Paroles de PME #1 - "On avait déjà commencé à lister les gens qu’on allait devoir licencier"

par Cédric INGRAND
Publié le 26 mars 2020 à 18h41, mis à jour le 3 avril 2020 à 10h42
Entrepreneurs en réunion
Entrepreneurs en réunion - Source : iStock

PAROLES DE PME - Elles ont du choisir entre réduire la voilure, et baisser le rideau. Certaines fonctionnent au ralenti, d’autres ont tout mis en pause, de petites entreprises comme suspendues dans le temps, face à un trou d’air économique sans précédent, et une crise imprévisible. Nous leur donnons la parole. Aujourd’hui, Alexandra, cofondatrice d’une société de formation à Paris, nous raconte à quel point son entreprise est passée près du gouffre.

C’est une agence de formation comme il en existe des centaines d’autres en France. L’entreprise a huit ans, huit employés à plein temps, et fait aussi travailler une quinzaine de formateurs indépendants. Des bureaux parisiens dans un quartier à la mode, des clients un peu partout dans le CAC40, bref, une PME en bonne santé… en tout cas jusqu’au mois dernier.

Alexandra, 36 ans, est la cofondatrice de l’entreprise, et celle qui a un oeil sur les comptes. “Début mars, on avait un mois de trésorerie devant nous, c’était un peu juste, mais rien de grave, les factures rentraient, et mars-avril-mai sont toujours nos meilleurs mois de l’année.” 

“Tout s’est arrêté”

Il y a trois semaines, quand la crise s’accélère et que l’on se met à parler de confinement généralisé, c’est tout le business de l’entreprise qui se retrouve comme stoppé net, en apesanteur. “Tout s’est arrêté, les formations en cours, tout ce qui était planifié, les négociations des contrats à venir. (...) La formation, c’est un peu comme la publicité, c’est l’un des premiers budgets qui sautent. On comprend bien qu’on n’est pas la priorité de la plupart de nos clients aujourd’hui, c’est normal.”

Pour autant, le coup est très dur. “Ce n’était pas juste une baisse d’activité”, explique Alexandra, “tous les compteurs sont tombés à zéro presque du jour au lendemain. On était sous le choc. Soudain, on s’est retrouvées contraintes à lister les gens qu’on allait devoir licencier, sans garantie que cela suffise à sauver l’entreprise.”

Providentiel chômage partiel

Il faudra attendre les annonces d’Emmanuel Macron et Bruno Le Maire pour que les deux fondatrices se remettent à y croire. Délais de paiement, aides diverses, mais surtout le chômage partiel. Un dispositif qui permet aux salariés d’être payés 84% de leur salaire net, en attendant la reprise de l’activité. L’entreprise continue de les payer, et sera remboursée rapidement, si l’on en croit le gouvernement. 

En pratique, c’est un peu plus compliqué que ça. “On attend toujours que notre dossier soit validé, mais l’administration a trop de dossiers à traiter, ça prend du temps. Sur les délais de paiement, on espère que ce sera le plus rapidement possible, aujourd’hui on a assez d’argent à la banque pour tenir deux mois.” 

Se mettre en pause, pour pouvoir repartir

Pour autant, Alexandra reste optimiste, reconnaissante même. “Ce qui a été mis en place est providentiel, il n’y a pas beaucoup de PME qui ont les reins assez solides pour survivre à ce genre de chose sur leurs fonds propres, sans licencier.” Franco-américaine, l’entrepreneuse sait dans quelle situation elle aurait été outre-Atlantique. “Mon frère travaille aux Etats-Unis dans une agence web, eux sont en train de virer presque tout le monde, et ils baissent de 20% les salaires de ceux qui restent.”

Aujourd’hui, les deux associées réfléchissent au meilleur moyen de repartir. “Ces jours derniers on a bien eu quelques messages de clients qui voudraient qu’on organise de petites formations à distance.” 20.000 euros de marchés potentiels, et autant de signes encourageants, mais qui ne compenseront pas les effets de la crise. “Sur la même période, l’entreprise aurait gagné dix fois plus d’argent normalement.” 

Chômage partiel, mode d'emploiSource : La Matinale LCI Week-end

Alexandra sait qu’elle va devoir surveiller sa comptabilité de très près pendant encore longtemps. “Attention, c’est formidable de pouvoir décaler le paiements des emprunts, des taxes, et du reste”, sourit-elle, lucide, “mais il faudra quand même les payer au final. (...) Malgré tout, on sait que l’on pourra redémarrer, que l’histoire n’est pas finie, et qu’on n’a laissé personne sur le côté de la route. En fait, on a eu la chance qu’on nous permette d’appuyer sur ‘Pause’”.


Cédric INGRAND

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