"Les taux restent inquiétants" : le déconfinement n'a pas apaisé la souffrance psychologique des salariés

par Sibylle LAURENT
Publié le 9 juin 2020 à 14h08
"Les taux restent inquiétants" : le déconfinement n'a pas apaisé la souffrance psychologique des salariés
Source : AFP

ÉTUDE - Jusqu'à 47% des salariés français se disaient en détresse psychologique pendant le confinement. Sa levée progressive a-t-elle fait évoluer les choses dans le bon sens ? Non, tend à répondre un baromètre du cabinet conseil en qualité de vie Empreinte humaine.

Pendant le confinement, le cabinet Empreinte humaine avait évalué, à travers plusieurs baromètres, la santé mentale des salariés. Et les chiffres étaient douloureux. Le déconfinement a-t-il eu un impact positif ?

Les précédentes mesures réalisée par OpinionWay pour ce cabinet conseil en qualité de vie avaient montré que le Covid-19 n’était pas qu’une crise épidémiologique, mais aussi une crise psychosociale : jusqu’à 47% des salariés français se disaient en détresse psychologique pendant le confinement, dont 21% en détresse psychologique élevée, avec de forts risques de développement de troubles mentaux plus ou moins sévères.

Le troisième baromètre, réalisé entre le 20 et le 29 mai, entend donc prendre le pouls de l’état des salariés - psychologique ou physique - en sortie de confinement, mais aussi s’interroger sur l’avenir et poser les questions structurantes pour le futur du travail. Premier constat : la détresse psychologique n’a pas disparu. 

42% des sondés seraient ainsi toujours en souffrance psychologique. Une baisse de quatre points par rapport à la vague précédente, mais un niveau qui reste élevé. Tous les travailleurs, qu’ils soient en télétravail, au chômage partiel ou dans les locaux de l’entreprises, sont touchés. "Ce sont des taux qui restent inquiétants", indique Christophe Nguyen, président d’Empreinte Humaine, psychologue du travail et des organisations. Cette souffrance a un effet sur l’état physique, souligne-t-il : "On a 1,5 à 3 fois plus de déclarations de problème de santé physique pour les personnes en difficulté psychologique. Il y a une vraie corrélation entre ces taux de détresse et la santé physique."

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Un déconfinement qui crée de nouvelles tensions au travail

Les salariés déclarent en effet avoir des problèmes de sommeil (dans 35% des cas), des troubles musculo-squelettiques, tels que tendinite, mal au poignet, mal au dos (28% ) ou maux de tête (22%), qui peuvent être précurseurs de burn-out ou d’épuisement. En tout cas, des indicateurs de fatigue et de surcharge. "Ce sont des troubles très importants, qui touchent quasiment un tiers des salariés", dit Christophe Nguyen. Ce sont aussi des problèmes digestifs (15%), cardio-vasculaires (7%) ou des nausées (7%). "A chaque fois, ce sont des faits générés par le stress", note le psychologue, qui relève que "ceux qui sont en télétravail déclarent plus de troubles que les autres. Sans doute à cause du fait des mauvaises installations, mais aussi de l’anxiété vécue : on se repose moins, on fait des gestes répétitifs, cela peut générer des troubles."

Pourquoi, alors, le déconfinement n’a-t-il pas résolu tous les problèmes ? D’abord parce que la peur est toujours là : "Malgré le fait que 8 salariés sur 10 ont confiance dans les mesures sanitaires prises par leur entreprise, le déconfinement reste une source de peur pour une personne sur deux", relève le consultant. Surtout, ce déconfinement crée de nouvelles tensions au travail : 41% des salariés sondés estiment qu’il y a de son fait davantage de tensions dans l’entreprise. "Cette question de relation au travail est très importante, car elle est protectrice quand tout se passe bien", décrypte le psychologue. "Aujourd’hui ces tensions sont fortes, pour plusieurs raisons : avec le retour au travail dans les locaux, ceux qui étaient en télétravail peuvent être perçus comme des privilégiés, d’autres ont pu être mis en chômage partiel et perçoivent cela comme une injustice par rapport à d’autre collègues, tout cela peut générer des sentiments d’iniquité très fort. C’est un chiffre très fort, dont il faut tenir compte pour le retour au travail."

53% des salariés font preuve de résilience

D’autant que les salariés formulent de nouvelles attentes : "Si les trois quarts des gens pensent que l’entreprise fait son maximum pour aider les salariés, il y a tout de même 50% des salariés qui souhaitent que l’employeur les aide à appréhender psychologiquement leur travail", relève Christophe Nguyen. "C’est totalement nouveau, il y a une nouvelle attente d’accompagnement de l’entreprise pour aider les salariés. Pas de la thérapie ou des lignes d’écoute, mais un travail sur les relations qui changent, qui sont changées avec le télétravail."

Si la crise du coronavirus a été vécue comme un traumatisme, quid, alors, de la résilience, ce processus qui permet de surmonter une épreuve ? Car cette détresse psychologique, si elle perdure chez les salariés, peut générer un certain nombre de troubles, note le consultant : agoraphobie, syndromes post-traumatiques tels que flashs, cauchemars, peur de se retrouver dans des situations qui vous ont potentiellement traumatisé... "Quand on voit les taux massifs de détresse psychologique, on est en droit de se demander si tout le monde va tomber malade." Sauf que, nous apprend le baromètre, 53% des salariés font preuve de résilience, cette manière de se transformer de façon positive après un traumatisme, et développent, face à ce trauma, une autre vision de la vie. "Cette croissance post-traumatique permet de prévenir la dépression : on ne peut pas agir sur événement, donc on se recompose, on revoit ses priorités, ses valeurs, et on génère du bien-être", explique le psychologue. "Et l'on observe que tous les salariés sortent marqués par l'épreuve que peut représenter cette crise épidémiologique, mais tous ne sont pas traumatisés." 

Et en effet, quasiment 50 % des sondés affirment que leurs priorités ont changé, qu’ils veulent consommer moins futilement. 6 sur dix affirment mieux profiter de la valeur de la vie, 4 sur 10 réalisent qu’ils peuvent compter sur les autres, 53% sont plus enclins à "changer ce qui doit l’être" ; d'autres font état d'un retour à la foi... 

Dès lors, que peuvent faire les entreprises ? Pour le psychologue, la dimension organisationnelle a un rôle à jouer dans ces dimensions individuelles. "Pour la suite, les entreprises doivent tenir compte de ces constats. Et donc donner de la visibilité aux salariés pour qu'ils aient moins d’incertitude, développer l'équité, mais aussi des critères adaptés d’évaluation du travail, un accompagnement humain du changement, des relations respectueuses, le sens au travail, ou encore des pratiques saines de management."


Sibylle LAURENT

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