"Ce projet pro a été ma thérapie" : comment Guillaume, rescapé du Bataclan, s'est construit une nouvelle vie

par Sibylle LAURENT
Publié le 28 mai 2020 à 9h00, mis à jour le 28 mai 2020 à 9h46
"Ce projet pro a été ma thérapie" : comment Guillaume, rescapé du Bataclan, s'est construit une nouvelle vie
Source : Sur la route/Guillaume Delmas

L’HISTOIRE – Il y a 5 ans, il réchappait du Bataclan. Après avoir repris le travail, il y voyait débouler un terroriste, avec une kalachnikov. C’était un exercice anti-attentat. Mais le choc a été tel que Guillaume a eu besoin de partir et se reconstruire. De ça est né son nouveau projet professionnel : "Sur la route", une série de documentaires, pour lequel il lance un crowdfunding.

Un jour, Guillaume a pris la tangente. Il a pris sa moto, fichu le camp de Paris, est allé s’aérer de grands espaces et de ciel bleu. Il avait besoin d’une feuille toute blanche, de se vider la tête, de hurler peut-être. En tout cas de retrouver un sens à son histoire. "Il n’y a pas de rémission possible dans l’immobilisme !", dit-il. Et c’est comme ça, dans cette échappée belle, qu’il a trouvé le nouveau projet de sa nouvelle vie : une série de documentaires sur l’Histoire de France sous forme de road-movie.

Guillaume Delmas, la quarantaine, est un rescapé : il y a 5 ans, il échappait à l’attentat du Bataclan. Décidait, assez vite, de reprendre son travail, dans une grande boite de communication parisienne. "Ma femme et moi avions décidé de nous remettre au travail très vite : nous voulions préserver les enfants, qui avaient à l’époque 12 et 15 ans", raconte-t-il. "Nous ne voulions pas plonger et les entraîner là-dedans. Au contraire, il fallait que tout reprenne." A l’époque, se réinsérer dans le cadre professionnel, tel qu’il était au matin du vendredi 13 novembre 2015, a été une vraie béquille. "Pour ne pas plonger dans la dépression, ne pas péter les plombs, ne pas tomber dans cette spirale qui nous tire vers le bas, pour se maintenir", explique Guillaume, comme une litanie.

Cela m’a beaucoup aidé à surmonter mon traumatisme
Guillaume Delmas

La béquille a bien tenu. Mais un temps seulement. Parce que deux ans et demi plus tard, c’est par ce boulot -c’est peut-être l’ironie de l’histoire– qu’il rechute. Son patron organise alors un exercice de sécurité ; un faux terroriste débarque, avec une kalachnikov. Elle est fausse, évidemment. Mais pour Guillaume, c’est le choc. Peut-être qu’il avait tout mis de côté, voulu oublier. Mais là, l’histoire ressort, le traumatisme explose, impossible à contenir. Guillaume est mis en arrêt, plonge dans une spirale noire, ressasse. Attaque son employeur. Tout ceci dure plus d’un an. C’est là qu’il prend sa moto et s’enfuit dans le sud de la France. Là aussi que ce projet de documentaire s’impose à lui. "J’étais dans cette problématique professionnelle avec mon ancien employeur, dans le procès, dans les thérapies avec le psy. Et j’ai vu dans ce projet comme une bouée de sauvetage à laquelle m’accrocher, pour passer outre mon traumatisme et réaliser d’une pierre deux coups, en préparant un renouveau professionnel", se rappelle-t-il. "Je ne me voyais pas franchement retourner à ce que je faisais, la production audiovisuelle en publicité, à l’issue de mon procès."

 

Et voilà le début de la renaissance. Le procès aux prud'hommes a eu lieu en janvier dernier, la décision est tombée début mars, et Guillaume le dit avec un petit sourire : "Depuis le 31 mars, je suis libéré de mes obligations professionnelles. Depuis le 1er avril, je peux enfin déployer mes ailes. Et ce n’est pas un poisson d’avril !" Chuter, pour mieux repartir ? Il le dit aujourd’hui avec prudence : "C’est encore trop frais pour le moment, mais au final cet événement m’a permis pendant un an et demi de réfléchir à ce nouveau projet, l'envisager comme une nouvelle vie professionnelle et me lancer. Cela m’a beaucoup aidé à surmonter mon traumatisme".

Un motard vagabonde sur les traces de l'Histoire : c'est le concept de la série portée par Guillaume.
Un motard vagabonde sur les traces de l'Histoire : c'est le concept de la série portée par Guillaume. - DR

J’ai enfin accepté d’en faire mon histoire. A ma grande surprise, cela m’a amené de la légèreté
Guillaume Delmas

Son projet s’appelle "Sur la route". Cette série de documentaires veut être "une invitation au voyage, à la découverte de faits et personnages historiques sous un nouvel angle, un autre point de vue", résume Guillaume. "A l'heure où ce début de siècle connait pas mal de sorties de route, il n'est pas inutile de se remémorer d'où l'on vient, pour mieux savoir où l'on va." 

Se rappeler d'où l'on vient, savoir où l'on va... Un psychologue de comptoir ne trouverait-il pas intéressant, que Guillaume, au moment de digérer son histoire, ait besoin de se replonger dans l’Histoire ? Guillaume n'en sait rien, s'en fiche sans doute un peu, mais raconte : "J'avais pensé le concept du documentaire avec un personnage de motard, qui écumerait les routes, ferait découvrir ces paysages et ces histoires de bouts de France. Et puis à force d’en parler autour de moi, on m’a dit : "Guillaume, il va falloir que tu te rendes à l’évidence. Ce personnage, ce motard, c’est toi, c’est ton histoire." Alors il ne l’a pas caché, il l’a assumé. S'est servi aussi de son passé pour écrire le documentaire, cette idée d'explorer le passé. "C’est vrai : cette histoire du Bataclan, cela ne peut pas être un boulet. Je ne vais pas la traîner toute ma vie", assène-t-il. "Il faut que je passe à autre chose. Et finalement, c’est une forme de catharsis de la mettre en avant. J’ai enfin accepté d’en faire mon histoire. Et finalement, à ma grande surprise, cela m’a amené pas mal de légèreté. Je pensais que ça allait me plomber mais cela a eu l’effet inverse."

"Ce projet 'Sur la route' a été ma catharsis, mon chemin de croix
Guillaume Delmas

Ne plus cacher le traumatisme dans un coin, en espérant qu’il disparaisse. Au contraire, l’exposer, en parler. Accepter que cela fasse partie de sa vie. De toute façon, le Bataclan ressortira toujours, d'une manière ou d'une autre. Tenez, le confinement. "Nous en avons beaucoup  parlé avec les gens de l’association Life for Paris, car beaucoup l’ont pris un peu comme un traumatisme", relate Guilllaume. " Cela mêle un peu tout : l’enfermement, le fait d’être dans un tunnel dont on ne connait pas l’issue, dont on ne sait pas quand on va en sortir, ni dans quel état. Il y a une similitude avec la situation que nous avons connue au sortir du Bataclan. Nous avons tous vécu un repli sur nous-même, un repli psychologique, un repli sociétal." Ce repli contraint et forcé par le Covid-19, ils en ont beaucoup discuté. "Cela a pu faire comme un deuxième effet kiss-cool, en nous remettant  une chape de plomb sur la tête. Cela nous a rappelé l’état psychologique dans lequel nous étions avant ou fait remuer des choses  franchement pas marrantes pour les plus fragiles d’entre nous."

Lui, l'a plutôt bien vécu, ce confinement. "Il n’y a pas un traumatisme supérieur à un autre. Mais peut être que nous avons un peu d’entrainement par rapport au Covid !", dit-il en rigolant. "Et moi, avec mon année et demi confiné du travail, j’en avais peut être encore plus !" Le confinement, il l’a passé dans le pays catalan, sa région d’origine. Il a fait venir ses enfants, n’est pas pressé de rentrer à Paris. Ce coin de France sera d'ailleurs le sujet de son premier épisode.  Autre coïncidence psychanalytique ? "Chacun effectue sa thérapie comme il peut, s’accroche à ce qu’il peut", redit Guillaume. "Mais pour moi, ce projet 'Sur la route' a été ma catharsis, mon chemin de croix au début qui s’est transformé en thérapie super positive."

> Pour participer au projet Sur la route sur Kisskissbankbank c'est par ici . Tous les détails sont aussi sur Facebook


Sibylle LAURENT

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