ENQUÊTE - "J'avais un physique lambda" : ces sportifs amateurs devenus pros du dopage

Frédéric Senneville | Reportage TF1 : Baptiste Guénais, Henri-Paul Amar
Publié le 19 avril 2022 à 14h49, mis à jour le 19 avril 2022 à 14h54

Source : JT 20h Semaine

Plus accessible, le dopage est en hausse dans le sport amateur.
Sans suivi médical, ceux qui se dopent en ignorent les risques.
Le 20H de TF1 a mené l'enquête chez les consommateurs et les vendeurs.

Ce jeune culturiste amateur s'injecte régulièrement de la Trenbolone, un des stéroïdes les plus puissants pour soutenir la croissance musculaire. Depuis trois ans, il enchaîne les cures de produits dopants. "Ça a changé mon quotidien, j'avais un physique absolument lambda, je faisais aux alentours de 75 kilos pour 1,76 m. Les produits dopants sont arrivés, je suis monté jusqu’à 114 kilos", témoigne-t-il dans le reportage du 20H de TF1 en tête de cet article, avant de préciser : "Ça reste le but, d'atteindre un certain physique, et quand on le frôle, on a l'impression que c'est une petite consécration". Dès lors que les résultats recherchés ont été atteints, les risques pour son organisme ou l'illégalité de la méthode sont devenus secondaires : "L'aspect illégal, on n'y pense même plus".

Stéroïdes, hormones de croissance, emphétamines ou EPO : toutes ces substances sont interdites, ou illégales sans prescription médicale, et pourtant bien présentes dans le sport amateur. Devenu entraîneur de MMA pour des jeunes à Marseille, Charles-Henri Tchoungui, un ancien professionnel, a observé des pratiques étranges lors de ses débuts chez les amateurs. "J'ai vu des gars dans les vestiaires", se souvient-il, "qui avaient des pots remplis de gélules de toutes les couleurs, et je savais très bien que ce n'était pas de la vitamine C ou D". Pour cet entraîneur, qui est vigilant à ce que ses élèves se tiennent à distance du dopage, le problème serait d'ailleurs commun à toutes les disciplines : "Le sportif qui dit 'ça n'existe pas dans mon sport', c'est un menteur ou un nigaud".

Le sportif qui dit : "Ça n'existe pas dans mon sport", c'est un menteur ou un nigaud
Charles-Henri Tchoungui, entraîneur de MMA

Si le problème a toujours été plus ou moins présent, la vente en ligne et les réseaux sociaux ont rendu le dopage beaucoup plus accessible qu'avant. Et encore plus dangereux : isolé dans sa pratique, le sportif amateur qui a recours à ces produits ne bénéficie d'aucune forme d'encadrement. En quelques clics, on accède à des forums où des vendeurs proposent publiquement leurs produits à la vente. Il y a même des "promotions" et des "offres spéciales", qui renforcent l'impression que ces ventes, parfaitement illégales, sont anodines. Après un petit tour sur ces supermarchés du dopage en ligne, le sportif amateur reçoit sa commande directement dans sa boîte aux lettres : on est loin du parfum sulfureux des ventes sous le manteau.

Des risques majeurs pour l'organisme

Pourtant, les produits contenus dans les substances achetées en ligne sont inquiétants. Dangereuses en elles-mêmes, les molécules peuvent en outre être surdosées ou sous-dosées dans les produits obtenus sur le marché noir, aggravant encore les risques pris par les sportifs. Le laboratoire de toxicologie de l'hôpital Poincaré, spécialisé dans l'analyse de ces substances, est souvent confronté au pire. En ce moment, le labo travaille sur les produits liés au décès d'un sportif de 36 ans dans une salle de sport. L'analyse toxicologique de ses cheveux a démontré qu'il se dopait aux anabolisants depuis longtemps. Le nombre des victimes de dopage est difficilement quantifiable : les autopsies ne sont pas systématiques.

Des gens ont voulu (...) que je leur envoie une commande, et j'ai continué jusqu'à en vendre beaucoup
Un revendeur de produits dopants

L'équipe de TF1 a aussi pu contacter des trafiquants en ligne, qui expliquent le mécanisme de leur commerce : basés à l'étranger, ils n'ont que quelques exécutants sur le sol français, et ne risquent pas grand-chose eux-mêmes. Les substances illégales sont produites notamment en Europe de l'Est et en Asie, et distribuées en France par des intermédiaires. L'un de ceux-ci est devenu vendeur après avoir été lui-même un consommateur averti, et témoigne : "Au bout d'un moment, des gens ont voulu que je les coache sur ça, que je leur envoie une commande, (...) et j'ai continué jusqu'à en vendre beaucoup". Il gagne entre 4000 et 8000 euros par mois grâce à son trafic. 

Si la majorité des ventes se fait désormais sur Internet, d'autres réseaux fonctionnent de façon plus "traditionnelle" et locale, notamment dans les salles de sport. L'année dernière, après plusieurs mois d'enquête, la brigade de recherches de Brignoles, dans le Gard, a ainsi arrêté dix personnes et saisi pour près de 60.000 euros d'Umatrope provenant de pharmacies. Cette hormone de croissance est difficile à obtenir par voie légale, puisque deux signatures de médecins sont nécessaires. Les peines encourues les plus lourdes sont de sept ans de prison et 150.000 euros d'amende. En 2021, les Douanes ont saisi plus de 200.000 comprimés et fioles, qui ne sont vraisemblablement que la partie émergée de l'iceberg des produits dopants.


Frédéric Senneville | Reportage TF1 : Baptiste Guénais, Henri-Paul Amar

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