POINT D'ÉQUILIBRE - Ce n'est pas un projet, juste une idée, mais elle fait déjà beaucoup parler : dans une note d'analyse, un économiste préconise la taxation du télétravail, pour rétablir un semblant d'égalité pour les emplois qui n'y ont pas droit. Mais le diable est dans les détails, et l'idée pourrait être incompatible avec notre droit du travail.
L'idée est écrite, noir sur blanc, au milieu d'une note d'analyse très sérieuse des économistes de la Deutsche Bank sur les scénarios de sortie de crise. Une idée inédite, un tantinet provocatrice, mais qui a le mérite de faire réfléchir au télétravail, et à ses implications pour l'avenir.
S'il le télétravail suscite tant de nouveaux débats, c'est parce qu'il a toutes les chances d'être l'une des choses que la pandémie aura transformé en nouvelle normalité. Dans leur analyse, les économistes citent une étude interne de la Deutsche Bank où plus de la moitié des sondés disent vouloir continuer à télétravailler de manière régulière, une fois l'urgence sanitaire passée, à raison de deux à trois jours par semaine. Ils ne sont plus que 25% environ à vouloir revenir au bureau comme avant. Un changement structurel dont on n'a pas fini de mesurer les effets, sur le marché du travail, mais aussi sur l'économie et la société tout entières.
23% de télétravail à plein temps la semaine dernière
Selon une enquête menée au début du mois auprès de 2000 Français, une majorité de ceux qui peuvent télétravailler l'ont fait, et ils l'ont fait davantage que la semaine précédente, a indiqué Elisabeth Borne au ministère du Travail, qui a commandé l'étude. Ainsi, 45% des salariés du privé qui ont travaillé ont fait du télétravail, et 23% l'ont fait 5 jours sur 5. "C'est un bon score quand on sait que tous les salariés ne peuvent pas télétravailler", a observé la ministre, rappelant que "plus d'un tiers ont un métier qui n'est pas télétravaillable."
Et c'est justement cette inégalité devant le télétravail que l'étude allemande veut combler, mais pas seulement. Comme l'expliquent les auteurs, "le passage soudain au télétravail veut dire que, pour la première fois dans l'histoire, une bonne partie des gens se sont déconnectés du monde en face-à-face en continuant de mener une vie économique bien remplie. Cela veut dire que les télétravailleurs contribuent moins à l'économie en continuant d'en recevoir les bénéfices." Et de fait, la massification du télétravail aura des conséquences négatives sur nombre d'emplois de service, dans l'entretien, la sécurité, la restauration, le transport, mais aussi à l'intérieur d'une même entreprise en créant une inégalité entre les salariés qui ont accès au télétravail, et ceux dont la présence constante est requise.
D'où la proposition d'une taxe : 5% prélevés sur le salaire brut, en proportion du nombre de jours télétravaillés. De quoi pour les États mettre en place des systèmes d'aide à la formation et au reclassement de ceux dont les emplois présentiels sont mis en danger. Les économistes ont fait le calcul : appliquée aux États-Unis ou en Allemagne, la taxe permettrait de les aider à hauteur de 1500 euros chacun, mais aussi d'offrir une prime à ceux qui travaillent "en présentiel" à plein temps.
Une taxe acquittée par l'employeur... ou par le salarié ?
La proposition a le mérite d'être créative... mais est-elle réaliste ? À y regarder de plus près, c'est discutable, en faits et en droit. En faits, d'abord, parce qu'elle part du postulat que les télétravailleurs tirent un bénéfice économique d'un travail éloigné du bureau. Selon l'étude, ils économisent le transport, les repas pris à l'extérieur, des dépenses d'habillement supplémentaires également. Or ce n'est vrai que jusqu'à un point, quand transports et repas sont par exemple largement pris en charge par l'entreprise, et qu'à l'inverse travailler de chez soi suppose idéalement d'avoir la place d'installer un bureau, qu'il faut l'équiper, et que le travail à la maison peut entraîner des dépenses de chauffage, le besoin d'une meilleure connexion internet, bref, que les frais existent aussi. Tout au plus pourra-t-on convenir qu'avantages et inconvénients peuvent s'équilibrer, mais le bénéfice réel du télétravail - quand il est choisi et correctement organisé - tient surtout à une qualité de vie améliorée, mais moins quantifiable.
Ensuite, il y a le mécanisme imaginé par l'étude, avec une taxe qui serait soit une charge salariale - payée par l'employé donc - soit une charge patronale acquittée par l'employeur, selon un système là aussi créatif. Si c'est l'employé qui choisit de travailler de chez lui alors que son employeur met à sa disposition un bureau dédié, alors la taxe sera déduite du salaire. Si au contraire c'est l'employeur qui a décidé du télétravail, alors les 5% à acquitter seront ajoutés aux charges patronales sur la fiche de paye. Là, c'est le code du travail qui pourrait y voir à redire, d'abord parce que - hors urgence sanitaire - le télétravail est réputé être une décision commune et négociée. En France, l'emploi salarié suppose un lien de subordination, on voit mal comment l'employé pourrait être seul décideur de ses jours de télétravail.
Surtout, là où la proposition de la note d'analyse de Deutsche Bank confine à la fausse bonne idée, c'est quand elle trouve une taxe comme seule solution à la transition vers plus de télétravail. Les économistes le savent bien : on ne taxe que ce que l'on veut décourager, or le télétravail ressemble à un mouvement désiré, tant par les employés que par leurs employeurs, la seule question étant celle du curseur sur son amplitude et les conditions dans lesquelles il s'exerce. Au-delà de ses bénéfices immédiats, il a aussi des attraits plus larges, sur la réduction des déplacements, la sécurité, l'urbanisme, là encore à quantifier de plus près, mais difficile à nier dans ses grandes largeurs.
Dans ces conditions, une taxe sur le télétravail pourrait sembler contre-productive, et ne suffirait pas à combler ce que les bureaux désertés coûtent à l'économie qu'ils entraînaient autour d'eux. Une transition pourtant irrépressible, et faite pour durer.
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