Un "monstre" pour les uns, "des prix imbattables" pour les autres : faut-il (et peut-on) boycotter Amazon ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 25 novembre 2019 à 18h13
Un "monstre" pour les uns, "des prix imbattables" pour les autres : faut-il (et peut-on) boycotter Amazon ?
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VOUS NOUS AVEZ RACONTÉ – Coup sur coup, une note d’analyse du député Mounir Mahjoubi et un rapport d’associations environnementales alertent sur les pratiques du géant de la distribution en ligne, accusé de détruire plus d’emplois qu’il n’en crée, de tuer le commerce de proximité, mais aussi d’avoir d’énormes impacts environnementaux. Faut-il le boycotter ? Nous vous avons posé la question sur notre page Facebook.

Rachel habite en Egypte. Elle a un mari et deux enfants. Quand elle revient passer ses vacances chez sa mère, dans le sud de la France, elle en profite. Parce que là-bas, de nombreux produits sont indisponibles, les frais de douane sont chers et la livraison longue. Alors elle passe ses soirées sur Amazon. Et quasiment chaque matin arrive un colis. Un biberon. Des maillots pour les petits. Des cahiers de coloriage. Le tout gratuitement car Rachel a un compte "prime" : 49 euros par an, aucun frais de livraison, et celle-ci est promise dès le lendemain de la commande.

Benoît, qui habite à Antibes, a lui aussi ce compte "prime". "J’achète beaucoup de matériel informatique, et ce que je cherche en général, tu ne l’as pas en magasin. C’est assez spécifique, raconte-t-il. L’avantage, c’est la garantie Amazon, ils te remboursent facilement au moindre problème". Aurélie, elle, habite en plein cœur de Paris. Elle commande, deci-delà, des jouets, du sérum pour cheveux, un skate... "Je sais, je ne devrais pas", dit-elle. "J’y vais essentiellement parce que c’est moins cher et que je déteste les grands magasins". Tournez la tête, de tous côtés, Amazon est partout.

En quelques années, le géant américain a pris une place considérable dans nos vies. Se glissant dans toutes les failles, se rendant indispensable. Ne serait-ce qu'à voir la pluie de témoignages, qui, en quelques minutes, a inondé l’appel Facebook que nous avons lancé. S’y croisent tous les profils, tous les secteurs géographiques, toutes les pratiques, et beaucoup disent la même chose : Amazon, c’est rapide, c’est pratique, simple, et à un prix imbattable. 

S’il y a 20 euros d'écart sur le même produit, mon choix sera vite fait.
Klima

L’argument imparable, c’est effectivement le prix. "J'ai commandé cet été une enceinte portable", rapporte Xavier. "Avant,  je suis allé chez différents commerçants leur demander s’ils pouvaient me faire une remise : j’étais en vacances, donc j’avais le temps. 300 euros chez eux contre 230 chez Amazon. Je veux bien payer un poil plus cher pour faire fonctionner nos petits commerçants - et encore je suis allé chez Darty et Auchan -, mais là on parle de plus de 20% de réduction... "Si j'ai le choix entre Amazon et le commerçant de mon quartier, et que le prix est le même, j'irai chez le commerçant. Mais s’il y a 20 euros d'écart sur le même produit, mon choix sera vite fait", dit aussi Klima.

Et c’est sans parler du choix infini sur la plateforme. "Je voulais changer le bracelet d’une montre", raconte Henriette. "Je demande au magasin de le changer, qui me répond qu’ils ne font pas cette largeur, qu’il faut réexpédier la montre au fabricant, qui est en Italie, qu’il faudra compter 2 à 3 semaines. Je vais dans d'autres boutiques, qui n’ont pas non plus mon modèle de bracelet. Autrement dit, on vend un produit sans en assurer le SAV. Résultat : achat obligé sur Amazon." 

La livraison à domicile, elle, a les faveurs des personnes âgées, des habitants de zones reculées, des agoraphobes des grands magasins… Autant dire tout le monde. Lou, qui "a 80 ans et plus de jambe", nous confie ainsi être "bien contente de le trouver pour les Noël des arrières petits-enfants". 

Accusé d'optimisation fiscale, d'impacts environnementaux et sociaux

Autant d’atouts - et encore, nous n'avons pas cité ceux qui saluent "des livreurs très sympathiques" - qui font que, semble-t-il, essayer Amazon, c’est l’adopter. Voire devenir addict. "Je ne vais quasiment plus en magasin, je ne peux pas m’en passer", assure Magali. "Enfin, ce n'est pas vital. Mais pourquoi s'en passer ? Pourquoi boycotter ? C’est quoi le souci ? Je ne sais pas... si on m’explique peut-être que je changerai."

Le "souci", c'est que le géant américain s'attire autant les critiques, sur le modèle économique qu’il met en place : il est accusé tour à tour d’optimisation fiscale, de destruction d’emploi, de mise en danger du tissu économique local. Ce week-end, des associations environnementales ont pointé ses impacts environnementaux et sociaux, ce que dément Amazon. Vendredi, le député Mounir Mahjoubi a produit un rapport dans lequel il estime que pour un emploi créé en France, Amazon en détruit 2, 2.

Peut-on se passer d'Amazon ?

Mais face la ferveur de ses utilisateurs, que pèsent les appels au sursaut du consommateur ? Quelques consommateurs, à vue de nez moins nombreux, marquent leur volonté de rester fidèles au commerce de proximité. "Je ne commande jamais sur Amazon !", tranche Valérie. "Je préfère soutenir les petits commerçants locaux. C'est un monstre qui va détruire le petit commerce si l'on n'y prend pas garde". Olivier lui, en est revenu : "J'ai déjà commandé sur Amazon il y a quelques années. Je ne le fais plus. Je privilégie les commerçants locaux. Si je ne trouve pas ce que je cherche, eh bien je m'en passe." Certains ont une autre raison : "j 'aime toucher ce que j'achète", "je préfère le contact", "j'aime aller dans les magasins", "parce que c'est encore la livraison la plus rapide !" Pour d'autres, c'est par conviction : "Ils détruisent plus d’emplois qu’ils n’en créent et traitent leurs employés comme des esclaves," souligne Irina. Lydie sent poindre, elle,  un "changement sociétal : "Ensemble nous pouvons beaucoup. Pourquoi ne pas lancer une journée sans grandes surfaces et Sans Amazon ?".

Les alternatives existent. Le député Mounir Mahjoubi a appelé à privilégier les PME locales, qui elles aussi ont un service de livraison en ligne. Dans la même veine, le site Boycott citoyen donne quelques idées pour "se passer d’Amazon" : aller sur des plateformes de dons (donnons.org, Geev, consoRecup), ou des plateformes indépendantes (Amazon Killer, qui permet de "cherchez sur Amazon puis d'acheter dans la librairie près de chez soi", lalibrairie.com, ou Leslibraires.fr).

Mounir Mahjoubi publie une étude : "Amazon, une machine qui détruit 7 900 emplois en France"Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

Pour un client, c’est très, très dur de quitter Amazon
Levent Acar, co-fondateur d'iBoycott

Reste que la mobilisation semble faible au regard de la force du mastodonte. Ainsi, les pétitions en ligne, si promptes à exploser sur certains sujets, semblent végéter. Sur Change.org, sur la centaine de pétitions citant Amazon, la grande partie plafonne à quelques milliers de signatures. Sur iBoycott, plateforme de consommateurs engagés, la seule qui s'attaque à Amazon, sur le volet de l'optimisation fiscale, recueille 6.500 signatures. Pas énorme quand on voit que celle qui vise Starbucks sur le même mode atteint 30.000 personnes. "Cela ne décolle pas", reconnaît Levent Acar, cofondateur de la plateforme. "Le problème d’Amazon, c’est comme Google ou Microsoft : ils ont la mainmise sur l’offre, qui est ultra séduisante pour les consommateurs : ton produit arrive demain, tu as les produits les moins chers, un choix énorme… Du grand luxe, le niveau d’engagement est très élevé. Pour un client, c’est très, très dur de quitter Amazon." 

Et invoquer l’optimisation fiscale ne produit selon lui que peu d'effets : "Tellement de société en font que ça devient une norme pour le consommateur", constate Levent Acar. "L'argument de l’emploi ne les touche pas plus, ils se disent : 'ils n’ont qu’à changer de boulot s’ils ne sont pas contents'." Peut-être que celui du commerce de proximité, mis en avant par Mounir Mahjoubi, pourrait jouer davantage. ""Il faut faire attention", prévient Levent Acar : "Amazon veut  d’abord tuer le commerce, prendre une part prépondérante, et après, ce sera les rois du monde : ils feront la pluie et le beau temps."


Sibylle LAURENT

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