La Cour de cassation juge "fictif" le statut d'indépendant d'un chauffeur Uber : "une jurisprudence historique"

Publié le 5 mars 2020 à 6h19

Source : JT 20h Semaine

DROIT DU TRAVAIL - La société Uber a été condamnée, jeudi 5 mars, par la Cour de cassation. Elle doit requalifier en contrat de travail le lien qui l'unissait à l'un de ses chauffeurs, qu'elle traitait comme un indépendant. Une décision qui pourrait bouleverser les plateformes internet du même type.

Un statut remis en question par les chauffeurs... et la justice. La Cour de cassation a tranché mercredi 4 mars un litige entre la société Uber et l'un de ses conducteurs. Son statut d'indépendant ne serait  "que fictif". Itinéraire imposé, destination inconnue, possibilité pour Uber de déconnecter le chauffeur de l’application après trois refus de courses, prix fixé par la plateforme... Autant d'éléments qui caractérisent le lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme. 

Dans son arrêt, la Cour de cassation juge par ailleurs le fait que le chauffeur n’ait pas l’obligation de se connecter à la plateforme et que cette absence de connexion, quelle qu’en soit la durée, ne l’expose à aucune sanction, n’entre pas en compte dans la caractérisation de ce lien de subordination.

Une dizaine de litiges opposent la plateforme à ses chauffeurs en France

Face à cet arrêt rendu par la Cour de cassation, la plateforme estime qu'il s'agit d'un cas isolé. "Ce n'est pas une bonne décision. C'est une décision que l'on regrette et qui concerne un cas particulier d'un chauffeur qui conduisait à une autre époque sur notre plateforme", réagit Steve Salom. Le directeur France d'Uber ajoute que "les chauffeurs, la vaste majorité d'entre eux, veulent cette indépendance, cette flexibilité". 

Du côté des  conducteurs, le terme indépendant est jugé inadapté, ces derniers ne se sentant pas libres vis à vis d'Uber. Requalifier en contrat de travail cette relation à la plateforme leur offrirait plus de sécurité. Dans l'Hexagone, Uber recense 150 cas de chauffeurs ayant lancé une procédure dans le but de faire requalifier leur contrat de prestations de service en contrat de travail ou ayant dit vouloir le faire, soit 0,2% des chauffeurs passés ou actuels. C'est le cas notamment à Lyon où 120 conducteurs ont saisi fin janvier les prud'hommes pour demander une requalification de leur relation contractuelle avec la plateforme. 

La décision rendue aujourd'hui a été saluée par plusieurs syndicats. Le président des assemblées confédérales de la CFE-CGC Régis Dos Santos parle d'un "coup de tonnerre" au regard d'un arrêt de la Cour de cassation d'"une importance majeure". Le secrétaire général adjoint de l'UNSA Guillaume Trichard évoque quant à lui une "jurisprudence historique qui doit faire progresser les droits sociaux des travailleurs des plateformes."  Xavier Bertrand, le président (ex-LR) du Conseil régional des Hauts-de-France a également commenté la décision de justice : "la Cour de cassation rappelle ainsi logiquement que la loi et la réglementation du travail s'appliquent à tous".

"Un tremblement de terre sur le plan sociétal"

Selon Me Jean-Paul Tessonnière, l'arrêt rendu ce mercredi 4 mars pourrait remettre en cause tout le modèle économique de la plateforme : "C'est sans doute un tremblement de terre sur un plan sociétal. Ce qu'on appelle l'économie de plateforme, qui consistait à multiplier des pseudos travailleurs indépendants qui n'étaient pas indépendants. C'est la Cour de cassation qui nous le dit".

La décision de la Cour de cassation fera-t-elle jurisprudence ? Possible. Les chauffeurs des plateformes "vont bénéficier de cette décision", assure l'avocat du chauffeur requalifié, Me Masson. Il leur conseille d'ailleurs d'envoyer un courrier aux plateformes pour demander à "bénéficier de cette jurisprudence". "C'est exceptionnel", a salué son confrère Kevin Mention, qui suit une dizaine de dossiers de chauffeurs Uber. Pour lui, l'arrêt "va beaucoup plus loin que l'arrêt Take Eat Easy" et "la Cour de cassation a voulu frapper fort".

La Cour de cassation avait déjà établi en novembre 2018, pour la première fois, un lien de subordination entre une plateforme et un de ses travailleurs. Il s'agissait alors de Take Eat Easy, une société de livraison de repas par des coursiers à vélo qui avait été liquidée. Plus récemment, en février dernier, la société Deliveroo a été condamnée aux prud'hommes à verser 30.000 euros à un ancien livreur après la requalification de son contrat. 

Si les plateformes et l'activité des travailleurs diffèrent, les éléments soulevés par cette décision de justice pourraient potentiellement servir d'arguments dont pourraient se prévaloir les livreurs désireux d'obtenir une requalification en contrat de travail.


La rédaction de TF1info avec AFP

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