"Vous m’apporterez un café ?" : avec la réalité virtuelle, devenez Zoé, confrontée au sexisme ordinaire dans sa boîte

par Sibylle LAURENT
Publié le 18 octobre 2019 à 17h05, mis à jour le 23 octobre 2019 à 10h23
"Vous m’apporterez un café ?" : avec la réalité virtuelle, devenez Zoé, confrontée au sexisme ordinaire dans sa boîte

3D – Et si la réalité virtuelle nous permettait, en nous faisant vivre des situations, de mieux nous rendre compte des problèmes de société et de leurs enjeux ? C’est l’expérience proposée par Reverto, une start-up qui a conçu des immersions 3D, notamment autour du sexisme ordinaire et du harcèlement en entreprise. Nous avons testé le dispositif.

Un open-space. Vous arrivez à votre bureau. A droite, votre collègue vous salue d'un "salut ma jolie, ça va ?". Un autre vous regarde : "Hé, mais tu es très en beauté aujourd’hui, tu as changé quelque chose non ? Baptiste, t’as pas l’impression que Zoé a changé quelque chose ?". Baptiste vous détaille de pied en cap, opine. A 10h, réunion. Baptiste soupire devant son ordinateur : "C’est les filles de Londres, elles sont en retard". Le chef rigole : "C’est bien les femmes ça. Elles doivent être en train de papoter à la machine à café. D’ailleurs Zoé, vous irez nous chercher un café  ? Vous serez gentille."

Bienvenue dans le sexisme ordinaire, un monde pas si étranger qui se déroule en condensé sous vos yeux. On s'y croirait, et d’ailleurs, on y est presque. Allez, enlevez votre casque. Retour à la réalité. Zoé, c'est en fait la personne que vous venez d'incarner grâce à la réalité virtuelle. Le programme est signé Reverto, une start-up qui propose cette "solution immersive" pour sensibiliser à l'enjeu du sexisme ordinaire et du harcèlement en entreprise. Le système a été développé en partenariat avec Le Pavillon, un lieu d’expérimentation autour de la réalité virtuelle, à usage professionnel. 

Le sexisme ordinaire au travail est une réalité rappelée par les chiffres : 8 femmes sur 10 y ont déjà été confrontées, tandis que 56% des personnes ayant dénoncé ces faits n'ont pas été crues, rappelle l’Afnor, l'Agence française de normalisation. Dans un rapport Ifop de 2018, 32% des femmes déclaraient aussi avoir été victimes de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle au travail. 14% ont également subi des remarques déplacées et autres commentaires sur la tenue ou la silhouette. 

"Le sexisme ordinaire est partout  car notre société en est pétrie, au point qu’on peut alternativement en être porteur, en être témoin ou encore en être la cible", rappelle à LCI Elisabeth Chaudière, experte en égalité femmes-hommes et fondatrice d’Ekiwork, une agence de formation. Elle constate, depuis l'affaire Weinstein, une vraie mobilisation des entreprises sur le sujet. "Les choses ont changé de manière incomparable depuis 2017. Avant, elles venaient nous voir, en disant 'Je m'en rends compte. Mais ce n’est pas ma priorité et je ne vois pas trop le problème". Aujourd’hui, elles nous appellent en disant 'Nous allons déployer un grand plan d’action, aidez-nous !'. Il y a aussi de gros enjeux de sensibilisation car c'est cadré par la loi."

Ils expérimentent le sexisme en entreprise avec la réalité virtuelle
Ils expérimentent le sexisme en entreprise avec la réalité virtuelle - S.L.

Faire comprendre et créer de l'empathie

Et justement, changer de perspective, changer de regard pour se confronter et mieux comprendre ces "violences" serait une nouvelle opportunité de sensibilisation. "Avec le casque de réalité virtuelle, chacun se glisse dans la peau d’une victime", explique Guillaume Clère, co-fondateur de Reverto. " En vivant les choses, en étant confrontée aux situations, la personne identifie mieux, comprend ce que l’autre ressent, l’intègre. Après avoir effectué l’expérience, certaines réalisent après coup 'ah oui, ça j’ai vécu', comme témoin, victime ou auteur, et je ne m’en suis pas rendue compte'. 

Vivre pour mieux comprendre : Guillaume Clère confesse que, lui le premier, avait du mal parfois à saisir la réalité de ce sexisme ordinaire : "J’ai trois sœurs et une maman assez présente. Avec #MeToo, nous avons beaucoup parlé. Elles m’ont raconté des histoires. Mais je trouvais très compliqué de me rendre compte de certaines choses, comme le fait de marcher dans la rue en ayant toujours un petit radar." Le scénario 3D a ainsi été conçu à partir d'histoires vraies du quotidien et validé par des psychologues. Elisabeth Chaudière a coécrit le court métrage : "L'idée était d’aligner les témoignages et les situations les uns à la suite des autres. La récurrence montre en effet que c’est très pesant". 

Au lieu d’expliquer avec un power-point ce qu’est le sexisme, on le fait vivre en un quart d’heure
Guillaume Clère, fondateur de Reverto

"C’est hyper violent !", s'exclame justement un chef d'entreprise qui vient de tester le casque. "On reçoit en pleine figure le 'vous allez me chercher un café ? Sucré, merci !'". L'homme a tendance à voir dans le film un "concentré des situations les plus caricaturales qui se produisent en entreprise". "J'espère qu'on en est plus là", ajoute-t-il. Tout en confessant tout de même que certains traits du sexisme sont plus fins, presque insoupçonnés, comme cette collègue qui dit très gentiment à Zoé, 'ma puce, on déjeune hein ?'". 

Le film est destiné à être vendu sous forme de licence aux entreprises. "La vidéo 360 est un outil formidable pour plonger dans l’histoire", affirme Guillaume Clère. "Au lieu d’expliquer avec un power-point ce qu’est le sexisme, nous le faisons vivre pendant un quart d’heure. Certes, cela ne va pas résoudre tous les problèmes du monde. Mais c’est efficace et ouvre le dialogue."

Licencier un salarié, ça s'apprend en réalité virtuelle !Source : Sujet TF1 Info

La 3D pour développer notre empathie ?

Le caractère immersif du dispositif aiderait aussi à solliciter nos émotions et générer des "mécanismes d’empathie puissants". Sur ce sujet, Reverto mène d’ailleurs une étude avec une docteure en psychologie cognitive. "Nous mesurons chez les gens le niveau initial d’empathie. Nous les faisons ensuite passer dans le casque et nous décortiquons tout ce qui a été ressenti. Cela nous permet de voir comment ils réagissent en fonction du niveau d’empathie", résume Guillaume Clère. "Nous observons souvent que les moins convaincus en arrivant dans la salle réagissent le plus. C’est d’ailleurs une hypothèse que nous essayons de vérifier : les personnes chez qui cela va susciter le plus fort degré d’émotion, colère, injustice, sont celles qui sont, à la base, les moins empathiques car elles n’ont pas l’habitude de se mettre à la place des autres."

Plus largement, le sexisme ordinaire n’est qu’un volet de la sensibilisation par la 3D, à destination des formateurs et des entreprises. "Notre ligne éditoriale est le vivre-ensemble, le bien-être, tout ce qui est prévention des risques psycho-sociaux." Bientôt tous formés par la 3D ?


Sibylle LAURENT

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