NOUVEAU MONDE - Comment les entreprises traversent-elles la crise ? Quels changements cela induit-il ? Comment gérer ces changements ? David Autissier, Directeur de la Chaire ESSEC du changement et de la Chaire ESSEC IME, nous livre son analyse.
C’est un fait : la crise du coronavirus, brutale, inattendue, a chamboulé les entreprises. En un mois et demi, tout a été renversé. Pourtant, ces organisations sont habituées à gérer le changement. Mais celui-ci est d’une toute autre nature. Que provoque cette crise ? Que révèle-t-elle ? Comment en sortir par le haut ? David Autissier, maître de conférences et directeur de la Chaire ESSEC du changement, spécialisé dans les problématiques du changement, livre à LCI son analyse.
Selon lui, plusieurs éléments caractérisent cette crise. "Tout d'abord, un choc émotionnel. Quand un changement survient, il y a toujours un choc. Il se traduit par du déni, de la colère, de la peur. S’ensuit une phase de marchandage, puis de réflexion, de remobilisation et d’action." D'après David Autissier, le choc d’aujourd’hui est particulier car il touche à "l’identité ontologique" des individus, quelque chose lié à la survie de la personne : "Beaucoup d’interrogations surgissent, liées à la santé, de soi-même et de ses proches. Des questions de survie au niveau individuel, mais aussi collectif : l’activité économique va-t-elle perdurer ? Mon entreprise va-t-elle survire ? En cela, ce choc modifie les équilibres psychologiques, voire existentiels."
Résultat : cette crise fait émerger de nouveaux besoins. "Le modèle basé sur la valorisation sociale, le fait d’acquérir, est ébranlé", indique l'universitaire. "Il est difficile de savoir si cela va perdurer. Mais une chose est sûre : beaucoup de personnes s’interrogent sur leur utilité sociale tandis qu'une reconnaissance apparaît pour des métiers auparavant déconsidérés". Des clivages apparaissent ainsi dans les organisations, entre les salariés en première ligne, sur le front, et ceux à l’arrière. Plus globalement, la crise chamboule aussi les compétences et la production classique. "Aujourd’hui, nous devons produire différemment, dans des circonstances inconnues. Et il faut trouver des solutions différemment. Une certaine capacité de bricolage devient essentielle. Il faut aller vite, agir vite. Cela bouscule les habitudes et les systèmes de gouvernance".
Le collectif attend des communications claires, des leaders responsables, avec des solutions.
David Autissier, maître de conférences
Comment, face à tout cela, l’entreprise peut-elle réagir ? Comment créer du sens pour répondre à ces nouveaux questionnements, ces besoins qui émergent ? David Autissier dresse plusieurs pistes. A court terme, d’abord. "En situation de crise, un levier clé est la communication. Nous sommes contraints de communiquer. En revanche, le dilemme reste le même : jusqu’où être alarmiste pour sensibiliser et montrer la réalité des choses, jusqu'où faut-il rassurer ? La notion de pédagogie est très importante : il faut savoir trouver les arguments pour que la personne en face comprenne et ingère. Ce n’est pas toujours simple. Mais le collectif attend des communications claires, des leaders responsables, avec des solutions." D’où aussi, l’importance du leadership. "Tous les acteurs décisionnels ont un rôle de leadership pour expliquer, prendre la parole. A la fois sur le temps court, avec l’expertise, et sur le temps long, la décision politique. Il faut aborder la continuité, l’avenir, la reconstruction."
Autre levier, celui que David Autissier appelle "l’innovation ordinaire". "Nous pensons souvent que l’innovation dépend d’un département Recherche et développement. Non. Tout ce que les personnes sur le terrain apportent est bienvenu. Il ne faut pas se priver de toutes les bonnes initiatives. Mais dans cette optique, il faut sortir du cadre, essayer de penser autrement, mais aussi effectuer des tests, des prototypes, des expérimentations." Exemple : quand Renault et PSA décident de fabriquer des respirateurs, ils sortent du cadre. Ils n’ont jamais produit cela. Mais ils savent mettre en place des chaînes de fabrication. Et en faisant appel aux partenaires adaptés, ils vont plus vite vers de nouvelles manières de faire et de penser.
Et plus loin ? Comment sortir de cette crise ? "Elle est une sorte de révélateur existentiel", poursuit David Autissier. "Ce moment permet de savoir ce qui est vraiment important, ce qu’on veut sauver à tout prix. Car la sortie de crise, c’est plusieurs choses : une sorte d’excitation, de sortie du tunnel, mais aussi le risque de ne pas retrouver ce qu’on avait quitté. Une reconstruction doit être menée. Et changer, c’est innover mais c’est aussi garder des traditions. Il faut donc s’interroger sur ce qu’on veut garder à tout prix et ce qui est à modifier".
Pour le chercheur, les fondamentaux, les éléments vitaux à conserver, ont été rendus visibles par la crise. Ce sont les moyens de production, qui servent à l’entreprise pour créer de la valeur. "La question est ensuite : 'comment puis-je garantir les moyens de production ?' Je pense qu’il y a un travail à faire sur la raison d’être, sur la notion de société à mission développée par la loi Pacte en novembre 2019. C’est se demander : quel est l’impact positif de l’entreprise sur la société ? Cela revient à s’interroger sur le sens de son action de production, sa participation au collectif."
Il faudra s'interroger sur le sens de son action de production, sa participation au collectif
David Autissier, maître de conférences
A plus long terme, un autre mécanisme doit être mis en place : l’innovation, au sens classique du terme. "En réaction à ce qu’il se passe, de nouveaux comportements et manières de travailler émergent", constate l'universitaire. "D’un point de vue macro et microéconomique, cela pose beaucoup de questions. Le télétravail se généralise, le fonctionnement à distance se met en place, de grands projets se réalisent en mode distanciel. Pour l’instant, les résultats sont intéressants, on gagne en temps, en attention".
Cette innovation pourrait prendre la forme d’intrapreneuriat et d’entreprenariat. "Pendant la crise, les individus ont pris le goût à réaliser des choses, d’agir en autonomie et en responsabilité. Demain, ces acteurs-là, il va falloir leur proposer des choses. De nouvelles manières de travailler et leur offrir de nouveaux terrains de jeu. Toutes ces logiques sous-jacentes, les techniques de gestion du changement classique vont devoir en tenir compte", conclut David Autissier.
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