INTERVIEW - Débutée jeudi, la 3e édition de l’Université du Bonheur au travail, lancée par le think-thank Fabrique Spinoza, se déroule jusqu'à dimanche à Chantilly. Elle rassemble RH, décideurs, chefs d’entreprise. L’occasion de faire le point : où en est-on du bonheur au travail, trois ans après le lancement du concept ?
Le bonheur au travail ? Sans doute, si vous travaillez en entreprise, le sujet ne vous est pas inconnu. Quelle que soit votre opinion, il vous évoque quelque chose. Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, lier les mots "bonheur" et "travail" semblait sinon insolite, du moins anecdotique. Aujourd'hui, la thématique s'est imposée, au point d’être même quasiment omniprésente dans la communication interne et/ou externe des grosses entreprises. Jusqu'à friser l’overdose ?
Preuve, en tout cas, que l’Université du Bonheur au travail, lancée il y a trois ans par la Fabrique Spinoza, think-thank du bonheur citoyen, a réussi en partie son pari. Cependant, depuis quelques mois, surgit aussi une critique de ce bonheur en entreprise. Alors que la 3e édition se déroule de jeudi à samedi, à Chantilly, LCI fait le point avec Alexandre Jost, le fondateur de la Fabrique Spinoza.
LCI : Après la tendance du bonheur au travail, on entend beaucoup depuis quelques temps la critique de ce bonheur. Elle dénonce notamment une "injonction" ou une instrumentalisation de ce bonheur...
Alexandre Jost : Cet "happybashing" a émergé avec notamment deux livres : "Happycracy", qui dénonce l’injonction au bonheur, et la "Comédie inhumaine", sur l’absurdité du fonctionnement des entreprises. Ils ont eu un écho médiatique énorme. J’ai beaucoup été invité sur les plateaux pour en parler.
C’est d’ailleurs ce qui a conditionné la construction du programme de l’Université 2018. Elle s’articule sur trois étapes, réparties sur les trois jours : "Je doute", "je goûte", "je shoote". C’est tout un parcours qui permet, à travers des ateliers, des keynotes, des témoignages, du théâtre, de passer du doute à l’action. Tout d’abord en présentant ces sciences du bonheur au travail, en redéfinissant une vision commune de ce qu’est le bonheur au travail. Puis en explorant les outils qui peuvent permettre d’avancer pour répandre le bonheur dans son entreprise, en favorisant l’engagement, la coopération, la créativité. Enfin en essayant de construire un plan d’action concret.
Comment comprenez-vous cette critique du bonheur au travail ?
De deux manières. Je pense qu’il y a un aspect culturel : nous sommes en France, le pays de Descartes et du Discours de la méthode. Nous avons le besoin d’opposer du doute, d'appliquer des théories cartésiennes -voire un certain pessimisme-, de tester avant de se lancer. Une autre raison pourrait tenir à la grande méfiance des Français vis-à-vis des entreprises, particulièrement des grandes entreprises. Ils ont des attentes, mais ils sont souvent déçus. Du coup, ils sont résignés face à l’impact positif que leur société pourrait leur apporter. Ils ont du mal à croire qu'elle leur veut du bien.
23% des gens sont très contents de leur situation professionnelle, et 19% très malheureux
Alexandre Jost
Cette défiance n’est-elle pas due aussi à certaines caricatures dans la mise en place du bonheur au travail ? On a souvent brandi l’exemple du baby-foot, qui ne résout pas forcément les vrais problèmes...
En effet, dans tout nouveau secteur économique émergent -le bonheur au travail en est un-, il y a une diversité dans la qualité des acteurs qui se positionnent. Il faut réussir à faire la distinction. Cette critique du bonheur traduit aussi une certaine réalité dans les sociétés, qui invite à l’empathie.
Notre premier baromètre du bonheur en entreprise montrait un véritable clivage entre les salariés : environ 23% sont très contents de leur situation professionnelle. A l'opposé, 19% sont très malheureux. Or ces deux types de personnes cohabitent, ce qui crée une véritable fracture du bonheur au travail. Le premier groupe, épanoui, trouve du sens. Le second se sent dévalorisé, mis au placard et ne voit aucun sens, au point que cette démarche de bonheur au travail peut déclencher une colère extraordinaire. Notre approche, qui cherche à donner un cap, peut même se révéler violente pour ces personnes en souffrance.
C'est parfois un changement de la culture d'entreprise
Alexandre Jost
Comment défendez-vous alors aujourd’hui ce bonheur en entreprise ?
Notre réponse est simple, et cela semble être une tautologie : le bonheur au travail est quelque chose de souhaitable pour les collaborateurs. Et c’est possible. La démarche peut s’apprendre. Mais le sujet est complexe, car il touche à l’humain : nous sommes en train de changer les rapports entre salariés. Or c’est parfois une transformation de la culture d’entreprise et c’est colossal. Ce débat reste dommage, car il occulte l’infinité de solutions qui existent pour favoriser ce bien-être : comment mieux donner de la reconnaissance, comment gérer ses outils électroniques, comment développer le management bienveillant...
Même s’il est en débat aujourd’hui, le bonheur en entreprise est cependant désormais, en partie grâce à vous, un sujet établi. En soi c’est déjà un succès, non ?
Ce sujet s’est imposé médiatiquement, c’est sûr. Mais je ne sais pas s’il s’agit d’une victoire puisqu'il s’accompagne donc aujourd’hui d’une levée de boucliers. Personnellement, cela me fait un peu peur. J’espère que c’est une colère temporaire, qui est le préambule à une acceptation du concept.
Nous avons cependant réussi à ce que ce soit un sujet dont le public s’est saisi. Nous le voyons avec nos participants. Nous avons au total deux tiers de grandes entreprises et un tiers de PME, 60% des gens venant de province et 40% d’Ile-de-France. Ils sont passés, en trois ans, de "curieux" ou "early adopters", à des gens bien installés dans les institutions des décideurs, des RH de grands groupes. Cela veut dire que le sujet, même s’il est diabolisé, commence à s’étendre, à conquérir en interne des gens qui ont des moyens importants pour impulser les changements au sein de leur société.
> L'Université du Bonheur au travail, se tient du jeudi au samedi 1er décembre, au campus Serge-Kampf-les-Fontaines à Chantilly. Toutes les informations et le programme par ici.
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