VU D'AILLEURS - Dans cette start-up allemande, les employés travaillent 5 heures par jour (mais à fond)

par Sibylle LAURENT
Publié le 31 octobre 2019 à 16h51, mis à jour le 4 novembre 2019 à 11h19
VU D'AILLEURS - Dans cette start-up allemande, les employés travaillent 5 heures par jour (mais à fond)

Source : iStock

WORKING ABROAD - LCI explore dans cette rubrique les initiatives ou pratiques menées dans d’autres pays en matière d'organisation du travail. Des idées dont on pourrait s'inspirer, ou à l'inverse à bannir. Aujourd’hui, nous partons à la découverte d'une start-up allemande qui, pour être plus efficace, a banni les réseaux sociaux et limite les emails.

Avouez-le… Si vous enleviez le temps passé à errer sur Facebook, ou à purger le tonneau des Danaïdes de votre boîte mail, ou encore à supprimer votre dizaine de pauses cigarette, votre journée de travail pourrait être diablement plus efficace. Peut-être pourrait-elle même se boucler en une grosse matinée ?  Le rythme 9h-17h est cependant tellement ancré qu’il est difficile d’imaginer un tel mode de travail. 

C’est pourtant ce qu’a mis en place depuis deux ans Lasse Rheingans, 38 ans, en arrivant chez Digital Enabler, une entreprise de création de sites basée à Bielefield en Allemagne (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). La start-up compte une petite vingtaine d’employés, qui travaillent… 5 heures par jour. 25 heures par semaine. Avec le même salaire et autant de vacances. Elle revendique d'être la première entreprise allemande à fonctionner comme cela.

Eviter toutes les distractions inutiles

Dans cette entreprise, les employés arrivent donc vers 8 h. A 13 h, un panneau s’allume, avec les mots "High5" et "Feierabend", sonnant la fin de la journée. Les employés partent tranquillement. Evidemment, la masse de travail à abattre reste la même. La journée doit donc être optimisée. Et pour cela, tous les "distractions potentielles" doivent être évitées : les employés laissent leur smartphone privé dans leur sac, les réseaux sociaux ont été supprimés sur l’ordinateur.  Il n'y a pas de coin café, les pauses cigarettes sont vues d’un mauvais œil et les petites conversations sont découragées. 

"Nous avons également réduit les réunions d'une heure à un quart d'heure, ce qui est généralement suffisant si vous omettez les petites discussions", racontait Lasse Rheingans dans une interview au Zeit en août dernier. "Nous nous sommes également mis d'accord sur le fait de vérifier les courriels seulement deux fois par jour. Nous voulons éviter toute distraction inutile sous forme de notifications ou de messages contextuels." L'idée est donc de gérer son temps différemment : "Nous avons tous fait cette expérience", explique encore le patron au Wall Street journal. "Nous sommes assis au bureau, sans énergie, à lire des journaux en ligne ou sur Facebook, simplement en quête de petites pauses pour recharger, mais vous ne rechargez pas vraiment. Mon idée est de se concentrer sur les cinq premières heures puis simplement partir, et avoir un vrai temps pour soi."

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Des règles qui s'écrivent ensemble

Tout cela se fait donc au prix de règles strictes. Trop strictes ? "Ces règles, nous les écrivons encore et encore, tous ensemble", insiste le patron. "Car notre flux de travail efficace ne fonctionne que si tous les membres de l'équipe sont réellement derrière. La responsabilité et la discipline personnelle sont toutefois plus importantes que les règles." Car le leitmotiv du patron, c’est surtout que ce n’est pas le temps passé au travail qui compte, mais l’état d’esprit. "Les cinq heures ont fait leurs preuves. Mais cela ne signifie toutefois pas que finir à 13 heures peut fonctionner tous les jours", précise-t-il. "Il y a des jours où quelque chose ne va pas ou prend plus de temps que prévu." A chaque employé donc, de se responsabiliser.

Lasse Rheingans  est convaincu que cette méthode peut s’appliquer à d’autres entreprises. Il a d’ailleurs publié un livre en août dernier, "La révolution des cinq heures" (Campus, août 2019), dans lequel il explique qu’en considérant le travail autrement, cette semaine de travail de 25 heures suffit pour être aussi efficace. Et selon lui, l'expérience est un succès complet, au point d’accroître la productivité, et d’avoir des employés enthousiastes et créatifs.

Et la culture d'entreprise ?

Lasse Rheingans n'est pas tout à fait le premier à raisonner ainsi. En 2015, l’Américain Stephan Aarstol, à la tête de  Tower Paddle Boards, une entreprise de vente de paddle à San Diego, avait lui aussi déployé ce modèle. "Adopter la journée de travail de cinq heures est l’une des décisions les plus difficiles que j’ai prises, mais aujourd’hui mes employés sont investis dans l’entreprise, plus heureux et plus productifs", écrivait-il en 2016 dans une tribune publiée dans Courrier international. Il estimait que ce modèle pouvait tout à fait s'appliquer à la plupart des métiers intellectuels, ne nécessitant pas une présence 24 h sur 24 ou de collaborer avec un grand nombre de personnes. 

"Les résultats sont stupéfiants. L’année dernière, nous avons été nommés l’entreprise à la plus forte croissance de San Diego", revendiquait-il. Question de logique, selon lui : moins on a de temps, plus on optimise, et donc ne traite en priorité que les activités les plus créatrices de valeur. Un succès, donc. Sauf que, contacté par le Wall Street journal le 24 octobre dernier, il expliquait être revenu sur sa décision, et avoir limité cette journée "condensée" aux seuls mois d’été. L'entreprise avait en effet perdu sa "startup culture", et les employés avaient "perdu leur passion pour le travail", au détriment de leur vie personnelle, devenue plus riche. Dans le Zeit, Lasse Rheingans confesse que, à vouloir bannir toute conversation informelle, il a aussi été confronté à ce genre de problème : "Je n'avais pas pris conscience que la culture d'équipe pouvait souffrir du fait de travailler de manière plus condensée et efficace", reconnaît-il. "Mais une équipe se développe non seulement par le travail en commun, mais aussi par l'échange personnel." Il a donc mis en place des "événements d'équipe" pour que le modèle fonctionne. "Chaque vendredi après le travail, un club de cuisine et  des événements communs permettent d'échanger des idées sur des sujets sans rapport avec le travail", raconte-t-il. 

Le Wall Street journal évoque une autre conséquence de cette semaine de 25 heures : chez Digital Enabler, l’assistant Lucas da Costa en a profité... pour prendre un autre travail, à temps partiel, le week-end. Une telle démarche est-elle due à une contrainte, liée à un contexte général de baisse du pouvoir d'achat, ou est-elle le reflet d'un monde de productivité qui veut que tout temps soit optimisé pour gagner de l'argent ? L'article ne le dit pas. "Travailler moins pour travailler plus" pourrait-il devenir le nouveau credo ? 


Sibylle LAURENT

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