"Rêvez, osez, foncez !" : pourquoi les coachs en reconversion professionnelle sont en plein boom

par Sibylle LAURENT
Publié le 8 avril 2019 à 12h06, mis à jour le 10 avril 2019 à 16h13
"Rêvez, osez, foncez !" : pourquoi les coachs en reconversion professionnelle sont en plein boom

Source : Pierre Gautheron/Wake-Up

ENQUÊTE – Dans un monde complexe, qui se transforme vite, de plus en plus de salariés se posent des questions sur leur job. Et font appel à des coachs spécialisés en reconversion professionnelle pour les aider à franchir le pas. Le secteur est en pleine expansion.

Maud tient une boutique de jouets. Dans une autre vie, elle était directrice commerciale. "J’adorais mon job, j’ai encadré des équipes, changé de groupe, j’ai gravi les échelons, j’aimais ça, vraiment ", raconte-t-elle à LCI. "Et puis en 2015, j’ai eu une petite fille. Cela m’a retourné le cerveau. La maternité a réveillé un tas d’émotions et d’envies. Et ma vie professionnelle ne me paraissait plus correspondre à la femme que j’étais devenue." 

Que faire, alors ? Maud a bien une idée, qu’elle mûrit dans sa tête : elle a l’âme entrepreneuse, a envie de créer sa boîte, sans doute une boutique de jouets. Mais elle doute : "Ce n’est pas évident de se dire 'tu es cadre sup et tu penses à ouvrir une boutique de jouets' ! L’entourage n’est pas non plus super-open, ça lui fait peur. Tu te demandes si ce n’est pas juste une lubie. Ne plus être salarié, c’est aussi ne plus gagner la même chose, alors que j’avais un très bon salaire. Bref, tout un tas de changements !" Maud a donc fait appel à une coach en reconversion professionnelle, pour "confirmer ses choix". Pendant trois mois, elle a cheminé. Et a sauté le pas. Sa boutique s’appelle Les Merveilles d’Oona, dans le 19e arrondissement de Paris, son quartier. Elle pense déjà à en lancer d’autres. Cette coach lui a en fait permis de lever ses blocages. De mieux se connaître. Et ainsi d’avancer.

Changement de vie à 180 degrés

Et ce changement, Maud n'aurait pas pu le faire seule. "J’ai 18 ans d’expérience professionnelle. Mes compétences, je les connais, je sais ce que je sais faire, où je peux les mettre", explique-t-elle. "Ma coach voulait savoir qui je suis, quelles sont mes valeurs. J’ai aimé cette approche, ce recentrage sur soi. Elle a mis en lumière mes freins et m’a aidée à les débloquer." Et si Maud a dû faire de grosses concessions sur son niveau de vie, elle n'a aujourd'hui aucun regret : "Chaque jour qui passe me confirme que j’ai pris la bonne décision." 

Des changements de vie comme Maud, à 180 degrés, il y en a de plus en plus :  Vincane, directrice marketing, a ouvert un show-room de robes de mariées ; Thierry a quitté la finance pour transformer une ferme en maison d’hôtes ; Marie a abandonné la pub pour lancer sa marque d’habits éthiques ; Lise, avocate, veut devenir professeur d'allemand. Leur point commun ? Ils ont tous vu un ou une coach en reconversion, Hélène Picot. 

La reconversion professionnelle est-elle la solution pour réaliser des projets ?Source : JT 20h WE

On vous dit de plus en plus d'inventer votre vie, mais ce n'est pas si facile !
Bernard Soria, coach et président de SF Coach

La demande est aujourd'hui forte pour ces "facilitateurs de changement", entre psy et consultant, ayant souvent eux-mêmes réalisé une reconversion, dont le nombre explose. Bien qu'en plein essor, ce "marché du coaching" est cependant difficile à estimer. "Il existe plus de cent écoles de formation au coaching en France", estime Bernard Soria, président de la SF Coach, fédération fondée en 1996. "C'est absolument énorme. Il y a 20 ans, il y en avait une dizaine seulement". Au total, cela représente au moins 20.000 personnes formées, mais ce seraient entre 5 et 7000 coachs qui exerceraient activement dans l'Hexagone.

A l'époque, la SF Coach –il existe trois fédérations en France– s’est formée pour poser les bases de la professionnalisation de ce métier, mal défini et mal réglementé. Son objectif : assurer crédibilité, déontologie et reconnaissance au métier de coach, parfois trop caricaturé et pourtant très professionnel. "L'ancêtre du coaching, c’est la maïeutique socratique", rappelle Bernard Soria. "Comment à travers les questionnements, on aide une personne à accoucher de ses propres solutions pour atteindre ses objectifs. C’est une démarche extrêmement différente de la formation, où l’on vous apprend des choses, et du conseil, où l’on vous dit 'moi je sais ce qu’il vous faut'. C’est une posture plus subtile et beaucoup plus riche." 

La demande est forte pour le coaching, qui se pratique seul ou en petit groupe.
La demande est forte pour le coaching, qui se pratique seul ou en petit groupe. - Pierre Gautheron

Il y a une multiplication des transitions de vie, décidées ou subies
Bernard Soria, coach et président de SF Coach

Un coaching, c’est de l’accompagnement, du soutien dans une démarche difficile, où l’on peut vite se décourager. La démarche répond sans doute à un besoin croissant, dans un monde qui se transforme de plus en plus vite.  "Aujourd’hui, un jeune qui rentre sur le marché du travail doit se poser beaucoup plus de questions qu’il y a 20 ans. Non seulement nous devons changer plusieurs fois d’entreprises dans notre vie, mais aussi sans doute de métiers", estime Bernard Soria. "Il y a une multiplication des transitions de vie, décidées ou subies. Et il faut sans cesse se projeter dans l’avenir, au-delà de son travail quotidien." 

Et face à cela, l'individu est de plus en plus seul : "Les grands idéaux collectifs ont petit à petit disparu", analyse-t-il. "Les individus sont de plus en plus renvoyés à eux-mêmes, on leur demande de créer leur projet, de donner du sens à leur vie. C’est une injonction à la fois libérante et très lourde à porter… Quand on vous dit  'inventez votre vie !', ce n’est pas si facile !" C’est là que le coaching de transition peut prendre tout son sens : "Pour répondre à toutes ces transformations, il permet de disposer d’un lieu, d’un temps et d’une personne qui, par sa présence, va permettre de faire émerger son projet." 

J’aide à trouver quelles sont vos vraies valeurs, et ce qui vous correspond vraiment
Hélène Picot, coach en reconversion professionnelle

Hélène Picot, coach en reconversion professionnelle, qui a notamment accompagné Maud constate, elle aussi, ce boom des questionnements. Elle y voit une "quête de sens" : "Cela a commencé il y a une dizaine d’années et cela va de plus en plus vite : comme il y a de plus en plus de reconversions, les gens se disent que ce n’est pas si risqué et osent davantage." Pour elle, le monde est en train de vivre une "bascule" : "Nous sommes dans un double système : d'un côté, le monde d’avant, avec une manière de travailler venue de l'industrialisation ; et de l'autre, ce nouveau monde qui émerge, avec davantage de sens, un boulot qui fait plus 'kiffer', une vraie combinaison entre vie perso et pro. Nous sommes en train de passer de l'un à l'autre. Et mon métier est d’accompagner les gens vers cette transition-là. Je les aide à trouver quelles sont leurs vraies valeurs et ce qui leur correspond vraiment."  

Hélène Picot est d'autant mieux placée pour aider, qu'elle-même est une 'reconvertie'. "J’ai 40 ans, j'appartiens donc à cette génération où il faut faire un boulot où l’on gagne bien sa vie, où il y a une étiquette." Elle a fait une école de commerce, une école de com’ et a atterri dans la publicité, comme directrice de pub dans différents journaux. "Dès que je suis arrivée là-dedans, je me suis dit que cela n’allait pas du tout le faire. Ce n’était pas moi, je ne voulais pas faire ça, je vendais du vent."  Elle a tenu 8 ans, tout de même. Un peu emportée dans la machine. "Cela tournait tout seul, j'étais débauchée, je ne faisais même pas un CV", se souvient-elle. "Je continuais de bosser comme un âne, je ramenais beaucoup de sous. Mais je n’étais pas alignée, je me disais qu'il n'était pas possible que ma vie soit  cela ! " 

En 2011, elle sent que c'est le moment. Elle veut dire "stop", partir. Au même moment, son journal est placé en redressement, elle est licenciée économique. "Je me suis dit que c’était la chance de ma vie !", raconte Hélène Picot. "Dans tous les cas, j’allais partir. Mais cela montre que lorsqu'on a pris une décision et qu'on sent qu'elle est la bonne, les planètes s’alignent. Je l'ai constaté chez plein de personnes. C’est un truc de dingue !" De son expérience, elle a créé et peaufiné une méthode, "Rêvez, osez, foncez", pour aider à trouver sa voie. 

Dans une reconversion, il y a une incertitude, et il est nécessaire de bien se connaître
Anaïs Roux, cofondatrice de Wake-Up

L’alignement des planètes, Anaïs Roux l’a aussi connu. Elle est aujourd’hui cofondatrice de Wake-up, une école de développement personnel et professionnel. Elle aussi a "suivi la voie toute tracée". Pour elle, il s'agissait d'une prépa et d'une école de commerce avant de s’engager dans l’audit financier, sans se  "poser la question une seule seconde" de ce qu'elle avait envie de faire. Elle a tout de suite "détesté ce métier, très procédural, très rigoureux, à l’opposé de (sa) personnalité". La prise de conscience passée, elle doute : quelles sont ses valeurs ? Que peut-elle faire d’autres ? 

Elle commence à cheminer, s’engage dans une association, se fait accompagner, comprend petit à petit quels sont ses talents, ce qui est important pour elle. Et trouve sa place. Elle cofonde cette école axée sur la connaissance de soi et le développement personnel, avec deux amis. Avec l'envie de transmettre : "J’ai voulu aider à faire ce que j’avais réussi à faire : trouver un métier dans lequel on se sent épanoui et l’on trouve du sens." Et la clé, selon elle, est de se connaître. "Dans une reconversion ou un changement de vie, il y a une incertitude. L’idée est donc avant tout de bien connaitre sa personnalité : qui suis-je ? Quels sont mes talents, que puis-je apporter à une entreprise ?"

Anaïs Roux, cofondatrice de Wake-Up.
Anaïs Roux, cofondatrice de Wake-Up. - Pierre Gautheron/Wake-Up

Trouver un job dans lequel on est épanoui, ça n’a pas de prix !
Maud Béguigné, créatrice des Merveilles d'Oona

Nécessité de se recentrer sur soi, pour mieux avancer, voilà donc comment les coachs veulent aider : "C’est la différence avec le bilan de compétences !", souligne Hélène Picot. "La plupart ne marchent pas, parce qu’ils fonctionnent essentiellement sur le 'faire', ce qu’on sait faire. Mais les compétences, on s’en fiche : il y a plein de choses que vous savez faire, mais que vous n’aimez pas faire. Ils ne lèvent pas non plus les freins. Le but, c’est d'exercer une profession dans ce qu’on aime et de travailler sur les peurs  que nous pouvons avoir."

Si les freins de cette quête de sens sont nombreux, le principal, tous le constatent, est donc l’argent. "Si on dit à quelqu’un que demain, il va être permaculteur et très bien gagner sa vie, il va sauter le pas sans problème", remarque Hélène Picot. "Cette peur de manquer, nous la travaillons beaucoup en coaching. C’est normal, nous avons été éduqué pour faire un métier qui rapporte des sous, pour s’acheter une maison, être un bon consommateur… Mais est-ce bien ce que nous voulons vraiment dans la vie ? Cela nous rend-il heureux ?"

Reste aussi bien sûr la question du prix. Ces "coaching" ont un coût, qui peut aller de 100 à 200 euros la séance, sur plusieurs mois. Mais de nombreux dispositifs d’aide, parfois proposés par des associations, permettent de prendre une partie en charge tandis que certains coachs élaborent également des formules d’accompagnement à différents tarifs. "Il y a toujours moyen d’avoir accès à des coachings très peu chers, voire gratuits dans certains cas", assure Bernard Soria.  Et surtout, rappelle Maud, de sa boutique de jouets, "il faut le voir comme un investissement : la vie professionnelle prend quand même beaucoup de temps. Quand on est mal dans son job, c’est l’enfer, cela peut avoir des incidences sur le reste de sa vie. Trouver un job dans lequel on est épanoui, c’est un luxe. Ca n’a pas de prix."


Sibylle LAURENT

Tout
TF1 Info