REPRISE D'ACTIVITÉ - Les entreprises essaient de limiter la casse face à la crise engendrée par l'épidémie de Covid-19. Parfois en demandant des efforts à leurs salariés. Passage en revue.
Cet été, Houari Belaredj avait prévu trois semaines de vacances. Il en a finalement retiré une. "Je ne vais prendre que deux semaines. Vu ce qu’il s’est passé, on fait tous un petit effort", confie-t-il dans la vidéo en tête de cet article. Ce responsable d’atelier d’usinage travaille dans une entreprise dijonnaise, CLM Industries. D’habitude, elle ferme trois semaines au mois d’août mais cette année, pour la première fois, ce ne sera pas le cas. Car avec la reprise d’activité, il faut tenir les plannings et les délais. Son collègue, Julien Evrard, qui avait prévu des vacances en août, va lui aussi "sûrement rester sur Dijon". "C’est un peu comme des vacances en décalé", dit-il. Des salariés compréhensifs et aidants face à la crise économique et aux retards pris dans les livraisons de commande.
La reprise d’activité, la crise économique, la nécessité de faire face… Dans tous les secteurs, les entreprises demandent des efforts à leurs salariés, pour leurs vacances, leurs poses de RTT ou encore… leurs salaires. Tous les secteurs sont touchés, mais à chaque fois, cela passe par un accord, soit avec les syndicats, soit avec les salariés eux-mêmes si l’entreprise est une petite structure.
Congés et RTT, premiers efforts demandés
Ces efforts ont d’abord commencé pendant la période de confinement. Dans le secteur bancaire, la Société générale a ainsi rapidement imposé à ses salariés, via un accord qui garantissait en même temps le maintien des salaires, l’obligation de prise de deux semaines de repos avant la fin mai. Sa concurrente la BNP a elle aussi demandé à ses salariés, sans accord cette fois, de poser sept jours de RTT ou de CET. Ces dispositifs sont tout à fait légaux : l’ordonnance du 25 mars prise par le gouvernement donne la possibilité aux entreprises d’encadrer les dates de prise de congé ou de RTT. "Certaines banques ont par contre décidé de ne pas s'en servir", note Valérie Lefebvre-Haussman, secrétaire générale de la fédération CGT banque assurance, qui évoque la Caisse d’épargne : "Ils ont refusé d’annuler les congés posés pendant la période de confinement, mais n’ont pas imposé aux salariés d’en poser".
Dans le secteur banque-assurance, la reprise d’activité fait apparaître des situations assez disparates. "Il y a vraiment les deux cas de figure", poursuit la secrétaire générale. "Pour cet été, certains employeurs, disent qu’il faut poser le moins de congés possibles, pour que tout le monde soit sur le pont. Mais chez d'autres, c’est l’inverse : si vous posez le maximum, cela nous arrange, comme cela on repartira d’aplomb en septembre."
Les congés imposés ont aussi été pratiqués dans le secteur des Télécoms, par exemple chez Orange, comme l’explique Sébastien Crozier, président CFE-CGC Orange : "Globalement dans la maison mère, il n’y a pas eu de mise au chômage partiel, malgré le fait que les boutiques soient fermées. L’effort demandé a été de poser six jours de RTT pendant la période de confinement." Un effort qui ne lui paraît pas disproportionné au regard du maintien du pouvoir d’achat : "La majorité des salariés comprend. Tous ceux qui ont leur salaire maintenu et n’avaient plus d’activité dans les boutiques sont plutôt contents : six jours de RTT sur 200 jours travaillés, c’est assez marginal, c’est un moindre mal. Ceux qui l’ont le plus mal vécu sont eux qui étaient sur le terrain, les techniciens d’intervention qui avaient du travail et ont dû poser des jours."
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Des accords pour relancer l'activité
Pour cet été, le syndicaliste s’attend lui aussi à un serrage de vis. "La boutique a toujours eu pour règle de pouvoir refuser plus de trois semaines d’affilée l’été. Mais il y avait une tolérance. Là, on voit très nettement que les tolérances vont se réduire." Mais rien n’est encore tout à fait calé, l’activité tentant de s’ajuster au fur et à mesure que les boutiques rouvrent et que les règles sanitaires évoluent. "En ce moment, la venue en boutique se fait sur rendez-vous. Il y a donc des réflexions globales sur l’organisation du travail, pour savoir si on étend les plages horaires, si on ouvre des jours supplémentaires pour rattraper l'activité perdue, ", détaille Sébastien Crozier. "Il va sans doute encore y avoir des discussions avec les syndicats pour trouver une solution."
Beaucoup d’entreprises sont en effet ce moment en train de négocier des accords de reprise d’activité demandant plus ou moins d’efforts aux salariés. Dans certains groupes, le dialogue social se passe bien, direction et syndicats parviennent à un accord où chacun trouve son compte. EDF vient ainsi d'en conclure un. "Pendant le confinement, les agents EDF ont été, comme les soignants, obligés d’être sur le terrain", rappelle Thierry Raymond, délégué central CGT d’EDF. "Dans l’accord, il a été négocié la possibilité de relancer l’activité par l’octroi d’une prime pour les agents de 400 euros. C’est une prime de motivation, de reconnaissance des efforts qu’il y a à fournir", explique le syndicaliste. En contrepartie, une "catégorie de salariés pourra être amenée à ne bénéficier que de deux semaines de vacances consécutives dans l’été", indique-t-il, mettant par ailleurs en avant les mesures d’accompagnement et de protection des agents obtenues dans l’accord, ainsi que d'autres sur le télétravail, des aides aux transports, des assurances en terme d’emploi. Selon lui, les efforts demandés sont plutôt bien accueillis par les salariés, qui "ont le sentiment chevillé au corps, esprit de service public."
Un chantage à l'emploi ?
Mais d'autres fois, la discussion est plus brutale, les attentes et échanges côté employeur sont plus durs. Ainsi, certaines entreprises n’ont pas attendu pour annoncer la couleur, notamment en mettant sur la table des accords de performance collective : un accord, négocié avec les syndicats, qui demande aux salariés des efforts, soit sur la rémunération, le temps de travail ou la mobilité, en échange d’une garantie, le maintien des emplois. Derichebourg aéronautics, un sous-traitant d’Airbus qui emploie 1700 salariés, a ainsi annoncé le 6 mai dernier envisager "un PSE, avec 700 suppressions d'emploi". Mais, avant cela, un accord de performance collective est mis sur la table. La direction proposerait d’alléger le plan social en échange de la suppression pendant un certain temps de certains acquis des salariés : 13e mois, indemnités de transports ou de restauration, primes.
Le journal l’Equipe est en train d’envisager un dispositif du même type. La direction veut baisser les salaires, le 13e mois et le nombre des jours de RTT, pour maintenir la totalité de l’emploi pendant 4 ans et demi. Dans un communiqué publié lundi, les syndicats s’insurgent, dénonçant un "chantage scandaleux". Pour eux, "la direction entend profiter d’une crise conjoncturelle pour imposer une attaque inédite contre ses salariés". "L’histoire récente, écrivent-ils, regorge d’exemples d’entreprises où les salariés ont accepté de faire des "efforts" pour finalement constater que les promesses de maintien d’emploi ne tenaient pas longtemps."
Et c’est un peu le fond du débat : où est la limite ? A quels efforts consentir ? A quel moment y a-t-il chantage à l’emploi ou abus ? La question s’est posée récemment avec le cas très médiatisé – et décrié – de Ryanair, le transporteur aérien low-cost, qui a proposé de baisser de 10% la rémunération de son personnel navigant commercial pendant cinq ans. Une demande jugée abusive, qualifiée de "chantage" par les membres du gouvernement.
Quoi qu’il en soit, partout, c'est le plus long terme qui inquiète, les efforts non consentis. " Les RTT, c’est un petit effort, mais le pire est à venir", estime Sébastien Crozier, de la CFE-CGC. "On s’attend à avoir une négociation annuelle obligatoire qui va se mélanger avec les mesures Macron : au lieu d’avoir des augmentations salariales, on aura des primes. Et les primes, cela maintient le pouvoir d’achat sur l’année, mais c’est du court terme, et cela ne permet pas de cotiser aux différents systèmes retraite ou prévoyance santé. De façon indirecte, il y aura un manque à gagner pour le personnel." Et c’est sans parler de la perte de salaire sur la part variable pour les commerciaux ou les managers, mais aussi sur l’intéressement et la participation.
Même chose dans le secteur banque et assurance : "On n’est pas à l’abri qu’ils nous paient moins", affirme aussi Valérie Lefebvre-Haussman. "Les éléments variables du salaire peuvent chez nous monter jusqu’à 25% de la rémunération annuelle, entre l’intéressement, les parts variables. Et tout cela va être calculé sur l’activité de cette année. Certains employeurs ont déjà prévenu que l’année prochaine, il n’y aurait pas d’intéressement." Et c’est sans parler de mesures plus drastiques, dans un contexte d’économies généralisées : "Le risque est que nos patrons nous disent 'on a réussi à travailler avec moins d’agences, donc on va fermer celles qui n’étaient pas ouvertes. Et ça veut dire qu’on peut travailler avec moins de salariés", s'inquiète la syndicaliste. "La problématique va être sur l’emploi et il va falloir qu’on soit très, très vigilants."