Télétravail, horaires décalés, attestation employeur... Que dit la charte qui veut limiter l'usage des transports franciliens ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 7 mai 2020 à 8h56, mis à jour le 7 mai 2020 à 9h05

Source : TF1 Info

FOCUS - En Ile-de-France, le retour au travail après le 11 mai se fera dans un contexte particulier : il s'agit d’éviter à tout prix la saturation des transports en commun. La Région a mis au point une charte à destination des entreprises, signée ce mercredi, qui vise à limiter et lisser leur usage. Elle prévoit également que le salarié qui les emprunte soit muni d'une attestation de son employeur, comme l'a confirmé le secrétaire d'Etat aux transports jeudi.

Pour revenir au travail, il faut prendre les transports. Mais il ne faut pas qu’ils soient saturés. Equation insoluble ? En Ile-de-France, le retour à l’activité le 11 mai se double d’un savoureux casse-tête, propre au terreau particulier de la région : les transports en commun, qui jouent un rôle central dans les mobilités professionnelles. Il est donc crucial, en phase de déconfinement, d’éviter à tout prix la saturation. Un vrai défi quand on connaît les pics constatés habituellement aux heures de pointe. 

La Région a mis au point une charte pour tenter de juguler ce flux de voyageurs, en temps normal de 5 millions de personnes chaque jour. L'enjeu est de rester sous la barre des 1,5 million. Ce texte, signé ce mercredi après-midi par le préfet de région Ile-de-France, la Région, mais aussi les organisations patronales telles que le Medef Ile-de-France, la CPME Ile-de-France, ou encore l'U2P (Union des entreprises de proximité), dresse une liste d'actions pour inciter les entreprises à gérer les flux de salariés après le 11 mai.

Un des premiers objectifs est de limiter le nombre de salariés ayant recours aux transports en commun. D'abord en demandant aux entreprises de maintenir, autant que possible, le télétravail dans les prochaines semaines. "Pour maintenir un haut niveau de recours au télétravail, les entreprises adhérentes au protocole s’engagent à proscrire, dans la mesure du possible, la présence sur site pour les activités télétravaillables la première semaine suivant le déconfinement", indique ainsi la charte, que LCI s'est procurée. "Pour les deux semaines suivantes, et sous réserve des constats partagés sur les conditions de saturation des transports en commun, ce taux de présence pourrait être augmenté chaque semaine de 10%."  

Les salariés en télétravail qui "pourront se déplacer par leurs propres moyens, c'est-à-dire sans utiliser les transports en commun, peuvent se rendre sur leur lieu de travail", précise encore la charte.

Ce sont effectivement des hypothèse en débat
Jean-Baptiste Djebarri, secrétaire d'Etat aux transports

Quand ce n’est pas possible, la charte recommande aux entreprises de favoriser le déplacement alternatif, comme le vélo. Et enfin, pour ceux qui ne peuvent échapper aux transports en commun, l'objectif est d’étaler les flux pour éviter les pics en heures de pointe. Pour cela, l'idée est de demander à l'entreprise d’étaler les horaires d’arrivée et de sortie de ses salariés. "Dans le respect des contraintes d’activité de l’entreprise, celle-ci définit une organisation du travail pour répartir de manière homogène les arrivées et les départs sur le lieu de travail sur les tranches 5h30-6h30, 6h30-7h30, 7h30-8h30, 8h30-9h30 et 9 h 30-10 h 30 pour les arrivées", précise encore le texte. Les heures de départ feront l’objet d’un étalement similaire sur les tranches allant de 15h30 à 19h30. 

La charte prévoit par ailleurs une attestation de l’employeur qui indiquerait pour chaque salarié les horaires auxquels il est autorisé à rejoindre son lieu de travail. "Elle devra être produite, en cas de contrôle, aux agents de l’Etat qui en font la demande", précise le texte, qui indique que ces questions "seront l’objet de dialogue social interne à l’entreprise". Jean-Baptiste Djebbari a confirmé jeudi matin sur france info que cette attestation serait nécessaire dès lundi 11 mai pour prendre les transports en commun afin de se rendre à son travail. 

Des questions en suspens

Dans les différentes interviews qu'elle avait menées, Valérie Pécresse avait affiché sa volonté de rendre cette attestation obligatoire et de punir ceux qui n'en auraient pas d'une amende de 135 euros. Pas d'amende prévue à cette heure selon Jean-Baptiste Djebbari mais le secrétaire d'Etat a expliqué que des contrôles seraient effectués à l'entrée des stations de transports en commun et que ceux qui n'auraient pas leur attestation pourraient ne pas pouvoir utiliser les transports. Des mesures qui seront précisées dans la journée, a-t-il indiqué. 

Avec cette charte restent des questions en suspens : quel sera son statut ? Le texte indique simplement que "les organisations signataires s’engagent à promouvoir ses dispositions auprès de leurs adhérents". Sera-t-elle obligatoire pour les entreprises ? Ou seulement pour celles qui la signent ? Et certains points comme cette attestation de l’employeur, qui peut paraître très contraignante d’un point de vue administratif, seront-ils possibles ? 

Aménager les horaires, une mesure efficace ?

Du côté du Medef Paris, on affiche un a priori positif sur les horaires décalés, tant est grande l’envie des chefs d’entreprise de rassurer leurs salariés. "Je pense que c’est moins compliqué qu’il n’y parait, et que beaucoup d’entreprise et d’équipes sont prêtes à se prendre en charge et s’organiser dans ce sens-là", indiquait à LCI Charles Znaty, président du Medef Paris, en début de semaine. Tout en soulignant que ces horaires décalés sont "une option parmi d’autres, et qu’il revient aux entreprises de décider quel est le cocktail qui va le mieux, entre la part de télétravail, les horaires décalés, l’espacement dans les lieux de travail… On ne regarde pas les options une par une, elle s’inscrivent dans une logique d’ensemble." 

Cette option de "lissage des flux" fait en tout cas sourire Vincent Gautheron, secrétaire général de l’Ugict-CGT, syndicat des cadres. "Cette question des horaires décalés en entreprises, c’est un très vieux cheval de bataille de la Région Ile-de-France pour essayer de décongestionner le trafic, tant il est compliqué de développer les transports franciliens", sourit-il. "Ce qui pose question, c’est que ce sont des actions qui se réfléchissent au niveau d’un bassin de vie. Par exemple, il faut une coordination entre les différentes entreprises le long d’une ligne de métro", dit-il. "Prenez le site de la Défense : s’il n’y a pas une entente entre toutes les entreprises pour se mettre d’accord sur le décalage des créneaux horaires, vous risquez toujours d’avoir à un moment un fort flux. Il faut aussi que derrière l’ensemble des services, comme pour la garde d’enfants, décalent leurs heures d’ouverture. Est-ce que ces échanges ont été possibles, avec l’ensemble des acteurs, sur ces questions-là ? Je ne pense pas." 

Le syndicaliste pointe d’ailleurs, plus généralement, la portée réelle de ce genre de mesures. "Certaines lignes sont saturées toute la journée, il n’y a même plus d’heures de pointe. Et c’est cela la vraie problématique : je crains qu’on ne soit arrivés à un taux d’urbanisation, de sururbanisation et de saturation du réseau tel que ces horaires décalés ne soient une broutille." Une expérimentation de 'lissage" avait été mise en place en 2019 à la Défense, une quinzaine d’entreprise s’engageant en mettant en place des horaires décalés. Les résultats ne sont toujours pas connus. 


Sibylle LAURENT

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