INTERVIEW - Aujourd'hui, le pouvoir hiérarchique n'est plus acquis automatiquement. Il doit gagner sa légitimité. Et l'un des principaux moyens est la justice. Même en entreprise. Surtout, en entreprise ! LCI en a parlé avec Thierry Nadisic, professeur en comportement organisationnel à l'EM Lyon Business school et auteur du livre "Le management juste".
Elodie a appris de la part de David, son N+1, qu’elle n’aurait pas la promotion qu’elle espérait. Le poste a été donné à un candidat extérieur. Et pourtant, toute l’équipe pensait qu’elle le méritait, David le lui avait quasiment assuré. Elle ressent de la surprise, de la déception, du ressentiment. De son côté, Marjorie revient de congé maternité. Son chef ne lui adresse plus la parole et communique seulement avec un autre collaborateur. Elle se sent invisible.
Deux situations simples, quasi banales. Mais qui décrivent toutes deux des sentiments d’injustice au travail. Au point qu'Elodie a démissionné et que Marjorie s’est totalement désinvestie. Car ce sentiment de justice, ou d’injustice, est la base de l’engagement et du bien-être des troupes au travail. Alors, pourquoi, et comment être juste ? C’est tout le sujet du livre "Le management juste", que vient de publier Thierry Nadisic, chercheur à l’EM Lyon Business School et docteur en comportement organisationnel. Entretien.
Comment la justice crée de la valeur
LCI : En quoi le sentiment de justice au travail est-il important, notamment aujourd'hui ?
Thierry Nadisic : Depuis les années 1960, le pouvoir hiérarchique -le père de famille, le prêtre, l'expert, le manager- est remis en cause, en tant qu’autorité automatiquement légitime. Pour fonctionner de manière coopérative, efficace, animer des équipes, ces autorités ont besoin de gagner la confiance des gens, donc de prouver leur compétence. Et cela passe par la justice.
Le sentiment de justice est en effet l'un des besoins fondamentaux de la personne au travail. Dans l'entreprise, nous sommes dans un lien de subordination, nous perdons un peu de notre liberté. En échange, nous attendons des contreparties, monétaires ou symboliques. Mais si l'entreprise ne prend pas assez soin de nous ou que nos gains matériels ne sont pas suffisants, nous resterons méfiants et ferons le minimum. D'où l'impératif de justice qu'ont les sociétés aujourd'hui : si elle traite les gens de manière juste, ils vont se sentir utiles, coopérer, se sentir en confiance.
Quelles peuvent être les conséquences, à l’inverse, de l’injustice au travail ?
La justice met de la glu sociale, elle tient tout le monde ensemble. L'injustice casse la solidarité, la confiance, la coopération. Le problème est que face à une injustice, les salariés n’ont pas le pouvoir de changer les choses. Alors ils vont exprimer ce sentiment de manière invisible. Par exemple, dans une usine nord-américaine, l'injustice ressentie s'est traduite par des retards, des pauses allongées, des négligences, un manque de respect des règles, voire des vols de matières premières. Les gens deviennent des mercenaires, n’ont plus confiance.

Le salaire, la prise de décision, le relationnel
Certaines injustices sont-elles plus ressenties que d’autres ?
Il en existe trois formes principales. La première est la partie émergée de l’iceberg. Il s'agit de l’injustice distributive, c'est-à-dire le salaire, le fait de partager le gâteau en parts équitables. Elle est assez facile à repérer et à quantifier, on peut travailler dessus.
Mais deux autres formes d’injustice ont des conséquences beaucoup plus fortes. Tout d’abord, l’injustice procédurale. C’est l’injustice sur les processus de décision : ai-je voix au chapitre quand une décision me concerne ? Les managers ne voient pas toujours que cela va être perçu comme négatif. Or c'est un sentiment souvent beaucoup plus fort que le premier, car plus difficile à repérer. Ensuite, le sentiment d’injustice interactionnelle, dans l’interaction sociale entre les personnes. Exemple : les salariés rentrent dans un couloir, leur patron passe à côté d’eux, ne les regarde pas, ne leur dit pas bonjour. Le fait d’être traité comme invisible cristallise un sentiment d’injustice très, très puissant.
Lorsque ces trois types d’injustice s’accumulent, s'ajoutent alors des phénomènes de contagion émotionnelle, qui sont incontrôlables.
Comment cultiver la justice ?
Comment un manager peut-il éviter cela ?
Il a la main sur la justice interactionnelle. Beaucoup d’études montrent que même en cas d’annonce difficile, de baisse de salaire, voire de départ, le fait de laisser sa porte ouverte, d’écouter, de montrer de l’empathie, de dire "je comprends" ou "qu’est-ce que je peux faire ?", va lui permettre d’être interactionnellement juste. Et ce même dans des situations objectivement compliquées car la plupart des personnes apprécient. Certes, cela prend un peu de temps et d’énergie. Mais c'est finalement un investissement.
Et sur les autres formes d'injustices ?
Le manager peut aussi agir sur l'injustice procédurale. C'est beaucoup plus simple qu’on ne le pense : il suffit de demander l’avis des personnes avant de prendre une décision. Or, trop souvent, les managers l’oublient parce qu’ils veulent aller vite et être efficaces ou ont peur que leurs subordonnés soient contre leur idée. Et qu'ensuite, cela soit plus difficile de prendre une décision contraire à ce qu'ils ont dit. D’autres managers ne voient même plus le système social. Or les personnes ne sont pas des pions. Au contraire, elles ont envie de participer à la prise de décision sur ce qui les concerne, elles ont des idées et toute l’information du terrain. Si on se coupe de cela, on se coupe de décisions qui potentiellement pourraient être meilleures, mais aussi de la possibilité de motiver les gens.
L'injustice distributive est la plus simple à éviter... mais aussi la moins satisfaisante. Plus simple parce que c’est très balisé, il existe plein d’outils, de systèmes de rémunérations qui essaient d’être plus égalitaires. Le problème de cette justice ? Les personnes se comparent beaucoup entre elles et ont très vite tendance à se sentir injustement traitées. Tout simplement car elles ont un biais sur leur propre ego : elles voient ce qu'elles font, mais pas ce que les autres font. Au final, ce ne sera jamais totalement satisfaisant. Evidemment, il faut gérer l'injustice distributive et on peut toujours l’améliorer. Mais quand elle est bloquée, les vrais points d’amélioration se jouent sur les autres niveaux de justice.
> Le management juste, agir pour favoriser les sentiments de justice au travail, de Thierry Nadisic, professeur à l'EM Lyon Business school, aux éditions PUG.
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