INTERVIEW - "Best Place to Freelance", un label indépendant qui vise à distinguer les entreprises ayant de bonnes pratiques avec les travailleurs indépendants, est lancé ce mardi. L'idée : instaurer un cadre, alors que ce mode de travail explose. Le point avec Daniel Pardo, à l'origine de l'initiative.
De plus en plus de Français sont des travailleurs indépendants. Qu’il soit choisi ou pas, petit à petit, le statut s’impose dans le pays. Pour aider à réguler, le label "Best Place to Freelance" est lancé ce mardi. Son but : mettre en valeur les entreprises modèles dans leurs relations aux free-lance. Le point avec Daniel Pardo, auteur de "Comment travailler avec les indépendants ?", qui a impulsé l’idée auprès de Bureau Veritas Certification, un organisme de certification indépendant, leader mondial.
LCI : En France, quelle est la réalité du travail indépendant ?
Daniel Pardo : Cette forme de travail concerne aujourd’hui 10% des actifs, soit 2,8 millions de personnes. C'est en dessous de la moyenne européenne (15%) ou des Etats-Unis (34%). La tendance est donc très développée et nous allons sans doute continuer à la suivre. Il est intéressant de s’y préparer.
Et ce d'autant que le travail indépendant recouvre des réalités très différentes : l’agriculteur, le free-lance qui va intervenir en mission longue dans des SSII pendant douze mois ou le directeur d’entreprise qui reprend les rênes d’une société pendant six mois. Cela regroupe aussi différents statuts juridiques : micro-entreprise, SAS, SARL, portage salarial, groupement d'employeurs, intérim, temps partagé, CDD d'usage... De leur côté, les entreprises qui font appel à des free-lance ont des pratiques également très hétéroclites. Il est donc intéressant de poser des règles fondamentales, de créer un cadre éthique.
Cela correspond à un désir des entreprises, mais aussi des personnes
Daniel Pardo
Cette tendance à la hausse du travail indépendant ne masque-t-elle pas une précarité rampante ?
Travail indépendant ne veut pas forcément dire précarité. A mon sens, il y a même plutôt une bascule : avant, c’était subi, alors qu’aujourd’hui, nous assistons à une demande de gens qui ne veulent pas être salariés, qui veulent choisir leurs clients, leurs horaires. Le travail indépendant peut aussi être pour certains un moyen de revenir vers le salariat, par exemple pour les plus de 50 ans, qui ont plus de mal à trouver un emploi. Je suis ainsi longtemps intervenu en entreprise comme manager de transition, lors de missions de 8 à 18 mois. Et parfois, à l'issue de mon contrat, on me proposait un CDI. De plus en plus, on constate une porosité entre le monde salarial et le monde free-lance, voire les deux en même temps. C'est une nouvelle tendance, très forte, qui correspond à un désir des entreprises, mais aussi des personnes.
Quel est le but de votre label ?
Il devient urgent de faire évoluer et d'unifier les pratiques des entreprises. Certaines sont très en avance dans la relation avec les free-lance qui travaillent pour elles, d’autres n’intègrent même pas cette nouvelle donne. La genèse du projet vient aussi du constat des mauvaises pratiques de certaines d'entre elles. Nous proposons également un accompagnement, des conseils aux sociétés qui ne sont pas tout à fait prêtes, pour tendre vers une meilleure organisation. Bref, toute une démarche éthique.
Problème de paiement, d'interlocteurs...
Quelles sont les problématiques auxquels les free-lance sont confrontés ?
Les délais de paiement par exemple. Certaines entreprises vous paient immédiatement, d’autres non, parfois pour des questions de trésorerie, parfois par oubli. Les free-lance ne s’en préoccupent pas forcément au début, trop contents d’avoir remporté leurs mission. Mais quand ils sont payés trois mois après, qu’il leur faut relancer sans cesse, cela peut être un souci.
D'autres problématiques existent et sont liées : ainsi, le fait pour un free-lance qui intervient dans une entreprise d'avoir un interlocuteur précis, d'être accueilli. Parce qu'on constate que si vous êtes salarié et que vous intervenez dans votre société, vous allez voir les DRH, il y aura alors des responsables, tout est balisé. Si on prend la même personne, mais qui a créé sa structure, elle sera sans doute laissée à elle-même. La plupart des sociétés ont du mal à recenser les talents externes intervenant chez elles. Du coup, ce n’est pas géré de manière optimale. L’entreprise elle-même doit être structurée pour accueillir ces forces.
Le gagnant-gagnant
Mais quel est l'intérêt pour l’entreprise de se pencher sur ces problématiques ?
C’est une démarche gagnant-gagnant. L'entreprise va ainsi se démarquer et montrer ses bonnes pratiques. Car beaucoup en ont avec les free-lance, et on ne le sait pas. Par exemple, pour reprendre le cas de l'indemnisation, de grands groupes, qui savent que leurs processus internes sont longs, accordent une avance au free-lance, avant même qu'il ne commence la mission. Il est important de communiquer là-dessus et de le mettre en valeur. Cela permet aussi d’attirer les talents.
Les indépendants, eux, gagnent de la visibilité : aujourd’hui, quand ils interviennent, ils ne savent rien sur la société, alors qu’ils doivent faire attention à toute une série de choses. Cela leur permet de savoir où ils mettent les pieds.
Les plateformes de livraisons à domicile, type Uber eats ou feu Take eat easy, qui font travailler des indépendants, peuvent-elles être concernées ?
Cet exemple est intéressant : la semaine dernière, la Cour de Cassation a requalifié un travailleur d’une de ces plateformes en salarié, en constatant qu’il y avait un lien de subordination, qui est la base du salariat. Notre label prévoit que l’entreprise doit elle-même être attentive à ce qu’il n’y ait pas de risque de requalification salariale, que ce ne soit pas du salariat déguisé. La relation de travail n'est pas la même avec un salarié qu’avec un free-lance : vous ne pouvez pas lui imposer d’horaires fixes, ni de tâches trop précises. Parfois, certaines entreprises sont pleines de bonnes intentions, mais ne connaissent pas la manière de travailler avec les free-lance. Nous sommes là pour les aider à améliorer leurs pratiques.
> Le site bestplacetofreelance.fr, qui présente cette démarche éthique est lancé ce 4 décembre.
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