Vendée Globe 2020 : l’Everest des mers

"Ça bouge tout le temps et c'est bruyant" : le sommeil éparpillé des skippers du Vendée Globe

Publié le 23 novembre 2020 à 18h37, mis à jour le 16 décembre 2020 à 14h42
JT Perso

Source : TF1 Info

DOUCE NUIT - Sur le Vendée Globe, les marins dorment peu, entre quatre et six heures par jour, et de manière dispersée. Est-ce suffisant pour récupérer de leurs efforts ? Samantha Davies, Louis Burton et Charlie Dalin racontent à LCI ce défi du quotidien.

C'est l'ennemi invisible des skippers. Celui auquel on ne pense pas, que l'on ne soupçonne pas. Pourtant, dans le monde à part de la course au large en solitaire, le sommeil est l'adversaire le plus nuisible. Seuls à bord, avec pour seul horizon l'immensité bleue à perte de vue, les marins d'eau salée ne connaissent que très peu de répit. Particulièrement éprouvant pour le corps et l'esprit, le Vendée Globe a l'originalité d'être la seule compétition où, pendant près de trois mois, de jour comme de nuit, la course ne s'arrête jamais. "Il n'y a pas de pause la nuit. La course n'est pas neutralisée", confirme auprès de LCI Charlie Dalin, qui participe à son premier tour du monde sur son monocoque Apivia. "Le bateau continue à avancer pendant qu'on dort."

Théoriquement, pour tenir le cap qu'ils se sont fixés, les navigateurs sont censés rester éveillés 24 heures sur 24, à l'affût d'un changement de vent, d'une défaillance technique ou de la présence d'un objet flottant non identifié (ofni) à la surface de l'eau. Physiquement, il est impossible de vivre 70 jours sans fermer l'œil. Qui plus est, lorsque les organismes sont poussés à bout avec la répétition des efforts et les conditions météos qui varient au gré des mers et océans. La fatigue s'accumulant au fil des jours, ils n'ont pas d'autre choix qu'essayer de se reposer, malgré les circonstances extrêmes auxquelles ils font face.

Quand tout va bien, on dort par tranche de deux heures

Louis Burton, skipper Bureau Vallée 2

Une problématique vitale que Louis Burton a pu expérimenter sur "l'Everest des mers". "Quand tout va bien, on dort par tranche de deux heures. Quand le vent n'est pas stable et qu'il faut rester concentré sur des réglages ou des zones à risque, on ne dort pas plus de 20 à 30 minutes à la fois", nous explique le skipper Bureau Vallée 2, qui a déjà deux "VG" à son actif (abandon en 2012 et 7e en 2016). À bord, les plages de repos sont découpées, "fractionnées", en fonction de l'endroit où le bateau se situe ou en prévision des difficultés à venir. "Dans l'Atlantique, où il y a plus de trafic maritime, on fait des siestes de 40 minutes. Dans le Grand Sud, on peut se permettre de dormir plus longtemps, on approche de l'heure en une seule fois", confirme Charlie Dalin. Soit largement très en deçà des sept heures minimales de sommeil recommandées pour une bonne récupération. 

Pour tenir la barre, avec si peu de sommeil, il est essentiel d'être à l'écoute de son corps et de ses besoins. "Ça fait 10 ans que je fais de la course au large, j'ai appris à me connaître. Les maîtres-mots sont l'adaptation et la connaissance de soi", détaille le vainqueur de la Transat Jacques-Vabre, qui a collaboré avec le Centre européen du sommeil, pour mesurer ses cycles en conditions réelles. "On a conclu que le sommeil était très difficile sur ces bateaux. Ils bougent tout le temps". "Même quand on dort, on se dépense plus que lorsqu'on est dans un endroit qui ne bouge pas. Le sommeil est tout aussi important que l'alimentation pour rester en forme. C'est important de ne pas se mettre dans le rouge", rappelle Samantha Davies, l'une des six femmes à avoir pris le départ, un record dans l'épreuve. "Mais c'est compliqué de le trouver en pleine mer." 

85 décibels en moyenne, avec des pics à 90

Dormir sur le Vendée Globe, c'est aussi accepter de faire corps avec son bateau, de lier son destin à la technologie. "Ce n'est pas rien de dormir sur un bateau qui déboule à 30 nœuds sur une mer déchaînée, sans personne à la barre", reconnaît la skippeuse britannique, qui manœuvre à bord d'Initiatives-Cœur. "Il faut avoir une confiance dans le pilote automatique, qui suit la consigne qu'on lui donne. On a un système d'alarme, de balises, pour nous guider et détecter les bateaux ou les ofni qu'il peut y avoir devant nous. On est à l'écoute de ce le bateau nous dit. Même quand on dort, une partie du cerveau perçoit les mouvements et les vibrations. Souvent, si quelque chose change, on le ressent. On est en symbiose avec le bateau. On ne fait qu'un avec lui."

Un moment de repos pour la skippeuse Samantha Davies, à bord d'Initiatives-Cœur.
Un moment de repos pour la skippeuse Samantha Davies, à bord d'Initiatives-Cœur. - LOIC VENANCE / AFP

Aux mouvements perpétuels s'ajoutent un bruit assourdissant. "J'ai fait des mesures pendant la Vendée-Arctique dans des conditions où le bateau avançait assez vite. On avait 85 décibels en moyenne, avec des pics à plus de 90", témoigne Charlie Dalin. Soit l'équivalent d'un aspirateur en marche, de la sonnerie ininterrompue d'un téléphone ou d'une rotative d'imprimerie. On approche de la "zone de nocivité", où l'exposition ne doit pas dépasser les huit heures d'affilée. Or, sur les embarcations lancées pleine vitesse, le barnum est incessant. "C'est très bruyant, avec une humidité proche de 100%. Ce sont des situations qui peuvent être un peu anxiogènes quand ça va vite. Il y a des bruits qui sont associés à la vitesse comme les sifflements, le bruit du vent dans les haubans, qui rappellent sans cesse que le bateau va vite. Les conditions pour dormir ne sont pas idéales."

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Le gros enjeu, c'est d'avoir un sommeil réparateur

Charlie Dalin, skipper Apivia

Pour tenter de récupérer un maximum, et protéger leur audition, les marins se créent un cocon, qui répond à leurs besoins, dans l'espace exigu de leurs cabines, qui se résument à une dizaine de m². Un petit nid douillet auquel ils accordent la plus grande importance. "J'ai testé des sièges moulés à ma morphologie, baqués sur mesure, des matelas classiques... J'ai beaucoup travaillé sur la solution la plus adéquate pour dormir", poursuit l'actuel leader de la flotte. "Pour me protéger du bruit, j'ai des bouchons d'oreille faits sur mesure, un casque à réduction de bruit active, et aussi des boules quiès toutes simples."

Car le sommeil est, avec l'alimentation, l'une des clés de la performance. Le potentiel et la vigilance des skippers se retrouvent impactés, sans repos suffisant. Le navigateur, épuisé ou affamé, n'est plus en capacité d'optimiser l'exploitation de son voilier. "Si on s'endort et que le vent change de direction, ou s'il mollit, on va perdre des milles", soutient l'expérimentée Sam Davies. 

Une privation de 20 heures de sommeil équivaut à un taux d'alcoolémie de 0,5 dans le sang. "Le gros enjeu, c'est d'avoir du sommeil de qualité, long et profond. On recherche un sommeil réparateur", appuie Charlie Dalin. "Il faut être en permanence prêt à faire un choix stratégique important ou à extirper le bateau d'une situation difficile qui pourrait arriver. Il faut donc être lucide et en pleine possession de ses moyens." Dormir ou naviguer, sur le Vendée Globe, l'un ne va décidément pas sans l'autre.

Les plus grands athlètes au parcours exceptionnel, se livrent au micro de Grégoire Margotton, dans le podcast "Club Margotton".

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Club Margotton, c'est un micro tendu vers l'excellence. Le récit de destins hors du commun. Ils ou elles ont enflammé des stades, repoussé leurs limites... Athlètes, entraîneurs, dirigeants, leurs parcours nous a fait vibrer et ils ont un peu changé nos vies. Ces femmes et ces hommes, pas comme les autres, se livrent au micro de Grégoire Margotton.


Yohan ROBLIN

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