Openspace, écrans, urgence... : comment notre environnement de travail fait disjoncter notre cerveau

par Sibylle LAURENT
Publié le 4 octobre 2018 à 16h26
Openspace, écrans, urgence... : comment notre environnement de travail fait disjoncter notre cerveau

INTERVIEW - Notre environnement de travail a changé. Au point que notre cerveau est devenu désormais notre principal outil de travail. Et il est menacé de surcharge. Comment l'éviter ? Les neurosciences sont peut-être une solution, envisagée de plus en plus par les entreprises. LCI s'est entretenu avec Gaëtan de Lavillon, spécialiste du sujet.

Ecrans, hyper-connexion, rapidité... Notre environnement de travail a changé. Et cela modifie notre manière de travailler, a des effets notre santé et nos performances. Au point que les entreprises commencent à se pencher sur le fonctionnement de notre cerveau. Entretien avec Gaëtan de Lavilleon, docteur en neurosciences et fondateur de Cog'X, agence de conseil et d’études en sciences cognitives.

Comment les neurosciences, la science du cerveau, sont-elles arrivées dans le monde de l’entreprise ?

Il y a quelques années, nous avions fait le constat qu’avec la transformation des modes de travail, des environnements et du digital, il y avait une surcharge, ressentie à la fin de la journée : les gens sont  plus fatigués qu’avant, ont du mal à se concentrer. Nous avons lancé notre société en septembre 2017 et il y a bien un vrai besoin chez les entreprises. Pour elles, le risque est réel. Et ce n’est pas qu’une question de bonheur au travail : la surcharge cognitive influe directement sur les performances de l'entreprise.

En quoi notre environnement de travail a-t-il changé ? 

Avant, les limites du travail étaient celles de notre corps humain. D'où le fait que nous faisions des pauses à horaires réguliers : nos muscles ne pouvaient pas tenir. Aujourd’hui, notre instrument de travail est notre cerveau, et c’est la même chose. Sauf que ce sont des mécanisme plus fins, et donc plus durs à percevoir : je n’ai pas mal à mon cerveau comme je pourrais avoir mal aux muscles. Il faut donc enseigner aux organisations et aux individus qu’il faut le prendre en compte. Il faut une vraie prise de conscience.

Un monde rempli de sollicitations

Quelles sont ces grandes transformations que notre environnement de travail a subies ?

D’abord, il y a le digital. L'écran n'est pas mauvais en soi. Le problème est, qu’à travers les écrans, il y a tout un monde de sollicitations qui s’offre à nous. Un ordinateur, c’est potentiellement des mails, un réseau social d’entreprise, plus tous les sites d’informations qui vont pouvoir venir, via des notifications, capter notre attention et nous déporter de ce que nous sommes en train d'effectuer. Et notre cerveau étant assez faible par rapport à cela, notre attention va être happée très facilement par toutes ces sollicitations. Cela pose le problème de l’hyperconnexion et de la sursollicitation.

Y-a-t-il d'autres éléments qui viennent nous distraire de nos tâches ?

Nos propres sollicitations internes viennent également nous perturber. Des études montrent que lorsqu'un salarié change d’activité, dans 50% des cas, ce n'est pas la conséquence d'une interruption extérieure ou d'une sollicitation digitale. C’est lui, qui, tout d’un coup, va aller ouvrir sa boîte mail. C'est ce fameux "fear of missing out" ("la peur de louper quelque chose"). Jouent aussi les nouveaux espaces de travail, comme les open-space. Ces environnements augmentent les sollicitations, notamment en raison du bruit. Les capacités de concentration et les performances en ont été amoindries.

Cela peut-il changer-t-il notre manière de travailler ? 

Oui. Car, pour ne rien arranger, nous sommes dans le culte de l’urgence, où l’on veut traiter ce flux d’infos permanentes le plus rapidement possible. Plus généralement, nous sommes dans une ère où le "multitasking" est perçu comme une qualité absolue par les entreprises. Mais notre cerveau n’est pas multitâche. Les données scientifiques montrent qu'il est incapable de prendre deux décisions en même temps. En réalité, notre cerveau "switche" d’un sujet à un autre ; il peut le faire vite, mais pas en simultané. Or nos organisations de travail nous poussent pourtant à faire l'inverse.

Peut-on détecter le burn-out ?Source : JT 20h Semaine

Les risques de surcharge cognitive

Tout ceci surcharge donc notre cerveau ? 

Pour comprendre, il faut s’intéresser à notre mémoire de travail. C'est le premier espace de stockage de notre cerveau, dans lequel les informations conscientes vont pénétrer puis être triées. Elle ne peut pas  traiter plus de 9 informations en même temps. Prenons une réunion : on est huit dans une pièce avec 8 ordinateurs, huit portables, un réseau social d’entreprise, votre manager qui vous parle et les pensées que vous avez dans la tête. On arrive très vite, sur quelques secondes, à plus de 10 infos en même temps. Donc, écouter son manager et mener une vraie réflexion, générer des idées et être innovant, cela devient une injonction contradictoire quand on est placé dans un environnement  de travail qui ne permet pas de faire tout ça. 

Quelles conséquences cela peut-il avoir ?

Cela met notre cerveau dans un état de surcharge cognitive. C’est un état transitoire dans lequel le salarié peut se trouver  pendant quelques secondes. Il arrive à tout le monde et est passager. Mais il a différents effets sur notre cerveau, notamment la réduction d’un  certain nombre de capacités cognitives : être attentif, la capacité à planifier, à gérer nos émotions,  une augmentation de la fatigue, des difficultés de mémorisation. 

Aujourd'hui, on émet l’hypothèse que ces environnements de travail augmentent le risque de surcharge cognitive, et que plus on se trouve de façon continue et répétée en surcharge cognitive, plus on est en état de fatigue mentale excessive, et plus on risque le burn-out.

> Lire aussi la suite de l'entretien : Ecrans, notifications : notre cerveau risque la saturation, comment se protéger ?  Les conseils d'un docteur en neurosciences


Sibylle LAURENT

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