"Des crises, vont naître des opportunités" : comment les entreprises peuvent gérer positivement la grève

par Sibylle LAURENT
Publié le 6 décembre 2019 à 14h42
"Des crises, vont naître des opportunités" : comment les entreprises peuvent gérer positivement  la grève
Source : Steeple

INTERVIEW - Comment les moments de difficultés peuvent-être, à l’inverse, rendus profitables pour les entreprises ? On a posé la question à Jean-Baptiste de Bel-Air, fondateur de Steeple, start-up qui travaille sur la communication interne dans les entreprises.

Alors oui, la grève dans les transports rend les choses plus compliquées. Les salariés sont stressés. Les entreprises, contraintes, s’organisent. Et si ce moment de galère était au contraire une opportunité ? Celle de développer une culture d’entreprise, de rapprocher les salariés dans ces moments qui déraillent ? 

On a posé la question à Jean-Baptiste de Bel-Air, fondateur de Steeple,  start-up qui travaille sur la communication interne dans les entreprises. 

LCI : En période de "crise", comme des grèves, que peut faire l’entreprise ?

Jean-Baptiste de Bel-Air : Ce qui est intéressant, c’est que des crises vont naître des opportunités. Dans ce type de cas, la règle d’or est com-mu-ni-quer, il ne faut absolument pas ignorer ce mouvement et en créer un sujet tabou. Il faut montrer que la direction et le management ont appréhendé ce problème en interne et qu’un plan d’action comportant diverses solutions a été pensé et communiqué. Anticiper et parler permet de montrer que la situation est sous contrôle. Ne laissez pas les salariés dans le flou.

Elles doivent donc montrer qu’elles sont aux petits soins pour leurs salariés ?

Elles doivent aussi se pencher sur l’organisation du travail. Une grève, c’est beaucoup de stress, d’une part pour la direction qui se demande si ses salariés seront à l’heure, si le business en sera impacté. D’autre part pour les salariés qui se demandent s’ils pourront se rendre sur leur lieu de travail, s’ils arriveront à l’heure ou même, d’un point de vue plus personnel, s’ils pourront faire garder leurs enfants. Dans ces moments-là, il est essentiel de donner de la flexibilité aux collaborateurs. Là-dessus, les choses évoluent dans le bon sens. En discutant avec nos clients, on a remarqué que des entreprises qui peuvent être assez rigides sur les horaires, ou le télétravail, infléchissent leur discours. Aménagement des horaires, bonne communication interne pour rassurer les salariés en leur précisant que la sécurité prime et que ce n’est pas grave s’ils arrivent en retard est primordial, pousser au télétravail si c’est possible, inciter à repenser leurs déplacements, à faire du covoiturage. 

Certains salariés sont venus avec leurs enfants au travail, ils ont fait le sapin de Noël
Jean-Baptiste de Bel-Air

Ces aléas peuvent aussi sans doute permettre des moments plus informels, détendus... ?

Cela met de la vie ! Chez nous, jeudi 5 décembre, tout le monde, en arrivant, se posant la question : "Alors, comment as-tu réussi à venir, est ce que ça va, est-ce que tu as besoin que je te ramène ce soir ?" On se dit c’est la galère pour tout le monde, alors on essaie d’être un peu plus soudés dans ces cas-là. Tout cela transforme ce moment négatif et contraignant en opportunité pour rassembler les collaborateurs et les aider à mieux se connaître. Chez nos clients, nous avons eu des retours très drôles : avec la grève des écoles, certains salariés sont venus avec leurs enfants au travail, ils étaient surexcités, couraient partout dans les  bureaux, et ont participé à la création du sapin de Noël. Ils ont laissé leur trace dans l’entreprise, maintenant tout le monde se passe le mot que ce sapin de Noël a été fait par les enfants… 

Cela crée de la solidarité : dans les entreprises que nous avons équipées avec de grands écrans tactiles pour remplacer le tableau d’affichage, les collaborateurs ont utilisé le réseau collaboratif pour partager les difficultés de circulation, les bouchons.  Ils se sont transformés en reporter : l’un disait "évitez de passer à cet endroit c’est complètement bouché", l’autre faisant le point sur le passage du bus, "pas de problème ce matin, vous pouvez y aller". La difficulté a créé des échanges. 

"Face à la grève" : l'émission spéciale en intégralitéSource : TF1 Info

Parfois cependant, les salariés peuvent avoir l'impression que les mesures proposées sont un peu "effet d'annonce", peu concrètes ?

Attention, il faut différencier les propositions des postures. Certaines proposent par exemple le télétravail, via un mail, envoyé sur l’intranet, dans un coin. Mais si on veut réellement aider les collaborateurs dans l’accès au télétravail, il faut le faire redescendre :  les managers sont identifiés, ils sont briefés pour faire passer le message.  Il ne faut pas que la direction dise d’un côté "oui, vous pouvez le faire", et que de l’autre le manager dise "je te veux demain à la réunion". Dans ces moments de crise, les positions prises doivent être claires. 

Les entreprises font des choses, proposent des trottinettes aux salariés et... le font savoir. Est-ce intéressant, de se "servir" de la grève pour faire "sa pub" ? 

La vraie question est : d’accord, ils font des communiqués de presse, mais les salariés sont-ils au courant ? Dans une certaine mesure, il est bien pour l’entreprise, d’avoir des relais dans la presse ou de la communication en externe, car c’est toujours profitable en interne. Mais il faut faire attention, à ce qu’il n’y ait pas un trop grand décalage, entre le discours affiché en externe et la réalité. Comme ces entreprises qui font ce qu’on appelle de "la marque employeur", figurent dans les classements des "great place to work", affichent sur Linkedin ou ailleurs leur préoccupation de la qualité de vie, et quand vous y mettez les pieds, cela ne parle que de guerre de petits chefs,  ou vous découvrez que les trottinettes mises à disposition ne le sont que pour les managers. Ce décalage, c'est pire que tout. 

Un conseil pour les entreprises ?

Il faut cultiver la transparence. C’est un mot qui fait peur, mais qui est essentiel. Lorsque l'on est dans des situations de difficulté, il y a deux manières de faire. L’opacité totale où l’on ne parle pas du tout de la grève, cela entraîne des non-dits, chacun se débrouille un peu pour soi. Soit on fait preuve de transparence, on fait passer l’information, on explique qu’il va y avoir des difficultés, et cela permet à tout le monde de s’emparer du problème, et de faire quelque chose de collaboratif et de collectif. Cela va être un grand sujet, dans les années à venir :  comment inculquer cette transparence dans les entreprises, grâce à la communication, mais aussi grâce au savoir-être des managers. On voit cette nécessité de transparence d’un point de vue écologique et sociétal, on a besoin exactement de la même chose en entreprise. 


Sibylle LAURENT

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