INTERVIEW - Une nouvelle vague d'accusations contre des entraîneurs alerte sur les agressions sexuelles dans le milieu du sport. Violé durant son adolescence, l'ancien rugbyman Sébastien Boueilh se consacre, avec son association Colosse aux pieds d'argile, à la prévention de ces violences auprès des jeunes athlètes.
Sensibiliser et protéger dès le plus jeune âge. Longtemps étouffées, parfois volontairement cachées sous le tapis comme de la vulgaire poussière, les affaires de violences sexuelles dans le sport refont surface avec la parution des enquêtes de L'Équipe et L'Obs. Deux grands dossiers avec des témoignages pétrifiants sur cette réalité trop souvent occultée. D'ex-athlètes, à l'image de la patineuse Sarah Abitbol, sortent du silence pour raconter le harcèlement, les attouchements et les abus sexuels qu'elles ont subis de la part leurs encadrants. Isolées et vulnérables, elles étaient, pour la plupart, mineures au moment des faits.
Alors qu'il n'était qu'adolescent, Sébastien Boueilh a lui-même été victime de violences sexuelles. L'ancien rugbyman de Fédérale 1 et Pro D2 a été violé chaque vendredi soir, de ses 11 à 16 ans, par le mari de sa cousine. Contacté par LCI, le fondateur de l'association Colosse aux pieds d'argile, née de son histoire personnelle, se sert de son expérience pour agir contre les risques d'abus dans le milieu sportif. En déplacement dans les écoles et des centres sportifs, il multiplie les interventions auprès de la jeunesse pour apprendre aux enfants victimes à parler. Les retours qu'il fait sont édifiants.
Mon témoignage a un effet libérateur immédiat
Sébastien BOUEILH, président de l'association Colosse aux pied d'argiles
LCI : Dans L'Équipe et L'Obs, d'ex-sportives accusent leurs entraîneurs d'avoir été abusées sexuellement alors qu'elles étaient mineures. Comment avez-vous accueilli ces témoignages glaçants ?
Sébastien BOUEILH : Honnêtement, je n'ai pas été surpris. C'est mon lot quotidien, et ce depuis sept ans. On reçoit quasiment tous les jours des témoignages. On est sept salariés dans l'association Colosse aux pieds d'argile et quatre à intervenir sur le terrain. Le fait que la parole se libère est une très bonne chose en soi. La honte est en train de changer de camp. Si je pouvais émettre un regret, même si on ne peut pas en vouloir aux victimes qui parlent après la fin de leur carrière, c'est que si elles racontent leur histoire alors qu'elles sont encore en activité, cela évite que ces prédateurs multiplient les agressions.
LCI : Vous intervenez devant de jeunes sportifs. Votre témoignage aide-t-il à libérer la parole ?
Sébastien BOUEILH : Mon témoignage a effectivement un effet libérateur immédiat. Les actes de sensibilisation, que nous menons actuellement avec le ministère des Sports en faisant la tournée du réseau grand Insep, des Creps (Centres de ressources, d'expertise et de performance sportive, ndlr) et des écoles nationales, permettent aux jeunes de libérer cette parole. Malheureusement, j'en ai eu encore l'exemple hier (mercredi). J'ai rencontré 100 collégiens internes au Creps de Guadeloupe et j'en ai plus de dix qui sont restés pour des entretiens individuels. Beaucoup ont parlé pour la première fois. On va essayer de démultiplier les "Colosses" sur le terrain pour libérer un maximum de victimes de leur fardeau.
Il y a un manque cruel de formation (...) mais les choses sont en train de changer
Sébastien BOUEILH, président de l'association Colosse aux pied d'argiles
LCI : Votre objectif est aussi de prévenir et sensibiliser tous les acteurs du monde sportif...
Sébastien BOUEILH : Notre travail ne consiste pas en une "chasse aux sorcières". On travaille sur la protection de l'enfant mais aussi sur celle de l'éducateur. On va lui apprendre, par exemple, à ne pas se mettre dans des situations qui pourraient être mal interprétées. J'ai eu un témoignage hier en réunion publique selon lequel un prof d'EPS s'est suicidé à la suite à de fausses allégations d'un élève. Malheureusement, il arrive aussi qu'un gamin puisse proférer par vengeance de fausses accusations contre son coach. On est aussi dans ce cheminement qui consiste à protéger l'éducateur.
LCI : La détection de comportements déviants passe par la formation des entraîneurs et des éducateurs. Considérez-vous qu'il y a aujourd'hui des manques sur ces questions-là ?
Sébastien BOUEILH : Il y a un manque cruel de formation. Dans mon cas, mes entraîneurs avaient vu un changement de comportement. J'étais devenu très violent. Quand je sortais, je profitais de la troisième mi-temps avec les copains pour me mettre minable. Ce sont des signaux de mal-être que j'envoyais. Eux mettaient ça sur le compte de "l'âge bête". Il y a vingt-cinq ans, on ne parlait pas de pédophilie comme aujourd'hui et on ne connaissait pas les signaux envoyés par les victimes. Heureusement, les choses sont en train de changer. Aujourd'hui, j'ai deux salariés au Creps Bourges pour le ministère des Sports. Ils forment 25 cadres d'État. Il faut aussi saluer l'engagement de Roxana Maracineanu (la ministre, ndlr). C'est vraiment la première qui a pris le taureau par les cornes. Elle a lancé la tournée de sensibilisation qu'on mène. Elle va filtrer les bénévoles par le deuxième volet du casier judiciaire pour éviter que l'on se retrouve avec des prédateurs condamnés, qui reviennent en milieu sportif et vont reproduire les faits pour lesquels ils ont été jugés. Le chemin est encore long mais on voit la lumière.
Il ne faut pas avoir de sujet tabou sur la sexualité
Sébastien BOUEILH, président de l'association Colosse aux pied d'argiles
LCI : Avec la multiplication des témoignages de victimes, les parents sont plus fréquemment alertés sur ces risques d'abus. Est-ce qu'il y a une prise de conscience et un regain d'attention ?
Sébastien BOUEILH : Une psychose s'est mise en place, due à l'anxiété des parents. Elle est d'autant plus forte lorsque les enfants pratiquent le sport de haut niveau. Ils ne sont pas là de la semaine, ils sont sous la responsabilité d'autres adultes. Les parents tombent un peu dans la parano. Pour y faire face, cela passe par la prévention. À eux d'éduquer les enfants sur le fait que leur corps leur appartient et à ne pas avoir de sujet tabou sur la sexualité dès le plus jeune âge. Ainsi, cela ne bloquera pas la parole d'un enfant qui aura honte de dire qu'on lui a touché le zizi, comme j'ai pu encore l'entendre il n'y a pas très longtemps.
LCI : Quels conseils peut-on donner aux parents et entraîneurs confrontés à de telles situations ?
Sébastien BOUEILH : Sur notre site colosseauxpiedsdargile.org, on recense tout un ensemble de signaux physiques et psychologiques (repli sur soi, difficultés scolaires...) par tranche d'âge que peut envoyer un enfant victime d'abus. Il faut prendre en considération tout changement brutal d'attitude qui doit alerter sur le fait que quelque chose ne va pas. Si l'enfant dit qu'il ne veut plus aller à l'entraînement alors qu'il est passionné par son sport, c'est un signal. Il faut s'en préoccuper. Cela veut peut-être dire qu'il y a un traumatisme derrière. Peut-être qu'il s'est sans doute passé quelque chose avec un coach, un bénévole ou même un autre enfant. Dans tous les cas, l'enfant va envoyer des signaux, il faut essayer de les capter.
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