Emploi : que va changer la présomption de démission, entrée en vigueur ce mardi ?

par Theodore AZOUZE
Publié le 18 avril 2023 à 21h30

Source : Le JT

Si un salarié abandonne son poste sans justifier son absence, celle-ci sera désormais considérée comme une démission.
La mesure entre en vigueur ce mardi, après la publication du décret d’application de la loi.
Certains avocats s’inquiètent des conséquences de ce changement.

C’est une évolution majeure pour les salariés et les employeurs : à compter de ce mardi 18 avril, abandonner son poste au travail équivaut de démissionner. La mesure établissant cette présomption de démission avait été votée lors de l’examen de la réforme de l’assurance-chômage, à la fin de l’année dernière. Validée par le Conseil constitutionnel, la disposition est désormais en vigueur depuis la publication d’un décret d'application au Journal officiel. 

Que change concrètement cette nouvelle loi ? Pour le comprendre, il faut d’abord revenir sur ce que prévoyait le Code du travail sur la question des abandons de poste. Jusqu'alors, un salarié "qui quitt[ait] son poste de travail sans autorisation de l'employeur ou qui s'absent[ait] de manière prolongée ou répétée sans justificatif pendant ses heures de travail" était considéré comme abandonnant son poste. Sous certaines conditions, des allocations chômage pouvaient être perçues dans cette situation. 

En 2022, sur les 173.000 personnes licenciées pour "faute grave", 123.000 l’ont été pour ce motif, selon une récente étude de la Dares, le centre d’études statistiques du ministère du Travail. Et 43% d’entre eux, soit 50.000 personnes, ont ensuite bénéficié de l’assurance-chômage. 

Pas d'indemnité de licenciement, ni d'allocations chômage

Aujourd’hui, avec l’application de la nouvelle mesure, un employeur peut, s’il est confronté à l’absence prolongée d’un salarié, enclencher une procédure et le mettre en demeure de justifier son absence ou de reprendre son poste, via un courrier recommandé ou une lettre remise en main propre. 

Pour y répondre, "le salarié dispose alors de quinze jours entre le moment où est enclenchée la procédure et celui où est notifiée la rupture du contrat de travail", explique à TF1info Corinne Metzger, avocate spécialisée en droit du travail au sein du cabinet MBDA Associés. Si l'employeur n’obtient pas de retour, il pourra considérer l’abandon de poste comme une démission. Et n’aura donc pas à payer d’indemnités de licenciement. Dans ce cas, le salarié sur le départ, lui, n’aura pas l’occasion de toucher des allocations chômage. 

Une avocate dénonce une "aberration juridique"

Certaines voix s’élèvent pour dénoncer la mesure. Dans un article publié sur son site web, l’avocate en droit du travail Michèle Bauer déplore ainsi une "aberration juridique", créant une "insécurité juridique", à la fois pour le salarié et pour l’employeur. "Le terme démission pour l’abandon de poste est un terme impropre puisque le salarié qui abandonnera son poste est en absence injustifiée", écrit-elle. "On ignore s’il avait la volonté ou pas de démissionner." 

Me Corinne Metzger, elle, pointe un autre problème, du côté patronal cette fois. "Imaginez que le salarié envoie un message à l’employeur, mais que pour X ou Y raison, ce dernier ne reçoive pas sa justification", détaille l’avocate. "Alors, le salarié pourra contester le constat d’abandon de poste devant le conseil de prud’hommes. S’il est constaté que le salarié a bien justifié de son absence, quelle sera la sanction pour l'employeur ?" 

La spécialiste rappelle que la durée des procédures judiciaires en conseil de prud’homme peuvent être très longues, retardant la décision sur le bien fondé du constat de l’abandon de poste. Et la possibilité pour le salarié de recevoir une indemnisation reste à définir : allocations chômage, dommages et intérêts pour licenciement verbal…

Plus de licenciements pour "inaptitude" ?

Lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, avait défendu la disposition, jugeant qu'"un salarié qui procède à un abandon de poste a accès à des conditions d'indemnisation plus favorables qu'un salarié qui démissionne". Mais pour Michèle Bauer, la démarche de faire de la présomption de démission une règle s’avère contre-productive, alors que "l’abandon de poste était souvent le dernier recours pour les salariés en souffrance au travail qui ne voulaient pas démissionner".

Selon elle, la mesure pourrait créer de ce fait une nouvelle vague de licenciements, mais pour "inaptitude". Ce motif intervient après une décision d'un médecin du travail, considérant comme dangereuse pour la santé d'un salarié la poursuite de son travail. "L’employeur et le salarié seront perdants : l’employeur devra [payer] l’indemnité de licenciement et devra gérer les absences du salarié malade", poursuit l'avocate. "Le salarié, quant à lui, aura perdu sa santé, il sera plus difficile pour lui de retrouver un emploi." Jusqu’à cette validation par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation soulignait jusqu’à présent que "la démission ne se présume pas".


Theodore AZOUZE

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