Dans le monde du travail, les femmes encore discriminées

Publié le 6 mai 2021 à 11h10, mis à jour le 3 mars 2023 à 11h46
Dans le monde du travail, les femmes encore discriminées

Source : iStock

Malgré les lois et les quotas, de graves discriminations liées au sexe perdurent.
L’accession à un poste ou à un rôle plus important dans leur entreprise reste plus difficile pour une femme que pour un homme.
Le poids des stéréotypes empêche la société de progresser suffisamment rapidement.

75 % pour les hommes, 49 % pour les femmes. C’est le taux global de participation au marché du travail dans le monde. Pour le Bureau international du travail, "la liberté de travailler – par choix, dans la dignité, la sécurité et l’équité – fait partie intégrante du bien-être humain."

Or, en France et ailleurs, beaucoup de ressources humaines (RH) s’interrogent toujours sur la capacité d’une femme à exercer une fonction managériale, sa concentration au travail "à cause de son rôle de mère", sa mobilité, ses aptitudes physiques ou même parfois psychologiques. Carole Cano, déléguée syndicale et membre du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, regrette que le monde du travail en demande toujours davantage aux femmes : "Les managers vont avoir tendance à être plus exigeants vis-à-vis des femmes et plus durs quant à la notation de la performance. Par exemple, ils vont avoir tendance à considérer que les compétences de leadership sont une évidence chez les hommes, tandis que les femmes ont à les démontrer."

Ségrégation sexuée du travail

Sur un moteur de recherche, tapez "femme travail". La première question que le générateur vous soumettra semble incongrue : "Quel est le métier idéal pour une femme ?" Les réponses apportées frisent l’inconvenance : assistante maternelle, secrétaire, employée de maison ou aide-soignante. Une grande majorité des femmes se cantonnent encore à des emplois peu qualifiés : des services domestiques (femme de ménage), des métiers du secteur de la distribution (vendeuse ou caissière) ou de la santé. Des postes mal rémunérés et souvent très précaires que les femmes exercent souvent à temps partiel à leurs dépens.

De l’autre côté du spectre, beaucoup d’emplois restent préemptés par les hommes. Une étude réalisée en novembre 2018 à l'initiative de la Fondation des femmes, auprès de quelque 500 employeurs d’Ile-de-France, le montre parfaitement. Une femme qui postule pour un emploi considéré comme typiquement masculin, à l’instar de mécanicien automobile, chauffeur-livreur, informaticien ou jardinier, a entre 22 % et 35 % de chance en moins de se voir proposer un emploi à compétence et qualification égale.

Lutte invisible

Difficile, toutefois, de détecter une discrimination liée au sexe dans le monde du travail. Quelques "non-gestes" peuvent alerter les femmes victimes : elles n’obtiennent pas ce qu’elles demandent, au contraire de collègues, elles ne sont pas recrutées et récoltent des explications floues, elles n’arrivent jamais à décrocher la formation ou la promotion espérée, leur supérieur les mettent à l’écart, voire les rétrograde sans raison. Anaë Perez Ainciart, avocate spécialisée en droit du travail et pénal et bénévole pour la Fondation des femmes, leur conseille d’échanger avec leurs collègues : "Il faut essayer de se renseigner auprès d’autres personnes qui ont postulé dans des cas comparables pour savoir s’il y a bien des éléments discriminatoires."

Impossible de trouver des chiffres fiables. Mais pour l’avocate, aucun doute, les discriminations liées au sexe restent très fréquentes : "Les femmes ont souvent du mal à comprendre ce qui correspond à une discrimination. D’autres se découragent et ne vont pas au bout. On en parle peu en entreprise, ça reste un concept mal connu des salariées qui saisissent très peu la justice pour faire valoir leurs droits et obtenir réparation. Les prud’hommes peuvent administrer de lourdes amendes et les tribunaux d’instance des peines de prison (jusqu’à 3 ans), mais dans les faits ça n’arrive quasiment jamais." La Fondation des femmes reproche aux entreprises de ne pas respecter les lois. "Les grandes entreprises ont les moyens (juristes, RH, accompagnement par des cabinets d’avocat, etc.). C’est plus dur pour les PME. Si une femme de retour d’un congé maternité ne bénéficie pas d’un rattrapage salarial que la loi lui octroie et qu’elle ne pense pas à le demander, elle se retrouve discriminée", poursuit Anaë Perez Ainciart.

Pour aider les victimes, la Fondation des femmes a conçu le Projet Equal-pay : une force juridique pour défendre l’égalité salariale. Quelle que soit la discrimination (liée au sexe, au handicap, à l’origine), la même règle s’applique : la justice aménage la charge de la preuve pour aider les salariés à la démontrer. L’avocate explique : "On ne demande pas à la personne qui s’estime victime de caractériser la discrimination, elle doit apporter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination (mail, témoignage). Il appartient ensuite à l’employeur de produire des données objectives étrangères à toute discrimination. Si la victime présumée manque de preuve, elle peut demander à l’entreprise, en référé aux prud’hommes, de publier des courriers de promotion ou des bulletins de salaire."

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Casser les stéréotypes

La persistance des idées reçues de genre, liée à notre construction sociale et notre culture, contribue à accentuer les discriminations professionnelles. Pour l’ensemble des chercheurs interrogés, il faut détruire les stéréotypes pour enrayer les discriminations. "On associe par exemple l’autorité naturelle à une qualité masculine", regrette Anaë Perez Ainciart qui estime que nous entretenons ces clichés par des comportements anodins. "Il n’existe pas de qualités, de défauts ou de compétences féminines. À l’exception de la force physique naturellement plus importante chez les hommes, à compétence égale, les travailleurs développent des qualités similaires." C’est notre parcours de vie (handicap, situation familiale, etc.) qui forme nos capacités physiques, psychologiques ou mentales. "Tout passe par l’école", ajoute l’avocate. "Les choix de filières doivent se dégenrer pour stopper les stéréotypes. Aujourd’hui, l’immense majorité des informaticiens qui créent des intelligences artificielles sont des hommes : les IA ne prennent pas forcément en compte les besoins des femmes. Ces IA risquent d’accentuer les déséquilibres sexuels."

Lutter contre les discriminations dans le monde du travail et favoriser l’égalité passe sûrement d’abord par une meilleure répartition des tâches domestiques. Cet équilibre permettrait aux RH de dissocier le rapport entre la mère et la responsabilité du foyer (problèmes de santé de son enfant, fatigue liée aux tâches ménagères et organisations diverses de la famille, etc.). Sensibiliser les hommes sur cette dissociation serait également bénéfique, en les incitant, par exemple, à prendre leur congé paternité. C’est, là aussi, un bon moyen de faire changer les mentalités.

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« EXPERTES A LA UNE » part à la rencontre de CELLES qui ont des choses à dire.  Leur parole ne sera pas interrompue par le son d’une voix plus forte ou plus grave. Les Expertes seront à l’honneur dans ce podcast car le savoir ne doit pas se  résumer à une moitié de l’Humanité. Les invitées sont des femmes légitimes dans leurs domaines de compétence, leur voix doit être entendue. Parfois trop invisibles, je plonge dans chaque épisode au cœur de leur univers intime ou professionnel, sous la forme d’une conversation pour les mettre dans la lumière.


Geoffrey LOPES

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