PORTRAIT – D'un handicap, on peut faire une force. A l’occasion de la Semaine européenne de l’emploi pour les personnes handicapées, LCI a choisi de vous raconter l’histoire de Fabrice Payen, amputé d’une jambe, qui vient de disputer la Route du Rhum. Pour prouver notamment à tous les employeurs qu'un handicap, quel qu'il soit, peut être un avantage dans le monde du travail.
Sur son bateau, il gambade presque. La jambe assurée, le pied marin. Fabrice Payen a pourtant pris le départ de la Route du Rhum avec une petite différence par rapport à ses concurrents : il a une jambe en moins, ou plutôt, une jambe mécanique. Fabrice Payen est handicapé. Il s’est élancé, le 4 novembre dernier, à bord de Team Vent debout, un trimaran de 50 m de long. Pendant quatre jours, il a été deuxième de sa catégorie. Et puis il a eu du gros temps, s’est pris le train d’une bonne dépression. Et au large du Portugal, il a démâté. Obligé de rentrer, bien plus tôt que prévu.
Alors forcément, le compétiteur, aujourd’hui, est un peu déçu. "J’ai le sentiment d’un énorme gâchis parce que c’est beaucoup d’argent, de travail, d’énergie, pour les partenaires du projet", raconte à LCI Fabrice Payen. "Mais personnellement, ce n’est pas un échec, c’est une victoire supplémentaire. On s’est toujours dit que tout ce qu’on fait sur la Route, ce n'était que des victoires. Être au départ, déjà, c’est signe qu’on a franchi plein d’étapes."
[🚨FLASH AVARIES] EN #RHUMMULTI , Fabrice Payen (Team Vent Debout) a démâté. C’est la cadène tribord, au vent, qui s’est arrachée, provoquant la chute du mât. Fabrice va bien. Il sécurise son bateau en larguant le gréement. Il pourra ensuite faire route vers un port 🇪🇸 ou 🇵🇹 pic.twitter.com/mjIzyqMOxF — Route du Rhum - Destination Guadeloupe (@routedurhum) 8 novembre 2018
Qu'est-ce que je vais faire du reste de ma nouvelle vie ?
Fabrice Payen
Fabrice Payen, skipper dans la marine marchande, a perdu sa jambe à la suite d’un accident de moto, en Inde, en 2012, avec sa compagne. Il a passé un an à l’hôpital, la jambe infectée, "totalement raide", et des douleurs incessantes. Bloqué, incapable de bouger. "J’ai eu plusieurs opérations pour essayer de gagner en mobilité", raconte-t-il. "Et finalement, j’ai pris la décision de me faire amputer. C'était en 2016." L’amputation, paradoxalement, le libère : il peut bouger, à nouveau. Il s’équipe d’une jambe électronique, un appareillage super pointu, dégoté sur internet, mis au point par l’armée américaine pour les GI’s revenus d’Irak. Et il revit. "Avoir la possibilité de plier le genou, de faire tout comme tout le monde, cela m’a vraiment libéré physiquement, et mentalement : être séparé d’un membre impotent vous fait réaliser que tout va bien, que vous êtes en forme et que toute l’énergie était puisée par ce membre."
Avec son genou tout neuf, vient une question : "Et maintenant, qu'est-ce que je vais faire du reste de ma nouvelle vie ?" Avec son accident, Fabrice Payen a en effet basculé dans un autre monde, celui des travailleurs handicapés. Et il a vite vu la différence. "Ce qui m’a beaucoup blessé a été d’être déclaré inapte à naviguer. Cela avait été l’essentiel de ma vie. Que faire, alors ? On s’aperçoit que c’est compliqué." Il tente de trouver dans son domaine, se "heurte à des portes fermées". "Je faisais l’expérience de ce que vivent des milliers de personnes concernées par le sujet. La seule solution était de créer mon activité." Et, revient à ce Malouin d’adoption - il y a habité une quinzaine d'années -, son rêve de gamin : faire la Route du Rhum. "Je me suis dit que cela avait un sens de le faire avec ce genou, et de communiquer sur le handicap. Je me suis dit : si j’arrive à être au départ, j’aurais le sentiment d’avoir fait quelque chose pour les autres."
Ce qu'il veut faire pour les autres, les handicapés, c'est porter leur voix, souvent oubliées. "Les personnes en mobilité réduite sont mises sur bord du chemin. Les entreprises aiment parler d'inclusion, mais ne sont pour autant pas forcément dans les clous !", constate-t-il. "Même le regard des gens sur le handicap n'est pas encore banalisé..." Pourtant, et il veut le redire, encore : cette différence, c'est une force. "Tous les gens qui sont dans des situations de handicap ont des postures mentales qui font qu’il faut trouver des solutions, s’adapter en permanence. C’est une autre façon de voir les choses. Mais cela peut être facteur d’enrichissement et de performance pour tout le monde."
Son projet de route du Rhum, il l’a donc appelé Team Vent Debout. A démarché les sponsors, les entreprises, pour trouver un bateau, de l’argent, des partenaires. Certains ont été frileux. "Cela n’avait jamais été fait auparavant. Cela a effrayé pas mal d’entreprises, il n’y avait aucune certitude." Et puis il a commencé à remporter des petites victoires. Un mécène privé lui a permis d’acquérir ce bateau, l'un des plus vieux de la course, qui avait déjà fait le Rhum à 4 reprises. Fabrice a aussi trouvé une "multitude de petits partenaires" autour du handicap, et deux grosses associations lui ont emboîté le pas, Premiers de cordée, et APF France Handicap. "Ironiquement, c’est le handicap qui m’a permis d’être là, au Rhum, d’acquérir la confiance de partenaires", note-t-il. "Parce que quand on n’est pas connu et qu’on n’a pas de palmarès dans la course au large, c’est très compliqué."
L’autre obstacle théorique était de ne pas être accepté dans la compétition. Car enfin, un marin sur une jambe, cela ne s’était jamais vu sur la course. "Je connaissais bien l’équipe organisatrice, ils connaissaient mon parcours", dit le skipper. "Mais pour eux, c’était aussi une prise de risque. Personne ne savait comment j’allais me débrouiller, il n’y avait jamais eu de précédent en matière de navigation avec une prothèse électronique. J’avais tout à prouver !" Et d’ailleurs, Fabrice a dû faire ses preuves tout autant que les autres : passer son stage de survie, établir un dossier médical et passer le stade de la qualification, soit la réalisation de 1200 milles en solitaire avec le bateau.
Et c’est ainsi qu’il a pu raconter son histoire, porter son message devant les médias du monde entier et des spectateurs venus se presser sur les pontons de Saint-Malo. "Là-dessus, on a rempli le cahier des charges médiatiques !", rigole-t-il. "On a quasiment eu tous les médias ! On savait qu’on était des bons clients, car les médias relaient les histoires un peu atypiques, on espérait ça, on l’a eu."
Faire évoluer les réglementations
Fabrice Payen a eu 50 ans ce lundi 19 novembre. Il pensait les fêter en mer, pas loin de la Guadeloupe. Mais c’est comme ça. Il la verra quand même, la Guadeloupe où il va rejoindre ses partenaires, impatients de fêter ça. Et quand il reviendra, il aura encore tout à faire. "Il faut qu’on reparte à zéro, le bateau n’est plus en état de naviguer, il faut trouver de nouveaux partenaires, proposer un programme de navigation... "
Continuer, aussi, à porter la voix des handicapés. Fabrice aime citer l'exemple de Dorine Bourneton. Victime d’un crash alors qu'elle n'était qu'adolescente, elle devenue la première femme pilote de voltige aérienne et travaille à faire évoluer la réglementation d’Air France en matière de handicap. Il veut faire la même chose avec la marine marchande. Continuer l’histoire. Continuer d’avancer. Debout.
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