ENTRETIEN – Rebecca Amsellem est la fondatrice des Glorieuses, une newsletter féministe à l'origine du mouvement #5Novembre16h47 : le moment auquel, au regard des inégalités de salaires en France, les femmes commencent à travailler bénévolement jusqu'à la fin de l'année. Lancé il y a trois ans, le mouvement a rencontré un franc succès lors de ses précédentes éditions. L'activiste et économiste nous raconte.
Vous êtes une femme ? Savez-vous que ce mardi 5 novembre, à 16h47, vous pourriez être en droit d’éteindre votre ordinateur et ne plus le rallumer jusqu’à la fin de l’année ? Il s’agit en effet du moment où, en France, les femmes commencent à travailler bénévolement du fait des inégalités salariales : étant payées 15,8% de moins que les hommes (selon les chiffres de l'étude Eurostat de 2017), elles travaillent "gratuitement" pendant 39,7 jours ouvrés par rapport à leurs homologues masculins.
#5Novembre16h47. La date est symbolique et sera largement relayée sur les réseaux sociaux. Ce mouvement, lancé il y a trois ans par Les Glorieuses, une newsletter féministe, a rencontré un franc succès lors de ses précédentes éditions (#7Novembre16h34, #3Novembre11h44 et #6Novembre15h35), avec une trentaine de millions de réactions sur Twitter et une forte couverture médiatique.
Le mouvement n’appelle pas à arrêter de travailler, mais veut entraîner une prise de conscience sociétale, sur le fait qu’en 2019, les femmes sont encore sensiblement moins bien payées que les hommes. L’idée, aussi : interpeller le gouvernement pour qu'il mette en place des mesures favorisant l’égalité salariale entre hommes et femmes. Rebecca Amsellem, activiste, économiste et fondatrice des Glorieuses, nous raconte.
A travail égal, les salarié(e)s les moins égaux sont dans les postes à très haute responsabilité
Rebecca Amsellem
LCI : Le sujet des inégalités hommes-femmes semble de plus en plus évoqué. Quel bilan faites-vous des récentes évolutions en la matière ?
Rebecca Amsellem : C’est la 4e année que nous lançons ce mouvement pour l’égalité salariale. Au tout début, il n’existait pas grand-chose sur la question. Mais nous avons eu la chance de tomber en période électorale, et tout le monde a y a été de sa proposition. La mise en place de l’index salarial en entreprise par le gouvernement d’Emmanuel Macron est intéressante, car c’est un premier pas qui rejoint l’une des trois propositions que nous faisons : un certificat d’égalité salariale demandé aux entreprises pour prouver qu’elles paient femmes et hommes de façon identique. La différence est que dans le cas de l’Index, c’est l’entreprise qui doit remplir les documents. Dans notre certificat, la démarche est inverse : elle doit prouver, par quelque moyen que ce soit, qu’elle respecte cette égalité salariale au sein de son entreprise. Il y a une démarche proactive. Et quand c’est prouvé, l’administration fiscale lui donne un certificat d’égalité. Dans le cas contraire, l'entreprise a des amendes.
Certains secteurs sont-ils plus concernés que d’autres par les inégalités salariales ?
A travail égal, cela ne va pas dépendre du secteur, mais du niveau de hiérarchie. Les salarié(e)s les moins égaux sont dans les postes à très haute responsabilité. En gros, plus on monte dans la hiérarchie, plus les inégalités salariales sont fortes. On se rend compte par ailleurs que les inégalités salariales se creusent après le premier enfant. Soit la femme qui revient de congé maternité est mise au placard, soit entre-temps son collègue masculin a eu une augmentation, à la fois parce qu’il l'a méritée, mais aussi parce que la femme, elle, n’était pas là… Pour répondre à ce problème, une de nos propositions est d’instaurer un congé paternité équivalent au congé maternité post accouchement. Cela permettrait de mettre tous les salariés sur un pied d’égalité.
Y a-t-il aussi des explications plus… sociétales ?
Oui. Cela peut être, par exemple, des chefs d’entreprise qui vont avoir tendance à davantage embaucher ou à donner une promotion à un homme qui n’a pas l’éventualité de partir en congé maternité pendant 4 ou 6 mois l’année qui suit... Au-delà de cela, certains secteurs ou métiers, comme ceux du "care", ne sont pas très valorisés financièrement, alors qu’il y a une très forte prédominance féminine.
Peut-on penser que les femmes sont aussi moins armées pour négocier leur salaire ?
Il y a une vraie croyance, qu’il faut démonter, selon laquelle si les femmes gagnent moins, c’est parce qu’elles osent moins. Elles seraient de petites choses fragiles, n'osant rien demander. C’est faux ! C'est aussi une façon de rendre les femmes fautives de cette inégalité, alors que celle-ci est systémique. Nombre d’études socio-économiques montrent d'ailleurs qu’elles demandent des augmentations de salaires, négocient celles-ci. La différence avec les hommes, c’est qu’on ne les leur accorde pas. Lors d’un entretien d’embauche par exemple, on va demander aux femmes : "mais pourquoi vous demandez un bond de salaire aussi énorme par rapport à votre dernier emploi ?" Du coup, l’évolution va être très compliquée pour elles. Alors que pour les hommes, cela sera plus facilement justifié : "C’est une fiche de poste différente, avec d'autres responsabilités". Nous encourageons les femmes à dire cela.
Nous n’avons pas la culture de la transparence
Rebecca Amsellem
Vous demandez aussi la transparence des salaires. Qu’est-ce que cela peut changer ?
Nous n’avons vraiment pas cette culture de la transparence en France. Alors qu’en Norvège par exemple, la transparence des salaires existe depuis 1800. Là-bas, sur le site de l’administration fiscale, on peut taper n’importe quel nom et savoir combien il gagne. Cette transparence permet de savoir où on se situe dans l’entreprise, et surtout quel est le salaire auquel on peut prétendre.
Quels sont les freins qui font qu’on ne s’empare pas plus vite de ce sujet ?
Je pense que le premier élément est une question d’argent. Le congé paternité par exemple, c’est un coût pour l’Etat, et il n’est pas prêt à mettre des moyens pour cela. Mais il y a aussi sans doute un frein culturel. Prenons la transparence des salaires, c’est littéralement une mesure qui coûte zéro euro. Mais nous n’avons pas cette culture de la transparence, comme d’ailleurs celle de l’argent en général. Et cette culture du secret a tendance à renforcer les inégalités. Il est frustrant de voir le gouvernement faire toute une com’ autour de l’égalité femmes-hommes, mais que finalement toutes les mesures mises en place ne permettent absolument pas d’endiguer le problème. Nous voulons alerter là-dessus.

Un thème particulier sur lequel vous voulez insister cette année ?
Oui, nous voudrions axer sur un certain type d’inégalité. Car quand on parle d’inégalité salariale, on a tendance à ne penser qu’à celle qui existe entre hommes et femmes. On en oublie d’autres, comme celles qui existent entre les femmes blanches et les femmes racisées. Or, c’est une réalité. Aux Etats-Unis, les statistiques montrent que les femmes noires gagnent 30% de moins que les femmes blanches ! Il y a donc des différences au sein même des femmes, et c’est aussi là-dessus que nous voulons travailler.
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