TÉMOIGNAGE – Avec la crise du coronavirus, 12,4 millions de salariés ont été placés au chômage partiel. Un dispositif tellement souple et ouvert, que des entreprises en ont profité pour toucher des aides de l’Etat, tout en poussant leurs salariés à continuer à travailler plus que déclaré. Nicolas, responsable commercial de 30 ans, est dans ce cas. Il nous nous raconte.
"Ce qu’il se passe me semble suffisamment gênant pour être signalé. Et c’est toujours d’actualité, malheureusement…" Nicolas* est responsable commercial. 30 ans, il travaille chez un courtier immobilier en ligne. Une petite start-up, une centaine de salariés, lancée il y a deux ans. Dans cette société où tout se fait en ligne, le télétravail, s’est mis en place "de façon extrêmement souple". Le volume d’affaires est là, l’organisation roule. Et pourtant, au début du confinement, les dirigeants annoncent qu'ils mettent en place du chômage partiel.
"Au début, c'était à 50% pour les développeurs informatiques, jusqu’à 80% pour le service commercial", précise Nicolas. Des documents sont envoyés par les RH, qu'il faut signer électroniquement, expliquant comment cela va se passer. Le cadre est posé et semble clair : un commercial en chômage partiel à 80%, doit travailler 1 jours par semaine. A 50%, on ne travaille pas le matin. En principe.
"La mesure a tout de même interpellé", raconte Nicolas. "D'abord parce qu’il y avait du travail dans l’entreprise, et les gens savaient qu'ils n'allaient pas réussir tout faire en ne travaillant qu'un jour par semaine". "C'est encore plus vrai pour les développeurs informatiques qui travaillent sur des projets à moyen ou long terme."
Et puis la start-up est en pleine croissance : "Elle a levé quelques millions d’euros avec des projets de développement importants, donc cela a interpellé. Mais pourquoi pas..." Car en face, les dirigeants plaident leur cause. "Ils ont expliqué que la crise pouvait mettre en difficulté l’entreprise. Ce qui est vrai, puisque objectivement la crise a fait baisser le flux de clientèle.
Un double discours
Le manager constate surtout très vite un double discours. "Le directeur commercial a expliqué aux managers commerciaux qu'on devait dire aux salariés que pour la santé de l’entreprise, il était attendu qu’on travaille de façon plus ou moins équivalente à avant. Dans tous les cas, bien plus que le chômage partiel annoncé à 80%", raconte Nicolas. "Et les managers commerciaux ont expliqué que oui il y avait le chômage partiel, mais qu’il y avait un volume d’affaires qui il y avait à traiter, et qu’il fallait le traiter. Et même chose pour les développeurs informatiques." Et c'est ce qu'il s'est passé. Dans les faits, estime Nicolas, une grande majorité des commerciaux travaille aussi le matin.
La situation devient vite assez kafkaïenne, ou en tout cas très paradoxale. "Par exemple, quand un expert commercial vient poster un message sur le Slack de l’entreprise le matin, alors qu’il est censé être en chômage partiel, un dirigeant va dire 'attention, je te rappelle que tu ne dois pas travailler le matin', alors que dans le même temps, les managers commerciaux échangent avec leurs équipes par SMS ou par Whatsapp..." Pourtant, tout cela se fait, selon le manager, relativement sans pression. "En fait, les salariés sont confinés chez eux, ils sont là pour travailler, donc il n’y a pas de réticence. Et si l’entreprise est en difficulté, ils sont plutôt prêts à bosser 70 heures et sept jour sur sept." Le problème vient de l'incohérence. Il y a manifestement assez de travail et la trésorerie est bonne.
Cela met des salariés dans l’inconfort, dans leur boulot au quotidien
Nicolas, responsable commercial
Situation gênante pour les salariés, renforcée par les annonces récentes du gouvernement, de contrôles plus stricts sur les fraudes au chômage partiel. "Les gens se demandent si c’est bien", s'il n'y a pas d'abus dit Nicolas. "Sans avoir les réponses d’ailleurs…, car ce sont des sujets assez compliqués, sur lesquels nous, salariés, ne maîtrisons pas tout. Quoi qu’il en soit, cela questionne. Peut-être même, pointe une sorte de conflit moral, alors que sont érigées dans cette entreprise des valeurs comme l’exigence, la transparence. Nicolas le constate : "Certains mangers commerciaux avec qui j’ai parlé sont assez gênés par l’hypocrisie que cela génère."
C'est tellement facile, ça préserve la trésorerie, il ne peut pas ne pas y avoir eu de fraudes sur ces sujets-là !
Nicolas, responsable commercial
Avec, en plus, un effet pervers. "A l'annonce de mise en place du chômage partiel, les gens se sont demandés si l’entreprise avait des difficultés financières. Comme on a dit aux salariés que l’entreprise était assise sur quelques millions d’euros de trésorerie, ils se sont demandés s’il y avait vraiment cet argent dans l’entreprise", raconte Nicolas. "Et cela génère une crainte : est-ce que l’entreprise est aussi solide que ce qu’on me dit ? Est -ce qu’elle pourra me payer dans six mois ? Est-ce que je n’ai pas intérêt à aller dans une entreprise plus solide ?".
Et en regardant autour de lui, dans ce petit milieu, Nicolas en est convaincu : "Ce que j'ai vu dans ma boîte n'est pas isolé", estime le jeune homme. "On a d’un côté des entreprises qui peuvent facilement faire travailler les gens à distance ; de l’autre l’Etat qui ouvre les vannes du chômage partiel, sans contrôle et sans justificatif… Du point de vue d'une entreprise, c’est tellement facile, cela préserve la trésorerie, - et c’est souvent justifié !-, mais il ne peut pas ne pas y avoir eu de fraudes sur ces sujets-là. Soit on déclare des salaires plus gros que ce que l'on paie aux gens, soit on déclare des gens au chômage partiel et ils ne sont pas au chômage partiel. Il y avait tellement d’inconnues pour les entreprises, qu'elles ont parfois cherché à se préserver par tous les moyens. Mais je pense qu'il y aura quelques redressements dans les prochains mois." Depuis le déconfinement, la part de chômage partiel a un peu diminué. Mais pas disparu. En attendant peut-être le tour de vis annoncé par Muriel Pénicaud début juiin.
Les fraudes au chômage partiel sont difficiles à estimer. La semaine dernière, une grande enquête de l'Ugict-CGT menée auprès de 34.000 salariés estimait que 31 % des salariés en chômage partiel total ou arrêt maladie ont dû continuer à travailler. Ce vendredi, une enquête menée par le cabinet Technologia, auprès de 2.600 élus du personnel estime que "plus de 50%" des sondés considèrent que "des demandes d'activité interdites ont eu lieu". Dans le détail, "30% des salariés en chômage partiel auraient ainsi été appelés par leur manager et 11% par leur dirigeant. 24% des employés en chômage partiel total auraient été amenés à poursuivre leur activité à la demande de l'employeur", indique l'étude qui souligne aussi "qu'une même proportion a poursuivi son travail de sa propre initiative".
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