RETOURNEMENT ? - A Lyon, Amiens et Troyes, les conseils des prud’hommes ont décidé de s’affranchir des plafonds d’indemnités fixés par le nouveau Code du Travail en cas de licenciement abusif. Ils estiment que la disposition est "contraire" au droit international.
Il y a eu Troyes, puis à Amiens, et tout récemment Lyon. Est-ce le début d’une fronde sur le terrain ? L’une des mesures-phares de la réforme du Code du travail est-elle menacée ? Trois conseils prud’hommaux viennent en tout cas de retoquer le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif prévu par les ordonnances Pénicaud, entrées en vigueur en septembre 2017.
En cas de "licenciement sans cause réelle et sérieuse", ces ordonnances encadrent désormais, via l’article L 1235-3 du Code du travail, le montant des dommages et intérêts à verser aux salariés. Auparavant, elles étaient décidé par les conseillers prud’hommaux, ces citoyens-juge non professionnels qui tranchent en première instance les litiges entre salariés et employeurs. Les ordonnances fixent des planchers et des plafonds de l’ordre de 20 mois de salaire brut maximum, selon l’ancienneté du collaborateur. Le barème ne s’applique pas en cas de harcèlement, discrimination ou encore violation des libertés fondamentales.
Ne pas tenir compte du barème
Mais le 13 décembre dernier, le conseil des prud'hommes de Troyes a rendu une série de décisions indiquant que les dispositions de l'article L 1235-3 sont contraires au droit international et notamment "à la convention 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) car elles ne fixent pas une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée". Le 19 décembre, les prud’hommes d’Amiens ont donné la même décision, repérée par le site Actuel RH, et rappelé que la France a ratifié cette convention en 1989. Celle-ci stipule que les juridictions nationales doivent être habilitées à "ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée" en cas de licenciement injustifié.
Dans sa décision, consultée par l'AFP, le conseil d'Amiens note que "le salarié (licencié) subit irrémédiablement un dommage (...) d'ordre psychique mais également d'ordre financier" car l'indemnité versée par Pôle Emploi ne maintient pas ses revenus au niveau antérieur. L’affaire jugée concernait le salarié d'un commerce d’alimentation général qui réclamait une requalification de son CDD en CDI et contestait son licenciement pour faute grave. Les conseillers lui ont donné gain de cause et condamné l’entreprise à lui verser 2.000 euros de dommages et intérêt, soit plus que ce que le barème prévoyait.
Des décisions qui peuvent être contestées
Enfin, à Lyon, le 21 décembre, les conseillers n’ont, là aussi, pas tenu compte de la mesure d’encadrement. Le conseil se prononçait sur le cas d'une salariée d'une association qui avait conclu une centaine de CDD entre mai 2015 et octobre 2017, avant que son employeur n'arrête les relations brutalement. La salariée, comprenant qu'elle ne serait plus sollicitée pour de nouveaux contrats, a donc demandé la requalification de ses contrats de travail en CDI. Une nouvelle fois, le conseil a donné raison à la salariée et lui ont accordé une indemnité égale à trois mois de salaire au titre de la rupture abusive du contrat de travail. "L'application du barème légal apparaît écartée, sans même qu'il y soit fait référence", écrit le site Actuel RH, qui a relevé le premier ces décisions.
A chaque fois, les conseils font référence à cette charte sociale européenne qui prévoit une "indemnité adéquate". Le bras de fer s’engage donc. Mais ces décisions peuvent être contestées devant la cour d’appel, puis la cour de cassation. Plusieurs avocats, ou encore l’AvoSial, le syndicat des avocats d’entreprise, soulignent des "faiblesses dans l’argumentation développée", qui en font des "décisions juridiquement difficiles à défendre".
Barèmes prud’homaux : la décision du #CPH de Troyes est juridiquement difficile à défendre. #AvoSial déplore la décision rendue le 13 décembre 2018 par le Conseil de prud’hommes de Troyes et souligne la faiblesse de son argumentation. #Barème #Prudhomme pic.twitter.com/8jU6bPbWqF — AvoSial (@AvoSial) 20 décembre 2018
Mais en attendant, analyse Le Figaro, ces remous créent de l’incertitude juridique, alors que l’idée de ce barème était de permettre aux entreprises plus de prévisibilité sur le coût des licenciements. Si ces barèmes ne sont plus garantis, la situation devient donc moins confortable pour l'employeur qui veut se séparer d'un collaborateur.
La réforme du Code du travail a, quoi qu'il en soit, fait baisser de 15% les recours aux prud'hommes pour les travailleurs en litige avec leur employeur, selon les chiffres publiés en septembre dernier. D'une complexité particulière, la procédure dure en moyenne 17 mois et peut coûter très cher. Pour contourner ces démarches, les salariés optent souvent pour une rupture conventionnelle et préfèrent régler leur litige en interne.