DÉBAT D’IDÉES - Dans une tribune intitulée "Qualité de vie au travail : bienvenue dans l’ère du greatwashing", deux universitaires évoquent cette distorsion croissante entre l’affichage externe des entreprises autour de la qualité de vie au travail et… ce qui est réellement effectué en interne pour préserver la santé mentale des salariés.
Il y avait le "greenwashing", cette manière, pour une entreprise, de communiquer sur un positionnement écologique. Et s’il existait, aussi, un "greatwashing, c'est-à-dire un décalage entre un affichage autour de la qualité de vie au travail et ce qui est réellement entrepris en interne par une société ?
C’est la question et le concept que posent deux maîtres de conférences en Sciences de gestion, Jean-Christophe Vuattoux (Université de Poitiers) et Tarik Chakor (Université Grenoble-Alpes), dans une tribune intitulée "Qualité de vie au travail : bienvenue dans l’ère du 'greatwashing'" publiée initialement sur le site The Conversation.
Classements du bonheur
Leur réflexion est partie d’un classement, comme il en existe des dizaines : celui, en avril dernier, de Great place to work. Cet institut américain récompense les entreprises les plus investies dans la qualité de vie au travail. Et à la vue des résultats, Jean-Christophe Vuattoux et Tarik Chakor ont été un peu "surpris" : les premières places et une grande partie de la liste sont en effet trustées par des sociétés de conseil, de recrutement, d’audit… Des secteurs pourtant réputés très stressants. Ces résultats qu’ils estiment "contre-intuitifs" les ont amenés à s’interroger : " Doit-on y voir une véritable prise de conscience du top management qui aurait mis en place des politiques de santé au travail à succès ou alors... une dimension d'affichage plus 'stratégique' ?"
En France, en matière de santé au travail, l’employeur a des obligations, encadrées par la loi, notamment celle de "tout mettre en œuvre pour préserver la santé physique et mentale de ses salariés" (article L4121-1 du Code du travail). Au fil du temps, plusieurs approches se sont succédé concernant ce sujet. Ces dernières années, la notion de "qualité de vie au travail" a ainsi pris le relais de la prévention des risques psycho-sociaux (RPS). Nous avons donc assisté à la bascule d’une logique de prévention à une logique de promotion, et même à l’apparition de "bien-être" et de "bonheur au travail".
Les limites de l'approche "tout positif"
Des approches a priori plus "positives", avec pour mantra le fait qu’un salarié épanoui est plus performant -ce qui est aussi tout bénéf' pour la performance de l’entreprise. Bref, du gagnant-gagnant : "Ces approches facilitent ainsi le dialogue social autour de concepts moins marqués émotionnellement que les risques et le mal-être au travail", notent les deux chercheurs. "Elles ont enfin pour avantage de rendre potentiellement gérable l'obligation de prévention de la santé mentale des salariés : on peut notamment fixer des objectifs aux managers en termes de QVT, bien-être ou bonheur au travail de ses subordonnés...".
Sauf que tout n’est pas si simple car cette approche présente de nombreuses limites. Au point que selon les auteurs de la tribune, cette "quête du bonheur" (terme qui regroupe donc pêle-mêle RPS, quête de sens, stress, bien-être) pourrait paradoxalement aggraver les choses. Ils pointent, d’abord, cette évolution sémantique. Pas anodine, elle rend invisible les souffrances réelles de travail : "Les éléments positifs servent de paravents aux éléments plus négatifs", estiment Jean-Christophe Vuattoux et Tarik Chakor. "Les dispositifs et outils d'identification sont sensiblement restés les mêmes. Mais cette approche package sous-entend qu'il existe des mécanismes de compensation entre mal-être et bien-être, ce qui est loin d'être avéré."

Sois heureux et tais-toi ?
Par ailleurs, cette "quête du bonheur" matérialisée par des "Chief happiness officer", des baby-foot ou des cours de sophrologie -des dispositifs qui ne s'attaquent pas réellement aux risques -, se focalise essentiellement sur l'individu "en tant qu'humain, et non en tant que professionnel dans une activité organisée". La prise en compte de l'organisation du travail et ses possibles impacts sur l'employé sont donc au passage oubliés. Qui plus est, cette forme d'injonction au bonheur peut avoir pour effet "d'additionner une nouvelle souffrance à la souffrance existante, faisant basculer un peu plus l'origine du problème du côté des salariés", détaillent les chercheurs. En effet, l'entreprise n'a t-elle pas tout fait pour les rendre heureux ? "A partir du moment où l'organisation peut justifier s'être acquittée de sa mission de préservation de la santé mentale des salariés en mettant en place tout le nécessaire pour son bien-être, elle rend celui-ci potentiellement responsable de son propre malheur."
Mais pour l’entreprise, et c’est le piège, cette approche a le mérite de la simplicité : "Les organisations peuvent, grâce à cette lecture en creux des RPS (le bien-être au travail sous-entend l'absence de mal-être), répondre plus simplement à la double attente juridique et médiatique actuelle", estiment Jean-Christophe Vuattoux et Tarik Chakor. Encore mieux, elles peuvent "utiliser ces concepts positifs comme un outil corporate pour expliquer comment il fait bon vivre dans l'entreprise et combien les salariés sont heureux."
Car le paradoxe est là : jamais les sociétés n'ont autant communiqué sur les actions lancées pour rendre leurs salariés heureux, alors même que la hausse des arrêts maladie ne cesse de se poursuivre. Conclusion : "Il semble que l'on assiste pour certaines entreprises davantage à un travail de communication et d'affichage marketing qu'à un moyen de mieux prévenir les pathologies de la santé psychosociale des salariés".
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