INTERVIEW – Des économistes de l’Université de Louvain, en Belgique, ont cherché à calculer la pénibilité au travail non pas en prenant en compte les conditions de travail, mais au travers des conséquences du métier exercé sur la santé et l'espérance de vie. LCI a interrogé Jean Hindriks, l’un des auteurs de l’étude, pour en savoir plus.
Quels sont les métiers pénibles ? Des chercheurs de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, se sont posé cette question qui revient sans cesse dans le débat public. Ils ont notamment tenté de déterminer la réponse grâce à deux indicateurs peu utilisés jusqu'ici : l’espérance de vie future à 25 ans selon les professions et la santé auto-évaluée de chaque travailleur.
Selon leurs analyses, une secrétaire aurait par exemple plus de 52 ans d’espérance de vie à 25 ans, tandis qu’un militaire n’en aurait que 42 et un ingénieur 56. En outre, selon cette étude publiée dans le dernier numéro de Regards économiques, un cuisinier aurait 30% moins de chances de se déclarer en bonne santé qu’un enseignant.
Comment expliquer ces résultats ? Pourquoi avoir choisi ces deux indicateurs afin de déterminer la pénibilité du travail ? Comment peut-elle d'ailleurs être définie ? LCI a posé ces questions à Jean Hindriks, économiste et co-auteur de la publication.
LCI : Comment définir la pénibilité au travail ?
Jean Hindriks : C’est difficile. Chacun a sa propre définition. Nous avons essayé de trouver des caractéristiques dans les conditions de travail et dans le contenu même du métier, tout ceci influant plus ou moins sur la pénibilité. Mais c’est très compliqué car beaucoup de choses entrent en compte pour définir cette pénibilité : la lourdeur physique d’une tâche, la température, le stress, le rythme horaire… Et puis, qu’est-ce qui est le plus important, le stress ou travailler de nuit ?
Puisque définir la pénibilité est si difficile, nous avons donc pris le problème à l’envers : au lieu d’analyser les conditions de travail, nous avons regardé l’impact du métier sur la santé et l’espérance de vie. Sur cette base-là, nous pouvons déterminer les professions les plus risquées.
Vous avez donc choisi l’espérance de vie à 25 ans par profession et la santé auto-évaluée comme indicateurs. Pourquoi ?
Dans le débat sur l’allongement des carrières et le report de l’âge de la retraite, ce qui compte, c’est l’"espérance de vie en bonne santé". Nous disposons de statistiques sur la mortalité, grâce à une base de données américaines de près de 2 millions d’individus suivis pendant 11 ans et qui exerçaient 91 métiers différents. Durant ce laps de temps, 10% sont décédés. Nous avons donc pu voir si la fréquence de mortalité était plus importante dans certains groupes de métiers.
Mais la mortalité n’est qu’un aspect des choses. Des enquêtes sur l’état de santé des Européens, déclaré par les individus eux-mêmes, ont déjà été réalisées. Cela nous a permis d’observer, métier par métier, les chances que chacun a de se déclarer en bonne santé. Pour les deux indicateurs, nous avons observé des écarts considérables selon les professions. Par exemple, un agriculteur a 40% de chances en moins de se déclarer en bonne santé qu’un enseignant. Et un infirmier a 7 ans d’espérance de vie en moins que cet enseignant !
Ce qui me surprend, c'est l'écart entre les infirmières et les enseignants
Jean Hindriks, co-auteur de l'étude
Les résultats obtenus vous ont-ils surpris ? Comment expliquer les différences ?
L'écart entre les infirmières et les enseignants me surprend vraiment. Ces métiers regroupent pourtant des personnes provenant des mêmes catégories socio-professionnelles, avec le même niveau de vie, la même hygiène de vie… Et il y a néanmoins un écart considérable. Comment expliquer cela au simple niveau des conditions de travail ? Les horaires de nuit ? Le fait que certains enseignants travaillent à mi-temps ? Nous ne savons pas expliquer ces différences.
Quelles sont les limites de ces indicateurs ?
Il y en a plusieurs. Notre analyse ne prend pas en compte la durée d’exposition au métier. Elle traite tout le monde comme si chacun était exposé toute sa vie à une même profession. Mais être exposé à un métier dangereux en début de carrière n’est pas la même chose qu’en fin de carrière puisque les capacités de résistance ne sont pas les mêmes. La deuxième limite, c’est que l’impact d’une profession sur la santé peut différer selon l’âge ou le genre. Notre étude ne le traite pas.
Il est également difficile de dire que le métier est responsable de la mort d'une personne. La mortalité peut être le résultat d’autres facteurs périphériques, difficiles à identifier. Enfin, le travail choisi par les salariés dépend aussi de leur état de santé : celui qui décide de devenir militaire est vraisemblablement en meilleure santé que celui qui décide de travailler derrière un bureau. C’est une limite importante.
Les résultats sont tirés de données européennes et américaines. Mais seraient-ils similaires avec des chiffres purement français ?
La France est déjà représentée dans une partie des données européennes. Les résultats sur la santé auto-évaluée sont donc très pertinents pour la France. Mais les statistiques françaises étant très éparses et peu harmonisées, nous ne pouvons pas vraiment les traiter de la même manière que dans notre analyse.
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