer à côté de ce qui l'a animée, ces derniers mois : une prise de conscience et un engagement sans faille au sein du mouvement militant né aux Etats-Unis. 

Une enfance exilée

Naomi Osaka est née en octobre 1997, au Japon, d'une mère japonaise et d'un père haïtien. Une union difficilement acceptée par sa famille maternelle mais qui conférera, par la suite, un statut particulier à la championne. Ces dernières années, elle s'est imposée comme une figure de la lutte pour l'égalité des "hafu", un terme japonisé tiré du mot anglais "half", qui signifie "moitié". Ces enfants issus de mariage mixtes, minoritaires au Japon car ils représentent seulement 2% des naissances annuelles, sont régulièrement victimes de préjugés racistes. C'est d'ailleurs ce qui a poussé la famille de Naomi Osaka à s'exiler aux Etats-Unis, lorsqu'elle avait 3 ans, dans les années 2000. 

Sa mère Tamaki Osaka a été contrainte à l'exil, accusée de déshonorer sa famille en entretenant une relation avec Leonard François, un homme noir d'origine haïtienne. Le succès des sœurs Williams donne des idées à son père : Naomi fera du tennis et sera championne. Les années passent et les victoires s'accumulent. Les sponsors affluent et font de Naomi Osaka, l'une des sportives les mieux payées du monde. Voilà pour le terrain purement sportif. 

L'engagement se concrétise et prend forme

Alors que le monde se confine, au printemps 2020, en raison de la crise sanitaire, un déclic se produit en elle. Elle est frappée par la mobilisation de plusieurs sportifs américains contre les violences policières aux Etats-Unis. Un moment crucial, selon son propre récit, dans son cheminement personnel, alors que la joueuse subit la pression consécutive à ses succès à l'US Open 2018 et à l'Open d'Australie 2019, statut de N.1 mondiale en prime. 

Encore enfant, en 2012, elle avait reçu de plein fouet la nouvelle de la mort de Trayvon Martin un jeune Afro-Américain tué en Floride. "Je me souviens clairement de la mort de Trayvon. Je me souviens avoir été enfant et avoir eu peur, je sais que sa mort n'a pas été la première, mais pour moi, c'est celle qui m'a ouvert les yeux sur ce qui se passait. Voir encore et encore les mêmes choses est triste. Les choses doivent changer". Celle de George Floyd, en mai 2020, est le détonateur de son engagement militant. En mai, elle descend dans la rue, à Minneapolis, où le drame a eu lieu. "Je crois que si je parviens à m'affirmer un peu plus, cela pourrait changer des choses", dit-elle alors. 

En août dernier, Naomi Osaka crée un électrochoc en annonçant qu'elle refuse de jouer la demi-finale du tournoi de Cincinnati après l'affaire Jacob Blake, cible de sept coups de feu tirés par un policier. Le tournoi plie et fait une pause, comme la NBA. La Fédération américaine de tennis s'engage à son tour. Dans un communiqué, l'institution estime qu'"en tant que sport, le tennis prend collectivement une position contre l'inégalité raciale et l'injustice sociale qui une fois de plus ont été mises au premier plan aux Etats-Unis. L'USTA, les circuits ATP et WTA ont décidé de reconnaître ce moment en interrompant le jeu". 

Si je peux engager une discussion dans un sport majoritairement blanc, je considère que c'est un pas dans la bonne direction
Naomi Osaka

Moins d'un mois plus tard, Naomi Osaka revient sur les courts de l'US Open, plus engagée que jamais. A chaque match, elle arbore un masque, noir, sur lequel sont écrits les noms des victimes de violences raciales américaines : Breonna Taylor, Trayvon Martin, Ahmaud Arbery, ou encore Philando Castile, George Floyd et Tamir Rice. "Je veux vraiment que plus de gens en parlent. Essayer de faire connaître leurs noms au plus grand nombre est un très gros facteur de motivation pour moi", se justifiait-elle. 

Devenue le porte-voix du tennis dans la lutte contre l'injustice raciale, à l'âge de 22 ans, elle endosse ce rôle avec conviction : "en tant que femme noire, j'ai l'impression qu'il y a des questions beaucoup plus importantes qui nécessitent une attention immédiate, plutôt que de me regarder jouer au tennis", écrit-elle sur Twitter. "Je ne m'attends pas à ce que quelque chose de radical se produise si je ne joue pas, mais si je peux engager une discussion dans un sport majoritairement blanc, je considère que c'est un pas dans la bonne direction", avance la championne. 

Mais cet activisme viscéralement nécessaire à la jeune femme commence sérieusement à échauder certains sponsors, qui ont estimé auprès du quotidien japonais Mainichi Shimbun que l'activisme de la jeune femme ne devait pas prendre le pas sur son tennis, au lendemain de sa victoire à l'US Open."Je ne pense pas qu'elle ait besoin de faire ça alors qu'elle se bat pour être au top. Si possible, nous aimerions qu'elle attire plus l'attention avec ses compétences en tennis", a affirmé au quotidien le porte-parole d'une société japonaise qui sponsorise Naomi Osaka. Tout est dans le "si possible", mais quelque chose nous dit que cela n'est pas prêt d'arriver : Naomi Osaka a choisi d'être bien plus qu'une joueuse de tennis du top 3 mondial. 


Amandine REBOURG

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