ÉCLAIRAGE - C’est vers 30 ans que surgissent les premiers questionnements professionnels. Davantage d’expérience mais des exigences accrues tout en attendant moins de l’entreprise… la période est souvent appelée "crise de la trentaine". Qu’est-ce exactement ? Comment s’en sortir ? LCI fait le point.
Lisa a 33 ans. Elle travaille dans la communication. Dix ans d’expérience pro au compteur, elle n’est plus débutante ni totalement ancienne. Et Lisa cogite. Elle commence à s'ennuyer , a l’impression d’avoir fait le tour de son job mais aussi de stagner : arrivent les plus jeunes, motivés et qui eux, grimpent, tandis qu’elle ne bouge plus. Mathieu a 35 ans. Il galère toujours à trouver un boulot stable. C’est vrai qu’il a pris son temps, s’est lancé dans des études d’architecture puis de philo, avant d’essayer la communication. Un parcours chaotique compliqué à vendre sur le CV. Aujourd'hui, il est un peu amer, d'autant qu'il a vu ses amis grimper dans la hiérarchie, se marier, acheter un logement. Parfois, il a l’impression qu’on le regarde avec pitié, comme s’il avait raté sa vie.
Coup de mou, insatisfaction, aigreur, fatigue, angoisse, remise en cause voire totale remise en question. La trentaine serait-elle la décennie des désillusions professionnelles ? Et vous vous rappelez, ce collègue qui vous étonnait, quand vous étiez stagiaire, à compter ses heures et peaufiner sa pratique de dessin sur gobelet sur son temps de travail. Et vous vous dites que peut-être, vous êtes en train de rejoindre ce camp, celui des désabusés. Est-ce la période où l’on se résigne ? Où l’on se dit qu’on n’a pas atteint ses rêves, mais que tant pis, telle est la vie ?
Lire aussi
"J'ai vite déchanté" : quand le rêve de reconversion professionnelle se passe mal
Lire aussi
"Rêvez, osez, foncez !" : pourquoi les coachs en reconversion professionnelle sont en plein boom
Avec l'expérience, davantage d'exigences
Les études le montrent et l’on comprend bien les causes : à la trentaine, surgit la première crise de vie. Rien d’étonnant à cela : dans le boulot, le temps de la découverte est désormais passé. Les petits plaisirs tels que la reconnaissance d’un supérieur pour une belle mission, ce premier pot avec les collègues, la première réunion que vous avez animée, sont devenus des habitudes. Et vous demandez plus, à juste titre : avec l’expérience, l’exigence s’est accrue. "C’est aussi le moment où l’on n’est plus un ado, où l'on commence à entrer dans une autre phase de la vie", estime Myriam Diougoan Blanch, coach et consultante, membre du réseau Cap Cohérence, spécialiste de la reconversion professionnelle. "On a envie de construire une relation plus durable, de penser aux enfants, une maturité s’installe. Et donc les attentes changent, évoluent. On commence à se poser certaines questions de sens."
Une insatisfaction au travail d’ailleurs résumée par une étude du cabinet de recrutement Robert-Half, publiée par Bloomberg, dont le titre "Les gens commencent à détester leur job à 35 ans" laisse augurer une analyse loufoque, mais qui, au fond, dit exactement la même chose : à la trentaine, le salarié, plus expérimenté, a plus d’attentes que le stagiaire tout frais émoulu. Il a aussi moins d’espoirs, commence à être usé, se sent mal reconnu, et se rend compte qu’il est difficile de trouver un équilibre entre travail et vie perso. "Il arrive un moment où, soit vous n'avez pas réussi à réussir, soit le travail vous a épuisé, soit l'expérience vécue vous dit que la famille est plus importante", analyse dans l'article Cary Cooper, chercheur à la Manchester Business School. "Et vous vous demandez : 'pourquoi je fais cela? '"
Le premier vrai bilan professionnel
C'est en effet vers 30 ans, que vous faites un premier point sur votre vie. D’autant plus poussé que la pression et les attentes en la matière sont phénoménales : dans cette tranche d'âge, pour avoir réussi, non seulement il faut avoir un travail mais encore un bon travail, avoir un compagnon ou une compagne, avoir acheté une maison. "C’est vraiment l’heure du premier bilan et quand on se compare ce n’est jamais en positif", indique Myriam Diougoan Blanch. "C’est alors que nous nous posons les grandes questions : suivons-nous les desseins tracés par d’autres ou avons nous suivi nos aspirations ? Faisons-nous ce qui nous intéresse vraiment ?"
Aux yeux de la coach, cette "crise de la trentaine est de plus en plus fréquente". "Elle est essentiellement due à la façon dont nous nous sommes orientés, dans quelle mesure nous avons respecté ce qui était important pour nous. Nous subissons des conditionnements très tôt de la part des parents et de la société. Nous avons une image de la réussite. Nous essayons de de rentrer dans ce moule mais quelque part en nous quelque chose coince car ce n’est pas ce que nous sommes", explique-t-elle. Là, surgit la crise. Ce décalage, on ne le sent pas forcément. Il est léger, insidieux, inexplicable. "Nous pensons que c’est nous qui ne fonctionnons pas bien. Alors qu'en fait, nous n’avons pas les outils pour comprendre ce qu’il se passe en nous", estime-t-elle.
Déterminer ce que l'on veut vraiment
C'est là que se pose la question de savoir ce qu'est, pour nous, la réussite. Elle est, c'est sûr, importante. "Nous avons un besoin d’être reconnu, de nous sentir appartenir à un groupe, un secteur d’activité, d’avoir une reconnaissance sociale", indique Myriam Diougoan Blanch. "Il faut se demander : 'Est- ce que je me sens reconnu par mes pairs ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Est-ce parce que j’aime ce travail ? Ou parce que j’ai besoin de prouver quelque chose ?' Il faut parvenir à déterminer ce qui est cohérent pour soi", assure la coach. Celle-ci se rappelle par exemple avoir accompagné une jeune femme manager au sein d'une grosse entreprise automobile et perdue dans ce décalage : "Elle réussissait très bien mais tout tournait autour d’une ambiance de rendement, de performance, de bonus ou de prime. Elle n’était pas du tout en harmonie avec cette façon de procéder."
Cette crise, il faut donc l’écouter. Sous peine de la voir resurgir à 40, 50 ans, si elle n'est pas résolue. "Il faut avoir le courage, l’audace, l’envie, de se poser et se demander ce qui pose problème, ce qui est fondamental pour soi", estime Myriam Diougoan Blanch. "Si on n'agit pas, on risque d’aller vers le burn-out ou la dépression", prévient-elle. La coach se veut cependant positive : "Les crises sont une opportunité d’apprendre sur nous, de faire ressortir les frustrations qu’on ne veut pas voir. S’il y a crise, c’est que l'on n'était pas dans la bonne direction. Il faut se les autoriser."