"Télétravail à vie" : après Twitter, Facebook s'y met aussi

par Sibylle LAURENT
Publié le 25 mai 2020 à 12h44, mis à jour le 25 mai 2020 à 12h59

Source : JT 20h WE

BOULEVERSEMENT - Petit à petit, les géants de la Tech bousculent leur modèle d’organisation du travail, sur le long terme. Un changement de paradigme venu des entreprises de la Silicon Valley, qui pourrait bientôt irriguer les entreprises au niveau mondial.

Ils avaient d’abord repoussé la date du retour au bureau. Et aujourd’hui, ils se posent la question : et si certains salariés ne revenaient tout simplement pas ? S’ils restaient en télétravail à vie ? Après Twitter, Facebook est en train d’envisager ce nouveau mode de travail sur le long terme. 

C’est ce qu’a annoncé le fondateur Mark Zuckerberg lors d'une conférence pour ses employés diffusée en public sur la plateforme : la moitié des employés – l’entreprise en compte 45.000 dans le monde - pourraient travailler de chez eux, de façon permanente, d'ici 5 à 10 ans. 

Nous ne le faisons pas parce que des employés le réclament, mais parce que nous sommes là pour servir le monde, et notre communauté, et débloquer autant d'innovations que possible
Marc Zuckerberg

Le géant des réseaux sociaux va être "l'entreprise la plus en avance au monde sur le travail à distance", veut croire le patron.  "Je voudrais insister sur le fait que le Covid ne va pas disparaître avant longtemps", a déclaré Mark Zuckerberg, avant de présenter les retours d'expérience et son plan pour l'organisation du travail au sein de son entreprise. Facebook, dont 95% du personnel est en télétravail en ce moment, avait déjà annoncé récemment que ses employés continueraient à travailler en majorité de chez eux jusqu'à la fin de l'année. Aucun rassemblement de plus de 50 personnes ne sera organisé avant juillet 2021 au mieux.

Selon une étude interne, plus de 50% des employés s'estiment plus productifs en télétravail, et 20 à 40% se disent intéressés par la possibilité de travailler à distance de façon permanente. Au point que Facebook a décidé de bousculer son modèle, sur le long-terme.

Des conditions requises

Les employés auront désormais la possibilité d’être des "travailleurs éloignés permanents". Le patron a détaillé les conditions requises au site The Verge : "Si vous avez de l'expérience, si vous êtes à un certain niveau dans l’entreprise, si vous êtes bien notés, si vous faites partie d’une équipe le permettant alors votre demande sera étudiée".

 Mark Zuckerberg a dressé une liste des bénéfices du travail à distance. "Nous ne le faisons pas parce que des employés le réclament, mais parce que nous sommes là pour servir le monde, et notre communauté, et débloquer autant d'innovations que possible". Parmi les avantages, il a évoqué plus d'égalité des chances dans les carrières, notamment avec des recrutements plus divers (géographiquement et chez les minorités), mais aussi des économies sur les infrastructures et les salaires (qui seront ajustés en fonction du lieu de résidence) et une meilleure rétention des personnes obligées de déménager pour des raisons personnelles. Et c'est sans compter l'impact pour la planète. "En 2020 il est plus facile de déplacer des octets que des atomes, donc je préfère que nos employés se téléportent par vidéo ou réalité virtuelle plutôt qu'ils soient coincés dans les embouteillages à polluer l'environnement", a plaisanté le PDG.

Twitter à l'avant-garde

Le premier géant de la Silicon Valley à dégainer l’arme du télétravail de manière aussi drastique a cependant été Twitter, début mai, qui avait annoncé autoriser certains de ses salariés à travailler depuis leur domicile de façon permanente. Twitter précise qu'"à de très rares exceptions", les bureaux de l'entreprise resteront fermés jusqu'en septembre et que toute réouverture se fera de façon "délibérée, intentionnelle, graduelle et au cas par cas". Aucun voyage d'affaires n'aura lieu avant septembre et la plupart des événements d'entreprise prévus en 2020 et nécessitant une présence physique sont annulés. 

Les géants de la Tech sont-ils des précurseurs ? De manière générale, l'explosion du travail à distance avec la pandémie donne des idées aux grands groupes, qui y voient une source d'économies et s’interrogent sur cette révolution des pratiques. Ainsi, depuis le début du confinement, les quartiers d'affaires se sont vidés : Manhattan, ou encore La Défense sont désertés… Et, même à l'heure de la reprise très progressive du travail qui tourne au casse-tête, c'est désormais leur avenir qui pourrait être en jeu, et ceux de leurs grattes-ciels et autres tours, symboles du capitalisme moderne et de la puissance des multinationales.

Une diminution du bien-être et de la loyauté envers l'entreprise pourrait effacer en partie les économies réalisées
Clare Lyonette et Beate Baldauf, professeures à l'université de Warwick

En effet, selon une enquête du géant du conseil immobilier Cushman & Wakefield, réalisée en avril auprès de 300 entreprises dans le monde, 89% d'entre elles estiment que le recours au travail à distance se poursuivra au-delà de la pandémie. D'autant que les grands groupes pourraient être tentés de limiter leur patrimoine immobilier, car réduire les coûts sera la priorité de nombre d'entre eux dans les prochaines années, pour absorber le choc économique de la pandémie. 

Ainsi, Jes Staley, le patron de la banque britannique Barclays, dont les imposants et luxueux locaux sont justement situés à Canary Wharf, à Londres, estime ainsi que "mettre 7.000 personnes dans un immeuble pourrait être du passé. Nous trouverons des moyens pour opérer avec davantage de distances pendant longtemps". Il résume l'état d'esprit de nombres de dirigeants de multinationales qui constatent le succès du travail à distance pendant la pandémie.

Certes tous les secteurs ne peuvent pas l'appliquer, mais cette pratique s'est massivement imposée. Le géant automobile français PSA réfléchit lui aussi à en faire la "référence" pour ses activités hors production, soit des dizaines de milliers de personnes.Le géant britannique de la publicité WPP a placé près de 95% de 107.000 employés en télétravail, en continuant à maintenir les services à ses clients. Le promoteur immobilier britannique Land Securities, très présents dans la City de Londres, a lui estimé récemment que seuls 10% de ses espaces de bureaux étaient utilisés.

Si certains professent ainsi qu'il n'y aura "jamais de retour à la normale", comme Alex Ham, co-directeur général du courtier londonien Numis Securities,  dans The Telegraph, d'autres lancent des avertissements : "Les employeurs doivent être conscients des effets négatifs potentiels sur le long terme", notamment l'impact négatif sur la cohésion des équipes, préviennent Clare Lyonette et Beate Baldauf, professeures à l'université de Warwick. "Une diminution du bien-être et de la loyauté envers l'entreprise pourrait effacer en partie les économies réalisées", selon elles. Et il n'est même pas sûr que les salariés y soient vraiment gagnants.


Sibylle LAURENT

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