TENDANCE - Vous connaissiez le "ghosting" sur les sites de rencontres, le voici qui débarque désormais dans le monde de l'entreprise. Dans des milieux où l’offre d’emploi est supérieure à la demande, les candidats n’hésitent plus à partir, sans donner de nouvelles. Un casse-tête pour les employeurs.
Hélène travaille dans le marketing digital au sein d'une grosse entreprise. Elle s’en rappelle encore : "C’était dans l'une des premières start-up où j’ai travaillé. Une jeune fille commençait un nouveau poste le matin", raconte-t-elle sur un forum. "Nous sommes allés déjeuner tous ensemble et elle de son côté. Elle n’est jamais revenue ! Nous nous sommes inquiétés, elle pouvait avoir eu un accident, nous avons appelé. Ce n’est que plusieurs heures plus tard qu’elle a fini par répondre (par mail ou SMS, je ne me souviens plus) que le poste ne lui avait pas convenu et qu’elle préférait ne pas rester."
Un candidat qui fait sauter son entretien. Un nouvel embauché qui ne vient jamais. Un salarié qui part un soir et ne revient pas… Les formes sont multiples, mais découlent du même phénomène : celui du ghosting. C’est le Washington Post qui, en 2018, a cherché à dater l’irruption de cette pratique dans le monde du travail, avec ces salariés qui "commencent à agir comme les Millenials sur Tinder", en abandonnant leur emploi sans même un message.
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A la base, le ghosting, qui peut être traduit par "candidats fantômes" ou même "sorties silencieuses", désigne les pratiques menées sur les site de rencontres. Elles se manifestent par une fin abrupte des communications, sans préavis. Mais alors qu'elles semblaient réservées au domaine amoureux, elles s'imposent donc désormais dans le monde professionnel. Au départ, elles étaient plutôt l'apanage des employeurs. A un certain stade du processus d’embauche, ils ne donnaient plus de nouvelles à un candidat. Sauf que les temps changent : aujourd'hui, ce sont les postulants qui disparaissent du processus de recrutement, sans donner de nouvelles, et sont injoignables.
Les raisons sont assez simples : le rapport de forces s’est inversé dans certains secteurs, avec un marché de plus en plus tendu. Concierges, soudeurs, comptables, ingénieurs croulent sous les offres d'emploi, tout comme l'ensemble de la tech', des data scientist aux développeurs. La demande est tellement forte que les candidats, très courtisés, peuvent très facilement changer d'emploi. "Ils reçoivent de nombreuses offres d’embauche en très peu de temps", détaille Aude Barral, co-fondatrice de CodinGame, un site de programmation informatique. "Par exemple, les développeurs talentueux réceptionnent plusieurs dizaines d'offres par semaine. Certains vont même jusqu’à concevoir un robot pour filtrer automatiquement les messages des entreprises."
Pourquoi, alors, se donner la peine de répondre, quand l'offre ne vous intéresse pas ? A cela s'ajoute un phénomène très humain, facilité par les réseaux sociaux : la fuite. "Les candidats veulent simplement éviter les conflits ou le malaise. Selon eux, il est plus facile de tout simplement 'disparaître' que d’envoyer un message de refus au recruteur." Cette façon de faire aurait été inenvisageable il y a quelques années. Mais à l'ère du zapping permanent, elle ne pose même pas question.
Tendance de génération ou juste retour des choses ?
Sur un forum consacré au sujet sur LinkedIn, les témoignages d’employeurs ou de cadres ayant été confrontés au phénomène abondent. Jimmy, responsable des ressources humaines, affirme l'avoir rencontré à plusieurs reprises. "La première fois que cela nous est arrivé (...), cela nous a surpris. Maintenant, nous faisons avec", dit-il. Il y voit un phénomène générationnel : "Dans notre entreprise, nous avons en règle générale, des salariés jeunes. Cette jeune génération que l'on nomme Y ou Z, cherche de plus en plus un sens. S'ils ne le trouvent pas dans leur domaine professionnel, beaucoup de ces jeunes sont enclins à tout plaquer, y compris leur travail, et pour certains -une minorité-, du jour au lendemain sans donner aucune nouvelle."
Certains candidats fantômes voient aussi un juste retour des choses : Vanessa, chargée de communication et longtemps en recherche d’emploi, garde une dent sur les pratiques des recruteurs. Elle se rappelle avoir lancé des appels, passé des entretiens téléphoniques et physiques. "Je pense que le taux de ceux qui ne donnent plus signe de vie est de 98%. Alors que c'était urgent, avec des "je vous rappelle dès la semaine prochaine" (...) Et je ne parle pas ici des non- réponses aux candidatures. Alors manque de savoir-vivre, non-respect de l'autre, pas le temps, pas le courage de dire non... Je ne suis pas certaine que ce soit dû au taux de chômage."
Mais, comme dans une relation amoureuse, cette insécurité est inconfortable et coûteuse pour les entreprises. Elles ont donc tout intérêt à tenter de l'enrayer. "Selon les situations, le ghosting des chercheurs d’emploi peut traduire un fort désengagement, de la méfiance, la crainte d’être jugé, voire un rejet total des valeurs observées chez le recruteur", analyse Charles Chantal, senior sales director chez Indeed France, un site de recherche d'emploi. "Il est important de construire dès les premiers contacts une bonne communication, claire et honnête. Cela passe bien sûr par une transparence totale sur les étapes du recrutement, afin de réduire l’état d’incertitude des candidats. Il convient aussi de poser plusieurs questions très concrètes permettant d’évaluer les motivations profondes de chaque interlocuteur et de comprendre quels obstacles pourraient les éloigner du poste, voire les dissuader de l’accepter."
Aude Barral, co-fondatrice de CodinGame, confirme. Elle conseille d'être le plus honnête possible, notamment dans les descriptions de poste : "Il est primordial de bannir la publicité mensongère", prévient-elle. "Les candidats qui ont lu une description de poste alléchante disparaîtront rapidement si le contenu de l’offre ne correspond pas à ce qui leur est présenté en entretien." En fait, rappelle-t-elle, c'est surtout la marque employeur qui permet de se prémunir contre le ghosting. Au-delà de la qualité du processus d’embauche, il faut veiller à ce que l’image de la société véhicule des valeurs qui font écho aux candidats : équilibre vie privée-vie professionnelle, outils de travail... Il est nécessaire de bien savoir ce qui est important pour eux et de le mettre en pratique dans votre entreprise."