FOCUS - Le premier quartier d’affaires européen, qui se déconfine progressivement, fait face à une problématique particulière : les pics de fréquentation dans les transports en commun, à bannir absolument en temps de crise de coronavirus. Pour y faire face, l’expérience du "lissage des heures de pointe" est relancée.
Ils n'ont pas vraiment envie de revenir. Ils sont réticents. Et si les salariés de la Défense traînent des pieds pour le retour sur site, c’est en partie par crainte des transports. "C’est un point qui ressort de manière très claire dans les retours d’entreprises que nous avons", rapporte Jean-Yves Durance, président de l’AUDE, association des utilisateurs de la Défense, qui rassemble la majeure partie des grandes entreprises du quartier d'affaires. "Sans doute, les images montrées à la télévision, d’engorgement de rames de métro, ont eu un effet dévastateur, même s’il y a un décalage entre la réalité et l’image."
Est-ce à dire que l’avantage du plus grand quartier d’affaire européen, son hyper-accessibilité, deviendrait, en ces temps de distanciation sociale, son pire ennemi ? Quoi qu’il en soit, une grande partie des 180.000 salariés du quartier n'a pas envie de revenir. Au point de nuancer les estimations de déconfinement avancées : environ 20% de salariés devaient revenir travailler le 11 mai, 25% en juin, de 30% en juillet et août et 70% en septembre. Ce pourrait être un peu moins, en tout cas les premières semaines.
L’idée de décaler les horaires d’arrivée au bureau des salariés
La peur de prendre les transports en commun est réelle. Avant l’épidémie de coronavirus, 87% des salariés rejoignaient la Défense via le RER, métro, bus et tram. Au point qu’aux heures de pointe le matin, entre 8h30 et 9h30, 50.000 personnes affluaient en même temps. Une situation inconfortable en temps normal, mais qui, en période de distanciation sociale, devient impossible à envisager.
Pour trouver un début de solution au problème, rassurer et limiter la foule, l’établissement public Paris La Défense a annoncé en début de semaine que le "plan de lissage des heures de pointe", lancé en novembre 2018 allait être réactivé. L’idée derrière tout ça : décaler les horaires d’arrivée des salariés, pour éviter que tous ne convergent au même moment.
Le groupe Allianz avait signé la charte dès le début de l'expérimentation, avec la Région, la RATP, et 15 autres grands groupes de la Défense. "Pour nous, il était prioritaire de favoriser la qualité de vie au travail", explique à LCI Martine Baruch, en charge de la RSE au sein d’Allianz France. "Et l'on sait très bien que le stress des transports a un très grès gros impact sur le bien-être au travail." Au moins 25% de personnes ont été mises en télétravail, au moins un jour par semaine. "Nous avons aussi continué à élargir les horaires d’arrivée, de 7 h 30 à 10 h. Et pour inciter les salariés à éviter l'heure de pointe, nous avons mis en place tout un plan de communication, via le réseau social interne, des campagnes d’affichage, et un challenge mené à La Défense", détaille Martine Baruch. Un an après, elle estime le bilan plutôt bon : "Communiquer de façon régulière, a amené les collaborateurs à changer leurs habitudes. Ainsi, un collègue qui n’avait plus la problématique d’amener ses enfants à l’école, n'avais pas pensé à changer ses horaires. Il a commencé à arriver à 8 h 15, et venant de l’Est de Paris il a vraiment vu la différence."
Une expérimentation sans trop d'effet
Reste qu'à l'échelle de la Défense, le bilan reste mince. La responsable RSE en convient : "Pour avoir un effet de masse et réduire le trafic de 5 à 10%, il faudrait que beaucoup d’entreprises s’inscrivent dans cette démarche. Nous avons 5.500 personnes sur le site, donc cela reste très peu visible" par rapport au 180 000 du quartier. Anouk Exertier, responsable du Pôle Mobilité au sein de Paris La Défense explique aussi ces résultats modestes par le fait que, la charte signée, il a fallu mener un travail préparatoire qui a pris du temps, en construisant une gouvernance, définir des actions à mener, mettre en place des moyens d’évaluation comme des points de comptages au sein des gares. L'année est vite passée, les grèves ont marqué la fin d'année, suivies par le coronavirus.
La responsable mobilités relève aussi des freins. D’abord, côté entreprises. Jusqu'à présent, "cela restait très difficile de les mobiliser sur cette thématique", estime Anouk Exertier. "La Défense est l'un des territoires les plus accessibles en France, et c’est pour cela que les entreprises sont là. Donc pour elles, la mobilité de leurs salariés n’est pas un vrai problème : ils ont les moyens de venir. C'est plutôt un problème de confort, de saturation, qui certes contribue à la mauvaise image du quartier, mais est plus important pour les collectivités que pour elles."
Mais surtout, le gros frein reste l'organisation du travail. "Dès qu’on touche au sujet du télétravail, des heures d’arrivées et de départs de bureau, on se heurte à des cultures d’entreprise, certes différentes, mais tout de même très fortement basée sur la culture du présentéisme", note Anouk Exertier. Et ce, malgré les signaux envoyés. Car si la plupart des entreprises ont signé des chartes pour inciter les gens à télétravailler, que les salariés sont au forfait jour, que les réunions sont placées en milieu de journée, qu'il est possible de badger dès 6 h, rien n’a tellement changé. "Dans les faits, les compteurs remontaient que l’heure de pointe ne bougeait pas. Tout le monde arrivait à 9 h. Les habitudes sont très, très ancrées."
Monde d'avant
Jean-Yves Durance, président de l’AUD, partage le constat, et l'analyse : "En fait, la pratique des horaires décalés trouve sa limite avec les obligations d’un certain nombre de gens, et en particulier, les obligations parentales : vous ne pouvez pas vous mettre en horaires décalés quand il y a des enfants à aller chercher à la crèche." Anouk Exertier nuance quant à elle l’importance de la garde des enfants, "réelle, mais très loin de concerner 100% des gens".
Sauf que tout cela, c’était avant. Avant le coronavirus. Avant le déploiement massif du télétravail. Avant l’impératif de distanciation sociale. "Tout le monde a été forcé de s'y mettre, cela a fonctionné, et les études disent que les gens ont envie de continuer à en faire. Cela va changer profondément l’organisation du travail", estime Anouk Exertier. D’autant qu’au-delà de cette envie nouvelle des salariés, un vrai enjeu de santé et de sécurité se profile pour les entreprises : il n’y a pas le choix. D’où l'intérêt nouveau et intéressé, à organiser d'un peu plus près ce "lissage des heures de pointe", couplé à un télétravail plus massif.
Flexibilité totale sur les horaires
Chez Suez, pour accueillir au mieux les salariés qui vont revenir petit à petit – pour l’instant, seuls 10% en "présentiel" - tout un "parcours sanitaire multibarrière" a été mis en place, avec étape gel, distribution de masques, marquages renforcés au sol, prise de température voire tests de Covid-19, règles stricts dans les ascenseurs et les salles de réunions, rappelées via des QR Code affichés sur les portes. Mais surtout, pour éviter les afflux massifs le matin, a été déclarée une "flexibilité totale" en matière d’horaires : "Si les gens veulent arriver à 11 h, ou à 14 h ils le peuvent. Le site est ouvert entre 7 h 30 et 21 h", précise Laure Girodet, responsable santé et sécurité chez Suez.
Une flexibilité déjà ancrée : "Nous sommes une entreprise internationale, travaillons avec de nombreux pays, et donc avec des décalages horaires. Parfois certains se retrouvent en conf call vers 20h ou 21h… On n’était déjà pas du tout dans une culture de 9h – 18 h." Et sans doute, de nouveaux usages vont s'inscrire dans le temps. "Cette crise a permis de faire progresser le sujet télétravail, sur lequel il pouvait y avoir des réticences", estime Laure Girodet. "On imagine assez qu’en septembre, les salariés continuent de faire en moyenne deux jours de télétravail par semaine. La pratique restera en tout cas courante."
PSA a pris la décision de ramener à un jour et demi par semaine en moyenne la présence sur site des collaborateurs. Le télétravail devient la norme, et la présence au bureau l'exception.
Jean-Yves Durance
A côté de ces horaires décalés, sont aussi mis en avant les autres moyens de transport. Le scooter électrique, la voiture et de nouvelles places de parking chez Suez, mais surtout le vélo, qui souffrait d'un très mauvais accès à la Défense, a vu sa cause avancer. "Des pistes cyclables provisoires ont été mises en place au niveau du pont de Neuilly, et le projet de rendre accessibles aux vélos les voies qui passent sous la dalle attend une autorisation préfectorale", raconte Martine Baruch, chez Allianz. "L'idée est de pouvoir permettre à certains de passer à un autre moyen de transport et de les rassurer."
"Avec le déconfinement, le problème des flux de circulation se pose différemment", analyse Jean-Yves Durance, de l'AUDE. "Les entreprises réfléchissent non seulement à la façon de ramener leurs employés en toute sécurité, mais à savoir si tous doivent revenir." Car déjà, de grands changements se profilent, sur du bien plus long-terme que les semaines à venir. "Il est clair que le recours au télétravail va augmenter massivement en structure. Même déconfinés complètement, même après éradication du virus", prédit Jean-Yves Durance. Déjà, des grands groupes ont changé totalement de cap. "Par exemple, PSA a pris la décision de ramener à un jour et demi par semaine en moyenne la présence sur site des collaborateurs. Le télétravail devient la norme, et la présence au bureau l'exception. Tout cela va avoir un impact sur les heures de pointe."
Les bureaux seraient des sortes de show-room géants, et finalement, les lieux où l'on travaille vraiment de manière concentrée, seront ailleurs, chez soi ou en co-working.
Anouk Exertier.
Moins de salariés sur place, c'est aussi sans doute, un changement de visage et d’usages, pour la Défense. "Il y a 15, 20 ans, on comptait en moyenne 20 mètres carrés par poste de travail, et on avait plutôt tendance à avoir 105 postes de travail pour 100 salariés. Ces dernières années, on était plutôt sur 11 m carrés par poste de travail. Dans le futur, on sera sur 80 postes de travail pour 100 salariés, avec en contrepartie plus d’espace pour des parties communes. Ce virus, et le fait de considérer que d’autres pandémies vont survenir, va augmenter les distances entre les gens, et on va réaugmenter un peu les surfaces."
Mais moins de salariés, ce sont aussi des économies. "Certaines sociétés commencent à réfléchir à réduire leur surface immobilière permanente", rapporte Jean-Yves Durance. "Derrière le lissage des heures de pointe, il y a aussi l'idée que les salariés puissent trouver une organisation du travail qui soit plus équilibrée entre vie pro et vie perso, qu’ils ne soient pas amenés à venir tous les jours au bureau", rebondit Anouk Exertier. "Et c’est sans doute ce qu'il va se passer dans les années à venir. Nous aurons toujours besoin de bureaux, d’endroits ou de réunion, mais sans doute pas tous les jours. La Défense deviendra sans doute un hub, où les gens retrouveront leurs clients et partenaires, car cela est très accessible. Les bureaux seraient des sortes de show-room géants, et finalement, les lieux où l'on travaille vraiment de manière concentrée, seront ailleurs, chez soi ou en co-working. Le concept d'heure de pointe dans les transports a-t-il vécu ?
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